C'est la fin
Elle est perdue.
Voilà que cette idée la rassure finalement. La fatalité, la fin des incertitudes, des peurs, de l’angoisse du devenir.
Elle est perdue pour elle, pour les autres, et en prendre conscience est libérateur.
Qui aurait imaginé que cette virée entre copines l’aurait conduite jusqu’à ce sentiment de renonciation ?
Certainement pas elle, Manon la débrouillarde, la rebelle, la provocatrice, l’amie fidèle et franche, l’amie seule et pétrifiée de peur.
Maintenant qu’elle est là, captive dans cette sorte de cave lugubre, elle se demande ce qu’elle aura fait de bien dans sa courte vie. Comment regarder en arrière quand on a que vingt-six ans ? C’est trop tôt pour mourir, trop tard pour les regrets.
Elle regarde ses mains sales, couvertes de terre et de sang. Oubliés les beaux ongles vernis... Elle suce machinalement son index gauche, où il y a une heure encore était accroché son ongle crasseux. Elle ne saigne plus, c’est déjà ça, mais voir le bout de son doigt amputé de son ongle est assez écœurant.
Manon est perdue, mais que cet ongle ait sauté la chagrine vraiment. Que c’est moche !
Le goût de la terre et du sang ne la dérange même plus. Après ce qu’elle vient d’avaler, elle pourrait goûter à tout !
Non. Elle ne pourra pas. Elle ne goûtera plus rien désormais, elle ne mangera plus autre chose que ce qui gît devant elle. Cet os qu’elle a finalement rongé jusqu’à la moelle en pleurant toutes les larmes qui lui restaient. Ce morceau de viande qui lui a donné la nausée dans un premier temps, et qui lui a finalement permit de vivre quelques jours de plus. Mais pourquoi faire, puisque finalement elle va crever ici ?
C’était l’espoir, cet espoir à la con qui vous fait survivre, cet espoir à la con qui vous oblige à creuser à mains nues la terre de ce sol puant pour chercher une échappatoire, ce connard d’espoir qui te force à survivre au cas où quelqu’un viendrait te sauver, ce putain d’espoir qui au bout du compte te dit « Vas-y, croque dedans, reste en vie, dis-toi que c’est du poulet ! »
Salop.
Espoir de merde.
Car c’est cet espoir pour sa survie qui l’a nourrie.
Elle regarde cet os décharné, plus de larmes : elles sont taries, mais elle pleure.
Sa cuisse. Oui, c’est sa cuisse.
Elle voudrait encore vomir, débarrasser son corps de cette abomination. Seule, elle a survécu grâce à ça. Grâce à son amie pour qui l’agonie a finalement pris fin.
Enfin, elle l’espère...
On ne pourrait pas survire à une telle amputation dans ces conditions, si ?
Amandine est morte, elle doit l’être. Et sa cuisse est depuis longtemps maintenant digérée dans l’estomac fragile de Manon.
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