Je suis mort

3 minutes de lecture

Je devais être mort.

Je ne voyais que cette explication.

Il n'y avait que cette explication d'assez plausible pour justifier tout cela.

Je devais être mort...non ?

Ce n'était pas possible autrement.

Je devais être mort !

Mais quand ? Et comment ?

Je cherchais dans mes pensées, mes souvenirs, mais tout s'effilochait. Il y avait hier nécessairement et aujourd'hui...mais qu'en était-il de demain ?

Je devais être mort !

Mince !

Comment était-ce arrivé ?

Le monde avait pris autour de moi une blancheur vaporeuse, une brume que je n'arrivais pas à percer. Il n'y avait pas de sol, ni de plafond, ni d'avant, ni d'après. Il n'y avait pas à marcher et pourtant je marchais !

Enfin, je croyais.

Je devais marcher puisque j'avançais.

De cela, j'en étais sûr.

J'avançais vers...rien...

Imaginez un rien vaste et total, englobant le monde et les êtres. La mémoire même se liquéfiait et disparaissait.

Tout s'effaçait dans la brume qui m'entourait.

JE DEVAIS ÊTRE MORT !

Partons de ce point !

C'était le seul digne d'intérêt !

Et de là, réfléchissons...

Essayons !

Hier. Etait-ce hier ? Depuis combien de temps je flottais ainsi dans le néant ?

Hier !

Hier, j'étais couché dans mon lit. Je me souviens encore de la texture des draps et de l'odeur du chocolat. Chocolat ?

Ce mot réveillait en moi des souvenirs.

Chocolat...

Chocolat...

Puis plus rien !

Les jours devaient passer, nécessairement.

On ne se rendait compte de rien dans cette brume ! J'étais en rage maintenant ! Je décidais de m'arrêter de marcher.

Si j'étais mort, on allait venir me chercher et on allait m'expliquer et on allait m'emmener ailleurs et on allait m'entendre, croyez-moi !

A-t-on idée de faire patienter ainsi les morts !

Car je n'avais plus de doute, j'étais bel et bien mort !

Une odeur de chocolat flotta dans l'espace et je m'agitais !

Pourquoi ?

Il y avait des draps ? Non ? Sur mon lit, il y avait des draps ! Couleur... blanche ? Non, non. Cette maudite brume était blanche et vaporeuse.

Les draps, mes draps, étaient gris ?

J'en eus le souffle coupé !

Je me souvenais de mes draps et du bouquet de fleurs posé sur le plateau que m'apportait...je ne sais qui.

Il y avait un bol de chocolat !

J'étais si heureux de ce souvenir que je dansais dans la brume.

Ridicule au possible !

Un mort qui dansait !

Je n'avançais plus maintenant, je restais debout et je me concentrais, je me concentrais.

J'étais mort, dans un lit aux draps gris et je buvais un chocolat.

Oui et alors ?

Alors rien !

Rien que la brume et l'ennui.

Car il ne fallait pas croire ! On s'ennuyait dans cette brume. On s'ennuyait à mort !

Et cela me fit rire.

Puis un jour, une voix me parla.

Je ne compris rien mais je courus vers elle.

Trop tard !

La brume l'avait engloutie à son tour.

Je passais mes jours et mes jours brumeux à attendre la voix, je marchais en tout sens et bravais le néant.

J'entendais sans comprendre.

Puis je percevais quelques mots : "TAIS-TOI !"

Et sans savoir pourquoi, je hurlais : "CHOCOLAT !"

C'était idiot.

J'aurais pu hurler mille choses plus intéressantes pour un mort.

Où, qui, quand, pourquoi, à quelle fin...

Tellement plus utile pour moi.

A quoi bon le chocolat ?

Mais le chocolat restait mon dernier souvenir.

Je ne voyais plus les draps, je ne voyais plus le bouquet de fleurs mais je sentais le goût amer du chocolat.

Le chocolat était amer, amer était le chocolat, le chocolat devait être sucré, je n'aimais que le chocolat sucré, l'amertume je n'aimais pas, mais j'ai bu parce que je suis poli...

J'étais poli...

J'étais poli...

" C'était dans le chocolat, inspecteur ?, demanda le jeune sergent à son supérieur hiérarchique.

- Une dose de cyanure dans le chocolat ! Il a dû sentir le goût amer de l'amande mais il en est quand même mort."

Les deux policiers examinaient le cadavre de la femme. Elle s'était pendue dans la chambre de son défunt mari.

Mort depuis des semaines maintenant.

La femme portait les stigmates des nuits sans sommeil.

" Elle est venue nous voir, expliqua l'inspecteur, blasé malgré tout.

- Pourquoi cela ? Nous n'avions aucun soupçon.

- Elle prétendait que quelqu'un marchait dans sa maison et pensait qu'il s'agissait d'un voleur.

- Elle était folle ?"

Le policier ramassa la lettre dans laquelle la femme s'accusait du meurtre de son mari et parlait du chocolat qu'elle avait empoisonné.

" Le remords peut-être. Allez savoir !"

On emporta le corps, on emporta la lettre.

Bientôt, il ne resta plus que les deux policiers à examiner la chambre avec le lit et les draps gris, le bouquet de fleurs fanées encore sur la table de chevet.

" Et vous avez trouvé le voleur qui venait l'ennuyer ?, demanda le sergent, curieux.

- Il n'y avait personne, Rivette. Tout était dans sa tête."

Je suis mort, je dois l'être.

Mais il n'y avait que la brume autour de moi et le souvenir du chocolat...

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