Tous ensemble contre le SIDA
Je suis mort le lundi 24 octobre 1999. C'était un jour froid mais avec un merveilleux soleil.
Je suis mort.
Je suis mort...
Et cependant, la vie a continué.
Le monde tourne et bruisse autour de moi.
Les gens vivent, aiment, travaillent, aiment, font des gosses, aiment, meurent...
Et moi, je suis déjà mort...
Je ne sais pas si vous imaginez.
Être mort dans un monde qui vit encore.
Des années que je vis dans un monde auquel je n'appartiens pas.
Une vie sans valeur.
Je suis mort.
Alors...
Alors un jour, je me suis dit...
Pourquoi moi et pas eux ?
Je suis mort depuis longtemps.
Mais peut-être n'étais-je pas obligé de partir seul.
La vengeance est amère. Ce n'est pas agréable.
En tout cas, pas pour moi.
Mais je ne meurs pas seul.
Je suis mort officiellement le lundi 24 octobre 1999.
Et le décompte a commencé pour d'autres que moi.
Je souffre. C'est douloureux. Une mort affreuse. Honteuse.
Il faut la cacher. Sinon...
On passe pour quoi ?
Alors on ment.
Je suis malade, c'est tout.
Mais oui, maman.
Je suis malade, un terrible cancer.
Mais oui, papa.
Je suis malade, je me soigne.
Mais oui...mais oui...mais oui...
Je ne suis pas mort seul.
Il y en a d'autres qui sont partis avec moi.
S'ils ne sont pas encore partis, ils le feront.
Je les regarde.
Ils se demandent, ils pleurent et prient...
Je les méprise. Je suis passé par là.
Courage !
Et mon rire disparaît dans la brume.
Je suis mort officiellement le vendredi 7 février 2010.
Une vie de lutte.
J'ai bien mérité de me reposer.
" Je ne comprends pas," fit Rivette, comme à son habitude.
Son collègue, l'imposant policier aux favoris touffus, se pencha pour examiner la victime. Puis il regarda les cachets posés sur la table de chevet. Des pilules bleues accessibles que sur prescription médicale et destinées aux personnes n'ayant pas le VIH mais n'utilisant pas systèmatiquement le préservatif.
Ces pilules s'appelaient la PrEP, pour «prophylaxie préexposition» et semblaient protéger du SIDA avec efficacité.
" Il était prudent, souffla le policier. Je ne comprends pas non plus. Je dois avouer.
- Tu peux répéter cela ?!, s'amusa Rivette. Que je puisse l'enregistrer sur mon téléphone et l'utiliser comme sonnerie ?
- Merde !, ricana l'inspecteur.
- De quoi est-il mort ?
- Suicide, sans nul doute. Mais je ne saisis pas pourquoi."
Je suis mort officiellement le vendredi 7 février 2010.
Maintenant, j'attends qu'on me rejoigne.
On interrogea les amis. Ils furent unanimes.
La victime était quelqu'un de sympathique et d'enjoué. Il séduisait beaucoup de jeunes hommes et n'était pas très fidèle. C'était là son seul défaut.
Il multipliait les conquêtes et couchait facilement, mais toujours avec une protection.
Sauf...
Peut-être...
Un jour...
On peut toujours faire une erreur...
Oui.
On peut faire une erreur.
Je suis mort le lundi 24 octobre 1999. C'était un jour froid mais avec un merveilleux soleil.
Je suis mort.
Je suis mort...
Lorsque mon médecin de famille m'a annoncé que j'avais le SIDA.
Il le fit avec un regard qui se voulait rassurant mais avec une pointe de consternation.
Oui, oui.
Une erreur d'une nuit et un homme avait tout brisé.
Je suis mort le lundi 24 octobre 1999.
Et j'ai décidé de ne pas partir seul.
" Merde ! Un autre ? Mais qu'est-ce que c'est que cette histoire ?"
Rivette regardait la nouvelle victime. Un autre homme. Et toujours les petites pilules bleues.
" Un autre suicide ?
- Quand on pousse au suicide cela devient un meurtre.
- Décidément. Nous ne voyons que des suicides !
- Pas sûr que cela soit un suicide...
- Allons ! Un meurtre ? Mais comment ? Pas d'effraction, pas de motif, pas d'arme.
- Si !
- Ha ? Laquelle, inspecteur ?"
Rivette se moquait.
Mais son collègue lui colla sous le nom un avis médical. Rivette le saisit et s'étonna :
" Il avait le SIDA ? C'est pour cela qu'il prenait les pilules bleues ?
- Non, les pilules bleues empêchent d'avoir le SIDA.
- Je ne comprends pas.
- Mais si quelqu'un lui a transmis le SIDA exprès ?
- Putain ! Il peut vouloir se tuer !"
Il était beau cet homme que j'avais connu une nuit.
Un bel homme et une terrible erreur.
J'en suis mort deux fois.
Et d'autres m'ont suivi.
" Des points communs entre les deux victimes ?", demanda sèchement Rivette, fâché de trouver dans les rapports la confirmation du diagnostic.
Quelle tragédie !
" Un homme rencontré quelques mois plus tôt, répondit posément son collègue, sans relever la colère du jeune homme.
- Où est-il aujourd'hui ?
- Mort. SIDA.
- Merde !"
Merde.
Oui.
Mon bel homme fut le premier à mourir, vu qu'il était malade.
Et ensuite, ce fut moi.
Mais après, il y en eut d'autres.
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