Je suis mort.

Bel et bien mort.

Ce n'est pas possible.

Voyons, voyons.

Il y a eu une erreur quelque part.

Forcément.

Reprenons.

La caisse.

Le sabre.

Les applaudissements.

Voyons, voyons.

Ce n'est pas possible.

Maintenant, je suis seul.

La scène est sombre, le sable apparaît trop clair et mon sang forme une tache trop visible sur le sable.

Les applaudissements se sont tus.

J'entends encore les cris d'horreur.

Cela avait succédé aux rires.

C'est amusant. On meurt souvent dans les rires au cirque.

Les gens croient que c'est du chiqué.

Pourtant on meurt rarement pourfendu par un sabre.

Voyons, voyons.

J'avais tout bien préparé.

Je suis mort.

Mais comment ?

Je suis le meilleur !

Le meilleur des magiciens !

Alors...

Qui ?

Parfois, je regarde la scène. Je la vois de moins en moins, plongée dans l'ombre.

Il reste le sable et mon sang a disparu.

Et le public ne vient presque plus.

Ressent-il aussi ma colère ?

Qui m'a tué ?

Sinon...elle ?

Je suis mort.

Pourfendu par un sabre.

Durant un spectacle raté.

Un accident !

La police est tellement stupide parfois.

JE SUIS MORT, BANDE D'INCAPABLES !

JE SUIS LE MEILLEUR DES MAGICIENS !

INTERROGEZ-LA, ELLE !

ELLE !

" Quelle drôle de mort !, murmura le nouveau lieutenant en regardant le corps de l'écuyère.

- Elle s'est jetée du haut du trapèze, expliqua un collègue.

- Mais elle n'était pas trapéziste !

- Quelqu'un a dû la pousser !"

Le lieutenant secoua ses longs cheveux blonds dont elle ne savait que faire et rétorqua sèchement :

" Evidemment ! "

Je suis mort.

Mais je peux parler dans les oreilles des vivants.

Ils me ressentent.

Surtout elle.

Alors je lui ai parlé.

Et toutes les couleurs sont revenues.

La scène brillante, le public applaudissait à tout rompre, les costumes chatoyants...et elle qui ne m'aimait plus.

Je suis mort.

Qui m'a tué ?

" Je suis le lieutenant Sylvie Lyster !, annonça tout haut la jeune femme en se plantant au beau milieu de la salle des archives. C'est Pierre Rivette qui m'a parlé de vous."

Dans le fond de la salle, une voix répondit :

" Rivette est mort ?

- Oui. Cancer des poumons. Cela ne pardonne pas à son âge."

Un policier, grand, imposant, la peau sombre et les favoris touffus, s'approcha lentement en clignant des yeux, perdu comme il était, dans l'obscurité depuis des lustres.

" Il vous a parlé de moi ?

- La dernière fois que je l'ai vu. Il m'a parlé de vous et m'a dit d'aller vous chercher aux archives.

- Comment...

- Je ne suis pas tout à fait comme les autres, inspecteur.

- Bien, bien.

- J'ai rencontré plusieurs fois le père et la mère du capitaine Rivette. Plus tard, j'ai appris que j'étais la seule à les voir.

- Je comprends."

Le policier secoua la tête et souffla :

" Capitaine ? Oui, c'est ainsi aujourd'hui. Capitaine...pour commissaire..."

Le lieutenant Lyster s'impatienta :

" J'ai une affaire sur les bras et vous êtes désoeuvré. On y va ?"

L'inspecteur, n'ayant pas l'habitude de se faire bousculer, sourit et acquiesça :

" Je vous suis, lieutenant !"

Mais le vieil inspecteur clôt rapidement l'affaire.

Qui avait parlé dans le silence des nuits d'insomnie de la malheureuse écuyère ?

Qui avait truqué le dernier spectacle de magie de son mari ?

Qui ?

Si ce n'était l'amant...

L'inspecteur n'eut qu'à regarder les différents membres du personnel du cirque Azelma pour découvrir la vérité.

Il n'y avait qu'une personne qui pleurait vraiment la mort de l'écuyère.

Qu'une seule personne qui se troublait devant les uniformes de la police.

Tiens ?

Je me suis trompé ?

Si j'avais su...

Comme quoi...

On peut se tromper.

Je suis mort.

Et je suis un meurtrier.

Amusant, non ?