Ah ! ça ira !

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« Le criminel sera décapité. Il le sera par l’effet d’un simple mécanisme ».

" Avec ma machine, je vous fais sauter la tête en un clin d’œil, et vous ne souffrez point. La mécanique tombe comme la foudre, la tête vole, le sang jaillit, l'homme n'est plus. »

Si simple, en effet.

Le docteur Guillotin, élu député en 1789, était fier de sa trouvaille. Il écrivit :

« Ma conscience me dit que dans ma vie privée, dans ma carrière civile et politique, j’ai toujours tout fait pour l’honneur et pour le plaisir de bien faire. »

La guillotine était un projet humanitaire créé pour le bien public et le plaisir de bien faire.

L'inspecteur examinait le corps de la victime. Joliment décapée.

La tête reposait non loin.

" Un nouveau Kill Bill ?," demanda le lieutenant Lyster.

Elle regarda son collègue et lui fit un clin d'oeil.

Le lieutenant Sylvie Lyster était rousse maintenant. Une belle femme, rousse et bouclée.

L'inspecteur en avait été surpris lorsqu'il la vit ainsi.

" Vous n'êtes pas blonde ?"

Elle lui avait répondu par un grand éclat de rire.

" Bon, reprenons depuis le début ! Que s'est-il passé ici ?," reprit le lieutenant.

Un meurtre !

Un homme avait été assassiné, mais la tête avait été si bien découpée.

Comment ?

L'inspecteur, si vieux, blanchit en regardant le corps de plus près encore.

" La Veuve !, murmura-t-il.

- Quoi ? Vous avez un suspect ?

- La Veuve !, répéta plus sûr de lui l'inspecteur. La guillotine !

- Une guillotine ? Non ?"

Mais le policier ne voyait rien d'autre capable de couper aussi nettement le cou d'un homme, malgré le squelette, malgré les tendons.

" Mais non !, rétorqua le lieutenant. Il doit encore s'agir d'un sabre. Une longue lame !"

Oui, la guillotine portait une lame taillée en oblique.

D'une redoutable efficacité !

" Tout condamné à mort aura la tête tranchée !"

Tout condamné à mort.

Mais qui est le condamné à mort ? Et pour quel motif ?

Il faut bien commencer...

" La victime est une saloperie, je dois avouer, fit Sylvie en passant sa main dans sa chevelure flamboyante.

- Qu'a-t-il fait ?

- Pédophilie, manifestement."

Le vieil inspecteur leva la tête et contempla sa collègue.

" Il n'était pas en prison ?

- Il a été relaxé.

- Je ne saisis pas.

- Relaxé pour fautes de preuves."

L'inspecteur se tut, compréhensif.

" Tout condamné à mort aura la tête tranchée !"

Dans certains pays, la peine de mort se donne pour des motifs inacceptables, tels l'homosexualité ou l'adultère...mais il y a des motifs acceptables...

Continuons !

Et appliquons la Loi et la Justice !

Un nouveau cadavre décapité bien proprement.

" Encore un !, annonça le lieutenant. Un violeur manifestement.

- Manifestement ?, reprit l'inspecteur.

- Oui. Relaxé."

Les deux policiers se regardèrent avec attention.

" Tiens, tiens ! Comme c'est amusant !, sourit la jeune femme.

- Je ne suis pas sûr de trouver cela drôle !"

Mais le sourire du vieux policier ressemblait à celui du lieutenant.

" Un avocat ?, proposa Lyster.

- Un robin ? Pourquoi pas ! Ou alors un cogne."

Elle fronça les sourcils et l'inspecteur leva les yeux au ciel pour ajouter :

" Un flic !

- Mhmm. Un flic qui a arrêté des criminels et les a vus échapper à la justice."

Le vieux cogne contempla la belle jeune femme, attentif à sa réponse.

" L'idée me plaît furieusement ! Moi même, j'ai eu envie de tuer des criminels de mes mains !

- Moi, je l'ai fait !"

Et le fantôme savoura à sa juste valeur le silence dans lequel il avait plongé sa collègue. Si jeune et si innocente.

" Tout condamné à mort aura la tête tranchée !"

Faire du mal. Tuer et briser. Cela mérite une punition !

Mais faire preuve de cynisme devant la Mort en mérite une aussi.

Continuons !

Et appliquons la justice ! La justice ! La vengeance !

Un cadavre frais était sur la table d'autopsie. Une femme cette fois-ci.

Le lieutenant consultait le dossier et secoua ses longs cheveux, comme elle en avait l'habitude.

" Une chauffarde. Elle a provoqué la mort d'un enfant sur la route.

- Et elle a été relaxée."

Sylvie Lyster referma le dossier avec un geste nerveux.

" Faute de preuve. Le soleil gênait sa visibilité."

L'inspecteur se mit à rire, mais c'était un rire sans joie.

" Je l'aime bien moi notre Robespierre, fit le policier du XIXe siècle.

- Qui ?"

Là, le rire fut joyeux et ce fut au tour du lieutenant de lever les yeux au ciel, agacée.

" Tout condamné à mort aura la tête tranchée !"

Des meurtriers, des violeurs, des pédophiles, des bourreaux...

Mais provoquer la mort de dizaines de personnes au nom d'une cause mérite aussi d'être condamné.

La peine de mort pour tous les assassins !

Poursuivons !

Et protégeons l'Etat et le peuple ! La Sûreté n'est pas un vain mot !

" Cet homme... Je le connais...," souffla le lieutenant Lyster.

Le corps décapité était celui d'un homme, jeune et pauvre, au regard de ses vêtements.

" Qu'en savez-vous ?

- Il a trempé dans une affaire d'attentat, mais rien n'a été prouvé contre lui.

- "Tout homme étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable". Article 9 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, 1789.

- Oui. Vous avez connu ça ?

- Quoi ?

- La prise de la Bastille et toute cette histoire ?"

Le vieil inspecteur se renfrogna, à deux doigts de disparaître.

" J'avais dix ans au moment des faits.

- Hoooo !"

Puis le lieutenant ajouta :

" J'ai une idée pour notre prochaine soirée cinéma !"

L'inspecteur regarda sa collègue et Sylvie Lyster lui dit en riant :

" La Révolution Française ! Cela vous rappellera des souvenirs !"

Et les officiers de police présents dans les bureaux de la préfecture entendirent le rire profond du lieutenant Lyster et, bizarrement, des volets qui claquaient fort.

Seulement, les bureaux ne possédaient pas de volets.

" Tout condamné à mort aura la tête tranchée !"

On a tellement de raisons de tuer en réalité. Difficile de faire un choix, mais il suffit de prendre la place d'un jury de Cour d'Assises.

Douze hommes représentés par un seul.

On vote en son âme et conscience : coupable !

Avançons !

Et que justice soit rendue !

Un cadavre. Décapité.

Une longue lame.

Des hommes et des femmes relaxés mais qui ont été mis en examen à un moment donné, voire jugés. Pour des faits graves.

Mais les preuves manquaient, le dossier n'était pas bon, les témoins avaient refusé de témoigner...

" Un tueur, membre d'un gang. Certainement.

- Aucune preuve ?, demanda l'inspecteur, fatigué de cette affaire.

- Oui.

- Point commun avec les autres ?

- Mhmmmm. Le modus operandi.

- Heureux de vous l'entendre dire, se moqua le policier.

- Qui a pu construire une guillotine ?

- Il y a des plans sur Internet. Mais il faut être bricoleur et intéressé par le passé.

- Nous cherchons un flic, intéressé par le passé, furieux de voir des criminels échapper à la justice et prêt à tuer !

- Des prévenus ! Des suspects !, opposa l'inspecteur. Pas forcément des criminels.

- Et si c'était un juge ?"

" Tout condamné à mort aura la tête tranchée !"

Oui, la peine de mort est une bonne chose, une chose honorable.

Il faut tuer les criminels, rendre oeil pour oeil, dent pour dent.

Parce que c'est ce qu'il faut !

Pour que justice soit rendue enfin et que les victimes soient vengées.

Et que le deuil puisse commencer enfin...

" C'était votre fils que Mme Monnier a renversé, n'est-ce pas monsieur ?, demanda poliment le lieutenant Lyster.

- Oui. Une femme indigne, elle a prétendu que le soleil l'avait empêché de voir mon fils traverser la route.

- Et elle s'en est tirée ?"

Le juge, assis devant le policier, serra ses doigts sur l'anse fragile de sa tasse de thé, avant de répondre posément :

" Oui. Faute de preuves.

- Je suis désolée, monsieur."

Le juge sourit, tristement.

" Comment êtes-vous remontée jusqu'à moi ? Je n'ai tué que des gens que je n'ai jamais eu à juger."

Lyster sursauta devant cette question abrupte avant d'admettre :

" Vous êtes le principal actionnaire du Musée de la Police et de différents musées sur la Justice. Il y a peu vous avez fait retirer une lame de guillotine d'époque pour la faire restaurer."

Il sourit toujours, content de voir le sérieux de la policière.

" Vous voulez voir ma machine, lieutenant ?"

L'inspecteur tourna autour de la guillotine et l'examina avec soin.

Une guillotine complète, dépassant les 4 mètres de haut et pesant la demi-tonne, la lame pesait à elle seule 40 kilos.

" Elle est ressemblante ?, demanda le lieutenant Lyster.

- Oui," répondit la voix sèche du policier.

Oui, elle était ressemblante.

Trop !

Il l'avait vue fonctionner si souvent en place du Carrousel, puis place de Grève... Il l'avait vu brûler lors de la Commune de 1871. Il avait assisté aux exécutions faites à l'aube, avec puis sans public. Il avait applaudi en 1981 lors de son interdiction définitive.

Et il la retrouvait !

" Oui, elle est ressemblante, répéta le vieux policier.

- Une belle machine, j'avoue !," s'amusa le lieutenant.

Derrière la jeune femme en uniforme, une voix triste répondit :

" Oui, une machine digne de rendre la justice."

Ce furent les dernières paroles du juge. Il se laissa arrêter sans résistance.

Ce soir-là, dans l'appartement de Sylvie Lyster, tout était prêt pour une nouvelle soirée cinéma.

La Révolution Française, un drame historique de 324 minutes, sorti en 1989.

L'inspecteur grogna en voyant le chat Midnight se coucher en sphinx juste devant lui.

Ce qui fit rire le lieutenant.

" Vous me direz les erreurs, n'est-ce pas ?

- Oui."

Mais le coeur n'y était pas.

Car le vieux policier se souvenait trop bien.

Des cris de colère de la foule, des piques ensanglantées, des exécutions publiques et des chants révolutionnaires...

Ah ! ça ira, ça ira, ça ira !


Les aristocrates à la lanterne.

Ah ! ça ira, ça ira, ça ira !


Les aristocrates on les pendra.


Si on n’ les pend pas


On les rompra


Si on n’ les rompt pas


On les brûlera.


Ah ! ça ira, ça ira, ça ira !

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