Je suis mort...e
Il fait sombre et obscur et nuit et opaque et...
Je dois être aveugle.
Oui, ce doit être la raison.
Je suis seule et abandonnée et solitaire et perdue et...
Il est parti ?
Dieu !
Je vous en prie !
Faites qu'il le soit !
Je suis effrayée et terrifiée et horrifiée et tétanisée et...
Depuis combien de temps suis-je ici ?
Combien d'heures ?
Je dois être folle.
Oui, c'est une éventualité.
Autour de moi, il y a des parois.
Je reconnais le métal à sa brillance.
Mais je ne peux pas le toucher.
Cela m'angoisse.
Je perds mes sens.
J'écoute. Je n'entends rien.
Je regarde. Je ne vois rien.
J'ouvre la bouche. Je ne parle pas.
Je cherche à toucher. Je ne bouge pas.
Sourde, aveugle, muette, immobilisée.
Mais que se passe-t-il ?
Tout est rétréci autour de moi.
Petit, étriqué, étroit, exigu.
Je ne peux pas bouger.
Je ne peux pas toucher.
Mon Dieu !
Où suis-je ?
J'ai beau me concentrer, je ne pense à rien.
Sauf à ses yeux et à son rire.
Cruel et vicieux.
Mauvais et brutal.
Un piège, un piège, un piège...
Mais après cela ?
Le néant !
Il riait et maintenant je me réveille dans cet endroit exigu et inconnu et petit et sombre...
Où suis-je ?
Où suis-je ?
Où suis-je ?
Le vieil inspecteur contemplait la façade de la maison du richissime collectionneur et ne souriait pas.
Une main flotta un instant devant ses yeux et l'obligea à tourner la tête de côté.
" Alors Ghost ? De mauvaises pensées ?
- Combien de femmes disparues ?
- Mhmmm. Quatre.
- C'est ici, je pense."
Le lieutenant secoua sa queue de cheval qui ressemblait étrangement à celle du policier fantôme.
Même couleur d'onyx, même douceur, même longueur.
" Il va me falloir autre chose, Ghost. Ce type est célèbre, que son nom apparaisse sur la liste des clients de ces prostituées ne change rien."
L'inspecteur leva la main et désigna une petite construction dans le parc de la vaste demeure bourgeoise.
Une petite maison était visible, malgré les bosquets qui l'entouraient, par sa cheminée d'aération.
Le lieutenant regarda la petite maison et ne comprit pas.
" C'est le logis du jardinier ?"
Le policier se mit à rire et secoua la tête :
" C'est un charnier médieval. La cheminée permet l'évacuation des gaz de décomposition des corps. Je suis sûr qu'on va trouver des pourrissoirs.
- Des quoi ? Mais de quoi tu parles Ghost ?"
L'inspecteur avança vers la maisonnette d'un pas décidé.
Le lieutenant hésita, sachant qu'elle violait la loi en ne se présentant pas aussitôt auprès du suspect.
Puis elle se décida et suivit son collègue.
Les autres policiers lui emboitèrent le pas sans comprendre davantage.
La maisonnette était fermée. Une solide porte de fer bien verrouillée.
Sylvie Lyster se plaça devant la porte, voyant avec horreur son collègue forcer la serrure en quelques mouvements bien rodés.
Mais qu'allaient dire les policiers s'ils voyaient une porte forcée par un passe-partout flottant dans les airs ?
La lumière est terrible.
Horrible, insupportable, douloureuse, monstrueuse.
Une épreuve.
On ouvre la porte et je suis libérée.
Mais c'est lui.
Et il rit.
Et je me vois.
Morte et en sang.
Alors j'ouvre la bouche.
Et je pousse un long cri.
Inaudible, silencieux, muet, affreux.
Je suis morte !
Je suis morte !
Je suis morte !
Et lui, il rit.
Il me sort de ma prison.
Et je vois de quoi il s'agit.
Je comprends le sang.
Je comprends la mort.
Je comprends l'étroitesse.
Et la colère me prend.
Rage, haine, fureur, courroux.
Je me redresse.
Il ne me voit pas.
Il ne me sent pas.
Il ne me sait pas.
Je suis invisible.
Morte.
Peut-être ressentira-t-il ma colère ?
JE HURLE !
L'inspecteur leva la tête et contempla à nouveau la maison du richissime collectionneur d'objets médiévaux.
Il pâlit.
Les policiers examinaient les lieux et étaient horrifiés de ce qu'ils découvraient.
Un charnier et un pourrissoir.
En excellent état et manifestement très utilisé.
Deux fosses parallèles de près de 3 mètres de long pour 1,40 mètres de profondeur, séparées par un muret de moellons chaulés, étaient remplies de débris osseux.
On avait dénombré six cadavres vus que six crânes avaient été découverts.
Six femmes ? Des crânes portant des marques de découpe avec sciage complet de la calotte.
Tout ceci pour faciliter le pourrissement des chairs. Le liquide de putréfaction s'écoulait par des rigoles et la cheminée d'aération permettait l'évacuation des gaz de décomposition.
Un bel ensemble médiéval reconstruit à l'identique aujourd'hui.
Lyster regardait tout cela avec effroi.
Puis elle vit son collègue mort quitter le charnier pour se mettre à courir vers la maison.
Elle le suivit, pressentant une nouvelle horreur.
Une Vierge de Fer ou Vierge de Nuremberg est un instrument de torture ayant la forme d'un sarcophage en fer ou en bois, garni en plusieurs endroits de longues pointes métalliques qui transpercent lentement la victime placée à l'intérieur lorsque son couvercle se referme.
Aujourd'hui, on pense qu'elle n'a jamais existé et que ce n'est qu'une machine inventée au XIXe siècle pour entretenir la haine de l'Ancien Régime.
Mais pour un collectionneur fanatique d'objets médiévaux...
Rien ne vaut l'archéologie expérimentale, n'est-ce-pas ?
Je suis morte.
Mais...
Je ne suis pas la seule.
Il suffit de penser.
Penser de toutes ses forces.
Il arrête enfin de rire lorsqu'il se sent poussé.
Il bascule en arrière.
Il tombe dans son propre piège.
Et je referme la porte.
Je suis morte.
Mais lui aussi.
Annotations