"Le seul remède à la folie, c'est l'innocence des faits." Jacques Rivière.

Avenue Foch, Paris 16ème

15h06

- Et donc cela a débuté il y a maintenant neuf mois ? se questionna le psychiatre tout en s'installant aisément dans son large fauteuil en vieux cuir rouge pour s'y enfoncer plus profondément.

Il n'attendit pas la réponse.

- Hum. Quel traitement mon confrère Dr Janik vous a-t-il recommandé?

- Docteur, je ne suis pas là pour vous dire quel traitement votre confrère m'a préconisé mais pour avoir un second avis car le premier ne me convient pas!

Un long silence laissa place à une ambiance pesante dans la pièce lugubre et froide.
Le Dr Metusor, psychiatre de renom dans le milieu, ne quittait pas des yeux le dossier médical de la jeune femme et mise à part feuilleter celui-ci depuis vingt bonnes minutes et lui posait des questions auxquelles il aurait déjà eu les réponses, s'il avait un tant soit peu prit la peine de s'intéresser réellement à son cas.

- Je ne comprends pas l'objectif de votre venue Mademoiselle Wells.

- Je veux comprendre ce qu'il m'arrive Docteur!

- Le Dr Janik a déjà établit un diagnostic et je conviens que celui-ci soit difficile à entendre mais pour avancer et débuter une thérapie, Mademoiselle Wells, il vous faut préalablement l'accepter.

- Et bien non Docteur! Je ne l'accepte pas ce diagnostic! Je ne suis pas folle!

- Personne ne dit une telle chose voyons.

- Page vingt-six, troisième paragraphe, alinéa deux. Lisez Docteur s'il-vous plait. Lisez.

Le psychiatre avait connu de nombreux patients durant sa longue carrière mais ce cas, qui au départ, ne semblait pas le captiver, lui procura un intérêt soudain. Il s'exécuta donc.

- Mlle Wells Lisa, vingt et un an a débuté début Novembre une multitude de symptômes évoquant une probable psychose maniaco-dépressive ou troubles plus communément appelés ces dernières années, bipolaires de type II, faisant état d'un dérèglement de l'humeur. Les phases dépressives sont beaucoup plus marquées chez cette jeune patiente mais quelques périodes d'accès maniaques ont pu être relatées par l'entourage proche avec notamment de grandes crises colériques.

Nous pouvons notés également un dérèglement du sommeil entrainant fatalement une perte d'énergie et une anorexie. Il y a un an, Mlle Wells pesait 58 Kg. Ce matin, son poids est estimé à 46 Kg.

Pour ce qui concerne la sociabilité, Mlle n'a pu poursuivre ses études de droits et de ce fait, a rompu tout contact avec ses camarades.

Le traitement médicamenteux adéquate et théorique débuté courant Décembre a été couplé par une psychothérapie. Aucun effet des thérapeutiques per os ( Régulateur de l'humeur - Antidépresseurs - Anxiolytiques [cf. ordonnance en pièce jointe]) ont été observés malgré l'augmentation des doses par paliers.

Nous sommes à six mois pleins de la thérapie sans aucune amélioration. Nous parlons même d'une dégradation majeure de l'état général de Mlle Wells puisqu'aujourd'hui, cette patiente relate des épisodes d'angoisse majeure au moment de l'endormissement faisant penser à des hallucinations hypnagogiques extrêmement fréquentes. Nous noterons aussi des troubles de la perception agrémentés d' hallucinations acoustico-verbales et cénesthésiques.

Il est regrettable d'envisager que cette dégradation de ses troubles bipolaires de type II s'orientent irrémédiablement vers une psychose hallucinatoire chronique. Nous préconisons un autre type de prise en charge.

Mlle Wells demande un second avis avant d'entamer cette seconde action thérapeutique.

- Merci pour la lecture Docteur.

Il soupira.

- Il est vrai Mlle Wells que votre cas n'est pas des plus communs. Néanmoins, tous les faits précités corroborent avec le diagnostic de mon cher confrère. Je suis véritablement navré de votre situation, mais je pense qu'il vous faut accepter l'hospitalisation et les mesures thérapeutiques qui s'imposent pour retrouver un semblant de votre vie d'avant.

- Docteur, si j'ai souhaité un second avis, ce n'est pas pour reprendre les faits précités par votre confrère qui a vu chez moi, dès le départ, un sujet de thèse palpitant. Mais je souhaite que vous, vous puissiez reprendre l'historique de mes symptômes afin de rendre un verdict honnête et juste. Et soit, en effet, vous validerez cette hypothèse et si tel est le cas, je ferais tout ce qu'on me préconise, soit vous émettez une seconde éventualité.

Le psychiatre ne put s'empêcher un petit rictus nerveux à la commissure de la bouche.

- Très bien Mlle Wells. Laissez-moi le temps d'étudier votre dossier en profondeur et d'y réfléchir. Je vais effectuer quelques recherches. Il est vrai que ce cocktail de symptômes est assez atypique. Cela mérite de se pencher sur la question.

Je vous donne ma carte. Appelez-moi si vous aviez d'autres éléments à apporter à votre dossier que mon confrère aurait omit d'inscrire ou auxquels vous n'auriez pas pensé aujourd'hui. On se revoit dans une semaine.

En attendant poursuivez vos anxiolytiques mais arrêtez le reste. Nous essayons cela durant quatre semaines. Et je vous préconise grandement de vous reposer Mlle Wells.

- Je ne suis bonne qu'à ça Docteur.

Il tendit à Lisa une feuille A5 en guise d'ordonnance fraichement tamponnée.

Lisa sortit du cabinet grand standing. Elle pensa alors : Peut-être la jugerait-il folle? Peut-être pas. Dans tous les cas, elle ne l'était pas. Et elle le savait.

Il y avait bien longtemps qu'elle n'avait pas ressentit de telles émotions, à la fois émue, soulagée et excitée. Cette rencontre, elle la prenait comme sa dernière chance. Celle qui allait peut-être enfin changer sa triste vie. Ce psychiatre, un peu bourru, semblait soucieux de sa situation. Peut-être avait-elle seulement aiguiser son instinct de curiosité. Elle s'en fichait. Au fond d'elle-même naissait un soupçon de quelque chose qu'elle pensait, hier encore, impossible, l'espoir.