La bâtisse abandonnée

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 — On n’aurait pas dû s’écarter du sentier.

 — Mais si, c’t’un raccourci, j’te dis !

 — Et on peut savoir avec quoi tu te repères ?

 Les plaintes de Violette avaient le don d’exaspérer Mathéo. Miss Parfaite l’énervait au plus haut point, à toujours mettre en doute ses brillantes idées. Il était peut-être le dernier de la classe, mais il n’était pas stupide au point de ne pas comprendre que s’ils avançaient tout droit, ils finiraient par retrouver le bon chemin, tout en leur faisant gagner une bonne heure de marche.

 S’ils ne disaient rien, leurs camarades penchaient tout de même du côté de Violette. Ils avaient l’impression de marcher en rond depuis un moment déjà. Cyprien avait même cru reconnaitre certains arbres. Mais comme l’avait fait remarquer Basile, rien ne ressemblait plus à un arbre qu’un autre arbre.

 Leur petite balade s’éternisait plus que prévu. Ils avaient d’abord été déconfits de découvrir leur carte de la forêt, où se dressait un parcours plein de méandres et de dénivelés. Tout semblait avoir été fait pour éviter de passer par le centre de la forêt. Alice avait supposé que c’était pour éviter de tomber sur des chasseurs. Or, comme ce n’était pas encore la saison. Mathéo avait réussi à les convaincre de passer à travers bois avant d’atteindre leur objectif, le village voisin. Là-bas, un nouveau centre qui organisait des escape games venait d’ouvrir. Il fallait être cinq pour y participer et chacun désirait découvrir ce nouveau type de jeu.

 — On devrait déjà être sortis de cette forêt.

 — C’est sûr que ça change de tes bouquins, Miss Parfaite.

 — Arrêtez de vous disputer, tous les deux, les somma Basile en passant devant.

 — Il a raison, lança Alice, exaspérée. Avec vos jérémiades, on n’a même pas eu l’occasion de voir un seul animal !

 — J’y suis pour rien, moi ! C’est la bête tête de Miss Parfaite qui sert d’épouvantail.

 — Non mais je rêve !

 — Matt’, franchement, tu deviens lourd, intervint Cyprien avec un soupir.

 Mathéo s’apprêtait à lancer une réplique cinglante, mais il se retint de justesse. Il adorait embêter les filles, et Violette en particulier. Il n’était pas contre charrier Basile, qui était beaucoup trop admiré des autres à son goût. Mais Cyprien, c’était autre chose. Malgré tous les problèmes qu’il causait autour de lui, le seul ami qui ne lui avait jamais fait faux bond, c’était lui. Alors il avait droit à un traitement de faveur. Il était le seul qu’il acceptait d’écouter, et aussi celui qui l’empêchait de franchir des limites.

 — Oh, regardez !

 Alice s’était figée et pointait quelque chose du doigt sur leur gauche. Ils tournèrent la tête, cherchant déjà la biche ou le daim qui avait bravé leurs disputes pour leur montrer le bout de son museau. Depuis ce matin, Alice leur répétait de ne pas faire de bruit pour avoir la chance d’en croiser. Mais aucune trace de cervidé à l’horizon. Juste des arbres, des buissons et un tapis de feuilles mortes.

 — T’as vu une mouche ?

 — Mais non, juste là !

 Basile laissa échapper un petit rire quand il vit ce qui suscitait tant d’excitation à Alice. C’était un chat au pelage noir, assis au pied d’un arbre mort. Décidément, leur amie s’extasiait d’un rien.

 — Bon, au moins, ça veut dire qu’on s’approche enfin du village, soupira Violette.

 — Qu’est-ce que tu chantes ?

 — Je doute qu’il soit sauvage, vu sa couleur. Ses propriétaires doivent habiter tout près.

 Mathéo s’apprêtait à faire remarquer qu’il avait donc eu raison pendant tout ce temps mais Alice ne lui en laissa pas l’occasion. Sans attendre, elle s’approcha du félin dans l’espoir de le caresser.

 — Fais gaffe, Alice ! s’alarma Cyprien en la suivant de quelques pas. Il va peut-être te griffer !

 — Mais non, il est tout mignon, regarde-moi ça, il ne ferait pas de mal à une mouche, ce petit trésor !

 Le « petit trésor », cependant, ne resta pas immobile. Agile, il prit la fuite sur quelques mètres, avant de s’arrêter de nouveau pour les fixer de ses yeux orange.

 — Oh, reviens !

 — Heu, Alice …

 La belle Alice s’approcha de nouveau et l’histoire se répéta. Le chat noir refusait de se laisser approcher à moins de trois mètres. Pourtant, il s’arrêta encore un peu plus loin, afin de leur adresser ce même regard fixe et presque insistant.

 — On dirait qu’il veut qu’on le suive ! s’exclama Alice, sans se laisser démonter par le rejet apparent.

 — N’importe quoi.

 — C’est vrai qu’il est un peu bizarre, fit remarquer Basile, sourcils froncés.

 — Je suis sûr qu’il va nous mener à un trésor !

 — Ou il veut nous montrer une souri morte.

 L’idée de Violette arracha une grimace à Alice qui secoua la tête pour se débarrasser de cette idée. Elle fit encore quelques pas en avant et le schéma se répéta encore de la même façon. Elle décida alors d’accélérer ce qui poussa l’animal à faire de même. Pourtant, le chat semblait veiller à ce qu’Alice ne le perde pas de vue.

 S’ils l’avaient d’abord laissée à son caprice, ses camarades de classes emboitèrent le pas de la rêveuse. Ils ne pouvaient pas la laisser se perdre dans les bois, quoique l’idée traversa l’esprit de Mathéo. Si elle n’avait pas été sa meilleure amie, Violette l’aurait peut-être laissée aussi partir dans son coin. Elle n’en pouvait plus de marcher et cela retardait encore leur arrivée. Si ça continuait comme ça, ils allaient arriver trop tard. Pour Basile et Cyprien, par contre, hors de question de la laisser toute seule.

 Soudain, Alice se figea. Le chat les avait menés jusqu’à une étrange bâtisse, là, perdue au milieu des bois. Un vieux manoir délabré, certainement abandonné depuis plusieurs décennies. La plupart des vitres étaient cassées et un dernier volet de bois pendait négligemment à une fenêtre. Le toit ressemblait à un morceau de gruyères tant il y avait de trous. Enfin, les portes du bâtiment étaient entrouvertes et le chat, après leur avoir adressé un dernier regard, s’était faufilé à l’intérieur.

 — Qu’est-ce que ça fiche ici ?

 Alice sursauta. Perdue à sa contemplation, elle n’avait pas remarqué que ses compagnons l’avaient rejointe. Tous observaient l’étrange bâtisse avec curiosité.

 — C’est un drôle d’endroit pour bâtir une maison, fit remarquer Cyprien.

 — Vu la taille, je dirais plutôt un manoir, répondit Violette en penchant la tête. Mais t’as raison, drôle d’endroit.

 — Je suppose que ce n’était pas pratique pour ramener les courses, plaisanta Basile avec un sourire.

 — C’est trop cool. Vous venez ?

 — Pardon ?

 Mathéo s’avançait déjà dans le but de pénétrer à l’intérieur mais il se retourna quand il remarqua que personne ne les suivait. Il roula des yeux devant leur manque de réactivité.

 — On va explorer ! C’est l’occasion de s’marrer. On trouvera p’têt même des trucs sympas à l’intérieur.

 — Oui, des clous rouillés et des rats, super.

 — Violette a raison, puis on a encore un peu de marche à faire.

 — Mais c’est beaucoup mieux d’explorer ici ! Ne me dites pas que vous avez les chocotes !

 Basile soupira, piqué à vif dans son orgueil tandis que Violette croisait les bras, bien décidée à ne pas entrer là-dedans. À tous les coups, un morceau de plafond allait lui tomber dessus après quelques pas. Bon débarras.

 Pourtant, quelqu’un d’autre était bien décidé à suivre Mathéo dans son aventure. Alice n’avait pas abandonné sa volonté de caresser le chat. Aussi, ayant pris son courage à deux mains, elle surprit tout le monde en devançant l’énergumène de la bande et entra en première. Mathéo ricana et adressa un regard mauvais à ceux qui étaient restés en retrait avant de disparaitre à son tour.

 Cyprien, Basile et Violette échangèrent un regard inquiet, ne sachant que faire. Finalement, Basile fit le premier pas et, comme souvent, ses amis l’imitèrent. Tous les trois, ils pénétrèrent dans l’étrange manoir, scellant leur destin.

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