Portes fermées

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 Basile s’était attendu à trouver une pièce en mauvais état, aux mur délabrés, au sol couvert de poussières accumulées par les longues années. Sa prédiction n’aurait pu être plus fausse. Ils se trouvaient dans une petite pièce au parquet parfaitement ciré, presque étincelant. Les murs étaient recouverts d’un papier peint certes vieillot, mais coloré : des symboles alchimiques dorés sur fond cramoisi. Au-dessus d’eux, un lustre ancien éclairait l’espace. Outre celles qu’ils venaient de franchir, il y avait trois portes. Une à droite, une à gauche et la dernière face à eux. Près de cette dernière, un petit meuble à tiroir servait de perchoir au chat noir. L’air alerte, l’animal les fixait encore de ses iris orangées, comme s’il pouvait sonder le tréfond de leurs âmes.

 Basile secoua la tête. Il se faisait des idées, c’est tout. Il enfuit son malaise et s’intéressa à ses camarades. Comme lui, ceux-ci étaient restés sans voix en découvrant l’intérieur, aux antipodes de leurs attentes. Alice en avait même oublié le félin. Violette semblait perdu dans la contemplation du papier peint, comme si elle y lisait des messages qui échappaient aux autres. Cyprien de son côté, faisait la grimace avant d’échanger un regard inquiet avec Basile. Mathéo, enfin, les sortit de leurs divagations en s’approchant d’une porte.

 — Il faut qu’on sorte, l’interrompit Basile. L’endroit est clairement habité.

 — Qu’est-ce tu chantes ?

 — Il a raison, intervint Violette. Si ce lustre fonctionne, c’est que l’habitation est raccordée à l’électricité.

 — Et ça ressemble plus du tout à une maison abandonnée, ajouta Cyprien avec un rire nerveux.

 — Et alors ? On peut quand même explorer un peu.

 — C’est une violation de domicile !

 Pour toute réponse, Mathéo posa sa main sur la poignée de la porte de droite. Il se tourna vers eux, leur fit une grimace et appuya dessus. Mais la porte ne bougea pas d’un pouce. Il eut beau pousser et tirer, l’accès était verrouillé.

 — Oh, quel dommage. On va être forcés de repartir d’où on vi…

 Violette s’interrompit subitement après avoir fait volte-face. Lentement, ses camarades firent de même puis lui jetèrent un regard intrigué. La jeune fille paraissait clairement troublée.

 — Y a un souci, Vi’ ?

 — Je suis entrée en dernière et… Je suis sûr d’avoir laissé la porte ouverte derrière moi.

 Si Mathéo ricana ouvertement, Cyprien écarquilla les yeux. Plus pragmatique, Basile voulut en avoir le cœur net. Il s’approcha de l’entrée par laquelle ils étaient tous passés quelques minutes plus tôt et en poussa les cadres. Rien ne bougea. Avec un peu de panique, Violette et Cyprien apportèrent leur concours aux efforts de Basile. Mais rien n’y fit. Les portes restaient immobiles.

 Après quelques secondes de vains efforts, ils abandonnèrent, troublés. Même Mathéo avait perdu son sourire, cette fois-ci. Un son soudain les fit sursauter, celui d’un vieux coucou qui s’échappait d’une horloge antique posée au-dessus de la porte d’entrée. Le cadran indiquait midi.

 — Déjà ? s’étonna Cyprien.

 — On a pris beaucoup de retard avec le « raccourci », souligna Violette en ouvrant les guillemets avec ses doigts. Clairement, si en plus on est piégés, on n’arrivera jamais assez tôt pour l’escape game, maintenant…

 — En parlant d’escape game, je crois plutôt qu’on est bien servis.

 La remarque de Basile ne suffit pas à détendre l’atmosphère déjà ô combien ternie. Un miaulement les sortit tout de même de leurs idées noires. Sans vraiment se soucier du reste, Alice caressait le chat qui manifestait une certaine mauvaise humeur à être ainsi manipuler comme une peluche. Par contre, il n’était en rien agressif et ne tenta pas un instant de la griffer, chose qui surprit Cyprien, lui-même ayant beaucoup expérimenté avec le siamois de sa tante.

 — Bon, plus le choix, faut trouver une autre sortie ! s’exclama Mathéo en passant à la porte sur leur gauche. Qui m’aime me suive !

 Il retint son geste dans le vide d’un air dramatique avant de tenter d’ouvrir. À sa grande surprise, il n’eut aucune résistance et le vantail pivota vers l’avant dans un grincement sinistre. Il resta interdit puis jeta un regard victorieux au reste de la bande.

 — Sache que si je te suis, c’est uniquement pour ne pas me faire attraper par le proprio, soupira Violette.

 — S’il est pas par là, fit remarquer Cyprien.

 — De toute façon, on n’a pas vraiment le choix. Tu viens, Alice ?

 — J’arrive !

 Cependant, au moment où elle voulut faire un pas, le chat noir qu’elle maintenait contre elle s’agita telle une furie. Surprise, la belle Alice relâcha le félin qui cracha et alla se repositionner aussitôt sur le meuble, juste à côté d’un chandelier à cinq branches aux bougies éteintes. La jeune fille voulut le reprendre avec elle mais Cyprien l’attrapa par la main pour l’en empêcher.

 — Laisse-le, il vit ici, et il a l’air de mauvaise humeur.

 L’adolescente répondit par une grimace agacée. Elle hésita, puis se laissa entrainer dans la pièce adjacente. Les autres se tenaient à l’entrée, observant l’étrange pavage au sol. Une alternance de dalle blanche et noire donnait l‘impression de se trouver face à un gigantesque jeu d’échec. Mais au milieu de ses pavés unicolores se trouvait d’étrange petit symbole.

 — Pia locus, énonça Violette qui s’était retournée.

 — A tes souhaits.

 — C’est ce qui est écrit sur la porte, abruti.

 — Dialogus ?

 — Pia Locus. C’est du latin, je crois. Locus, c’est lieu, ou pièce…

 — Et Pia ?

 — Je ne suis pas sûre.

 — Ci-mer pour tes éclaircissements, Miss Parfaite. Y a pas de fenêtre, ici, on va tenter la suivante.

 Il désigna le fond de la pièce, où se trouvait une nouvelle porte. Il fit un premier pas mais s’arrêta juste devant le dallage d’échiquier, hésitant. Il était obligé de le traverser pour atteindre son objectif.

 — Un souci, Mat’ ?

 — Pff, aucun ! ricana-t-il en faisant quelques pas. Pourquoi y aurait un souci ! Le seul souci, ici, c’est Miss P-

 Il ne termina jamais sa phrase. Au moment où il posait un pied par terre, une longue perche avait émergé d’un mur latéral. Il n’avait pas eu le temps de la remarquer qu’elle avait déjà traversé toute la pièce, le transperçant au passage en pleine tête et l’emportant avec elle pour aller se planter dans le mur d’en face. Tout s’était passé si vite qu’il fallut quelques secondes à ses camarades pour comprendre ce qu’il s’était passé.

 Mathéo était mort, cloué au mur par un pieu démesuré qui avait défoncé sa boite crânienne aussi facilement que s’il avait été un papillon.

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