Hydra colorata
Basile passa en premier. S’armant de son sac à dos comme il l’avait fait au départ, il désamorça les premiers pièges exactement de la même manière que lors de sa précédente tentative. Cette fois-ci, cependant, il se tenait au ras du sol pour éviter les mauvaises surprises. Cyprien, lui, était resté en retrait cette fois-ci. La stratégie d’Alice se révéla payante. Du moins jusqu’au trois quarts de l’échiquier piégé, où des pics surgirent du sol et transpercèrent le sac. Cette fois-ci, les pieux étaient plus petits que les perches, mais ils étaient aussi au nombre de cinq et leur taille barraient la route de l’impétueux.
— Merde…, laissa échapper le garçon. Je fais comment, du coup ?
— Tu peux toujours contourner et rester à ta hauteur, les autres pieux visent la tête, fit remarquer Violette.
— Ouais, mais maintenant on sait que ça peut sortir comme ça, et du coup notre astuce ne fonctionne plus, intervint Cyprien.
— On n’a rien d’autre pour lancer sur l’échiquier ?
La remarque d’Alice laissa un certain malaise dans l’esprit de Basile. En bon chevalier servant, il s’était proposé pour prendre un seul sac à dos avec sandwichs et gourdes pour tout le monde. S’il avait été un peu moins prévoyant, ses camarades en auraient eu un aussi.
— Vous inquiétez pas, je tente ma chance ! Il ne reste que trois dalles…
— Quatre, le contredit Violette. Tu n’as pas retenu à quoi ressemblait le signe ?
— Euh…
Il regarda au sol. Hélas, les pieux cachaient désormais leur signe distinctif. Il soupira et, sans rien ajouter, décida de poursuivre sa route en croisant les doigts. La première dalle, sur sa droite, fit surgir une perche qui passa au-dessus de sa tête. Ce fut aussi le cas de la suivante, quant à la troisième, elle ne déclencha aucun piège. Enfin, il ne restait plus qu’une dalle pour atteindre le fond de la pièce.
— Je peux sauter par-dessus ! Vous pensez que ça va déclencher le piège ?
— Tu veux vraiment essayer ?
Bonne remarque. Il souffla un coup. Il avait déjà passé quasi toutes les dalles, mais qu’il n’en reste qu’une pour atteindre son but lui donnait un poids en plus dans l’estomac. Il ferma les yeux puis rampa sur l’ultime dalle en croisant les doigts.
La perche venait de devant lui, cette fois-ci. A sa hauteur, elle se contenta de décoiffer Basile avec sa vitesse et vint se planter au mur où attendaient les autres. Un cri retentit. Inquiet, il se retourna pour voir les dégâts. La perche s’était fichée au mur, juste à côté d’Alice, qui respirait à un rythme saccadé, consciente d’être passée à ça de la mort.
— La tête que tu fais, Cendrillon ! s’exclama Mathéo, hilare.
— C’est pas drôle, Mat’ ! Tout va bien, Alice ?
— O-oui… Plus de peur que de mal.
Pendant ce temps, Basile en profitait pour se relever et atteindre, enfin, le fond de la pièce. Il souffla, content d’y être parvenu sans mort puis fit signe aux autres.
— Vous venez avec moi ? N’avez qu’à suivre le même chemin, normalement, tout est désactivé.
— On arrive.
— Une minute, je pense qu’Alice devrait rester ici, souligna Violette.
— Pourquoi ?
— Parce qu’on ne sait pas si « caresser le chat » fonctionne avec tout le monde. On ne sait déjà pas si ça fonctionne tout court, mais si tu peux nous sauver la vie…
— Violette a raison, confirma Cyprien. Si tu meurs mais qu’après on ne peux pas revenir en arrière, ce sera fini.
— C’était peut-être… la seule salle piégée ?
Violette et Cyprien ne répondirent pas et se contentèrent d’échanger un regard entendu. Leur amie était une incorrigible optimiste. Du peu qu’ils avaient pu le constater, chacun se doutait que ce n’était encore que le début de quelque chose de bien plus vaste. Mais ils n’avaient pas le cœur de briser les espoirs d’Alice. Alors ils lui firent un sourire et suivirent Mathéo qui s’était avancé sur les dalles à la manière d’un funambule, les bras tendus en T. Au dernier moment, il fit mine de faire semblant de perdre l’équilibre, puis se réceptionna sans souci à côté de Basile. Les deux autres, plus sérieux, arrivèrent juste après.
— Allez, j’ouvre la porte suivante, déclara Basile avant de s’exécuter.
Ceci fait, une pièce entièrement plongée dans le noir semblait les attendre. Difficile de deviner ce qui se trouvait à l’intérieur. L’adolescent déglutit puis pénétra à l’intérieur, vite suivi par Mathéo. C’est ce dernier qui découvrit un interrupteur en tâtant le mur des mains.
Cette fois-ci, aucune porte dans la pièce, pas plus que de fenêtres. Par contre, il y avait cinq piédestaux qui leur arrivait aux hanches. Sur chacun d’eux, vase de couleur patientait. Il y en avait un jaune, deux rouges et deux bleus. Mais outre ces récipients mis en évidence, un immense portrait semblait les surveiller depuis le fond de la salle. Un homme d’un autre siècle, vêtu d’habits à la fois riches et élégants, assis dans un confortable siège. Il tenait une clé entre les doigts d’une main, comme pour les narguer, et caressait un chat noir de l’autre.
— Qu’est-ce que c’est encore que c’bordel, grommela Mathéo en s’approchant du tableau pour le dévisager.
— Aucune idée. On est censé faire quoi ?
— Hydra colorata, et mortiferum fumi, lut Violette en entrant à son tour, trouvant les mots sur le mur à sa droite, comme dans la Pia locus.
— On parle toujours pas le grec, Miss Parfaite.
— C’est du latin. Hydra, hydra… Jarre, je crois ? Les jarre de couleurs et… fumi ?
Elle n’était pas certaine de cette traduction. En vérité, elle avait bien une idée, mais elle priait pour s’être trompée. Elle ne se prononça pas sur le mot « mortiferum », par contre. Elle l’avait traduit sans peine, mais préférait éviter de remettre une couche quant à leur désastreuse situation.
— Il y a un robinet qui dépasse du mur, ici, souligna Cyprien qui s’était avancé prudemment pour explorer la pièce.
— Et les vases sont vides, leur apprit Basile qui venait de jeter un coup d’œil dedans.
— Il y a aussi des mots sur les piédestals, fit remarquer Mathéo.
— On dit piédestaux, au pluriel.
— Qu’est-ce qu’on s’en fout ? Viens plutôt les traduire, c’est encore ta langue de con.
Dans un grognement, Miss Parfaite s’avança et examina les gravures. Seuls trois socles en disposaient, les deux aux extrémités en étant exempt. Elle n’eut pas trop de mal à deviner le sens des deux premiers mots. Le dernier, par contre était un peu plus coriace.
— Ici, « purpura » signifie pourpre. Sur l’autre, c’est « viola », violet, facile. Mais le troisième…« aureus »… C’est soit doré, soit orangé.
— Des couleurs, alors ? Et on est censé faire quoi ?
Violette haussa les épaules. À son tour, elle fit le tour de la pièce, à la recherche d’indices et d’autres indications. Mais il n’y avait rien d’autre que les mots latins et le robinet.
— Mat’, tu sais soulever un des vases ? demanda Cyprien après un moment à tourner en rond.
— C’pas très lourd, répondit-il en se saisissant du jaune.
— Tu as une idée, demanda Basile.
— On peut essayer de les remplir, non ? proposa Cyprien. Approche-le.
Mathéo s’exécuta. Il arriva avec le vase jaune et le plaça sous le robinet que Cyprien enclencha. Ce qui ressemblait à de l’eau pure en sortit pour remplir le récipient. Mais ce n’était pas la seule chose qui s’échappa du robinet au moment où les vannes s’ouvrirent. Une étrange fumée commença aussitôt à se dégager du haut du robinet.
— Fuma… fumée ! Ne respirez pas cette chose ! s’écria Violette avec précipitation.
Mais c’était trop tard. Cyprien avait été surpris par le gaz et avait malencontreusement laissé une bouffée pénétrer ses narines. Aussitôt, une immense douleur s’était saisie de lui, comme s’il brulait de l’intérieur. Par réflexe, il essaya de refermer la vanne. Mais celle-ci était bloquée, et la fumée continuait de s’en échapper.
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