Mortiferum fuma
Cyprien s’acharnait à couper l’arrivée d’eau et de fumée. Le vase était déjà plein et débordait, mais c’était bien l’étrange gaz que le garçon souhaitait renfermer. Plus les secondes passaient, plus la douleur s’amplifiait et se propageait. Le gaz brûlant remplissait sa trachée et ne tarderait plus à atteindre ses poumons. Par réflexe, le garçon était pris d’une quinte de toux qui ne pouvait que le gêner encore plus dans sa tâche.
Ses camarades étaient tétanisés. Ils ne savaient que faire, car s’approcher signifiait se mettre à portée de la fumée et risquer d’en respirer. Or, de ce qu’ils en avaient vu, ils n’osaient pas s’y tenter. Mathéo avait immédiatement reculé après une première inspiration. Depuis, il toussait et crachait du sang, peinant à se ressaisir. Quant à Cyprien, même s’il ne s’en était pas encore rendu compte, ses mains étaient toutes rouges de son propre liquide vital.
Dans un grognement épuisé, le pauvre garçon finit par abandonner et tomba inconscient à terre. Basile lâcha un juron avant de se précipiter enfin vers lui, se protégeant le visage au possible avec son pull. Il essaya de le secouer, mais Cyprien ne bougea pas. Pris de panique, Basile regarda tout autour de lui pour trouver une solution, mais rien. Pire, malgré ses précautions, il sentait peu à peu la fumée venir lui piquer l’intérieur du nez.
Violette, par contre, en avait vu assez pour tenter leur joker. Elle s’était retournée afin de revenir en arrière et demander à Alice de caresser le chat. C’était l’occasion de tester sa théorie, après tout. Mais stupeur, comme lors de leur arrivée dans le manoir, la porte de la pièce s’était refermée toute seule pendant qu’ils avaient le dos tourné. Miss Parfaite tambourina à la porte en appelant Alice. Mais celle-ci ne répondit pas.
— A l’aide ! criait-elle. Alice, le chat ! Bon sang, Alice !
— Vio’ ! Viens voir !
— Quoi ?
— Mais grouille !
Basile et Mathéo, qui s’étaient finalement ressaisis, se trouvaient près des piédestaux. Basile toussait et souffrait en silence, tandis que Mathéo, le visage ensanglanté, grimaçait encore de douleur. Ils avaient ramené la jarre pleine près des autres récipients. Violette fit un pas puis hésita. La fumée commençait à prendre de plus en plus d’espace. Déjà elle commençait à masquer Cyprien, et elle se rapprochait peu à peu. Il ne faudrait que quelques minutes avant qu’elle n’ait envahi toute la pièce. Mais d’ici là, ils seraient sûrement déjà morts.
— PUTAIN ! DEPECHE ! hurla Mathéo, en rage.
L’heure n’étant pas aux répliques cinglantes, elle s’exécuta, consciente du danger qui se rapprochait. Sans dire un mot, les garçons pointaient l’intérieur du vase. En jetant un premier coup d’œil, elle ne comprit pas ce qu’ils tenaient tant à lui montrer. Puis ils versèrent une partie du liquide dans une autre jarre et la solution lui apparut.
Ils avaient d’abord rempli le récipient de couleur jaune. Or, l’eau qu’ils venaient de verser dans une jarre rouge était resté jaune. Pourtant, le liquide qui continuait de couler en même tant que la fumée était incolore. Elle avait donc changé de couleur en arrivant dans leur vase. Couleur qu’elle gardait quand ils la transvasaient.
Violette resta interdite, surprise par ce phénomène. Ce n’était en rien logique. Mais qu’est-ce qui était logique dans ce manoir, après tout ? Son regard alterna des mots latins aux différents vases. Et si c’était ça, la solution ? Elle fit signe aux garçons de ne pas bouger, attrapa le second vase rouge et se jeta elle-même dans la fumée.
Comme Basile, elle avait pris soin de se protéger le nez et la bouche. Mais comme lui, ce n’était pas encore suffisant. Très vite, le gaz lui agressa le visage et les sensations de brûlure se firent de plus en plus profondes. Mais Violette avait une nouvelle idée à tester. Elle fit un grand effort pour supporter la douleur, mais finit par être prise d’une quinte de toux ensanglantée. Qu’à cela ne tienne, avant de mourir, elle devait effectuer son test. Un regard suffit à lui confirmer que l’eau qu’elle avait versé dans sa jarre pendant qu’elle souffrait était bien devenu rouge. La même teinte que le sang qui s’échappait d’elle. Elle fit de son mieux pour ne pas vomir à cette pensée et revint vers ses camarades.
Hélas, la douleur et la toux étaient si forts que Violette finit par trébucher. L’eau rougeâtre se répandit par terre jusqu’à ce que Basile ne se précipite pour ramasser le vase. Dans un ultime effort, Violette lui donna sa consigne :
— Ve-verse… Dans… Jaune…
Puis la souffrance la plongea dans l’inconscience
*
* *
Elle rouvrit les yeux au moment où un coucou sonna midi.
Sa première réaction fut de prendre une grande inspiration, comme si elle avait été privée d’oxygène pendant de trop longues minutes. Son cœur battait la chamade et elle respirait frénétiquement. Il lui fallut un instant avant de se concentrer sur ce qui l’entourait. Basile, Mathéo et Cyprien avaient esquissé les mêmes gestes. Toute trace de sang sur leur visage avait disparu et ils étaient de retour dans le hall d’entrée.
— Hé bah… Qu’est-ce qui s’est passé là-bas ? demanda Alice, l’air inquiète, le chat noir dans les bras.
— Du gaz moutarde, ou un truc du genre, expliqua Basile après avoir repris une respiration à peu près normale. Purée c’était…
— Horrible, compléta Cyprien dans un souffle.
— Ouais, c’te fois, on l’a bien senti, putain...
— C’était affreux…
Violette posa une main sur ses yeux pour cacher aux autres les quelques larmes qui perlaient. Plus aucune douleur ne s’assaillait, c’était comme si rien ne s’était passé. Ou presque. Ils avaient expériencé la mort elle-même. Elle s’était vue défaillir et avait ressenti les tourments d’un corps défaillant. C’était quelque chose qu’elle ne souhaitait pas revivre.
— La bonne nouvelle, c’est que vous êtes revenus comme je l’avais prévu ! s’enthousiasma Alice. Le chat peut nous ramener dans le passé, c’est trop cool, non ?
Son sourire perdit en assurance à la vue de ses camarades encore traumatisés par cette douloureuse expérience. Ils étaient restés assis par terre, comme si toute énergie les avait quittés, le regard perdu dans un coin des Enfers. Alice déglutit, incapable de trouver les mots pour les requinquer. Ils avaient peut-être juste besoin de temps.
— Tu avais raison, Violette, finit par dire Basile en brisant le silence.
— A propos de … ?
— Tu voulais tester un truc avez l’eau rouge et jaune, non ?
Violette écarquilla les yeux. Ils avaient eu le temps de tester pour elle ? Elle avait pourtant cru s’être réveillée juste après être tombée inconsciente.
— Et alors ?
— C’est devenu orange.
La satisfaction d’avoir visé juste lui arracha un petit cri de victoire. Dans d’autres circonstance, elle se serait pavanée, mais ils n’avaient pas le temps pour ça.
— Ok, je sais ce qu’on doit faire, conclut-elle.
— Attendre les secours ?
— Non, cette histoire de jarre et de couleur. On a du rouge, du jaune et du bleu, et avec tout ça, en les mélangeant, on peut obtenir de nouvelles couleurs.
— Je comprends pas…
— C’est normal, tu t’es évanoui avant de le voir, mais l’eau prend la couleur du premier récipient dans laquelle on la verse.
— Hein ? s’étonna Alice en grimaçant.
— Ouais, on a pu le voir, confirma Basile. Violette a raison. Et si on mélange deux couleurs, on peut avoir une nouvelle.
— Les piédestaux demandent trois couleurs : Orange, violet et pourpre.
— On a d’jà eu l’orange, mais les autres ?
— Pour avoir du violet, c’est rouge et bleu, je crois ?
— C’est ça Basile. Par contre, j’avoue que le pourpre…
— Violet et rouge.
Ils tournèrent la tête vers Alice, surpris. Gênée, celle-ci s’expliqua :
— Je fais parfois un peu de peinture…
— Bon, ok, du coup, le but c’est de vite créer les bonnes couleurs, lança Cyprien. Et pour la fumée, on fait quoi ?
— J-J’ai peut-être une idée, annonça Basile.
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