Caedes Bibe
— Alors, qu’est-ce qu’on a, cette fois-ci ?
Basile venait de suivre les filles à l’intérieur de cette nouvelle salle, plus vaste que celles qu’ils avaient déjà visitées. Il avait prononcé cette phrase en feintant le plus d’enthousiasme possible. Cyprien ne pouvait pourtant s’empêcher de le surveiller avec inquiétude. Voir leur leader souffrir en silence le crispait. Mathéo, plus insouciant, les dépassa et commença à examiner le reste de la pièce.
Sur la longue table, treize assiettes étaient dressées, vides bien sûr. Pour tout couvert, il n’y avait que de gros couteaux aiguisés qui auraient mieux trouvé leur place dans la cuisine. Des verres à vin attendaient aussi qu’on les remplisse, mais aucune bouteille n’était visible pour les satisfaire. Enfin, la à la place centrale, un crâne humain avait pris la place de la porcelaine.
Sur le mur du fond, deux nouvelles portes. Pour toute décoration, un ours empaillé dans une position agressive toisait les adolescents dans son coin. Mathéo s’en approcha avec curiosité. L’animal paraissait authentique. Néanmoins, le morceau de tissu déchiré qu’il avait entre les griffes le fit froncer les sourcils. Sans se retourner, il recula en le surveillant d’un coin de l’œil. Même mort et plein de paille, il ne lui disait rien qui vaille.
— Je pense que c’est assez clair comme nom de salle, lança Violette en soufflant de dépit.
— Il faut trouver la Bible des cailles ?
— Non, Alice… Caedes, ça veut dire meurtre.
— Ouais, forcément, on tourne toujours sur le même sujet, intervint Basile avec une grimace.
— Et bibe ?
— Ça vient sûrement de Bibere, qui est le verbe « boire » en latin.
— Boire et meurtre… tu penses qu’il y a du poison quelque part ?
Violette acquiesça avant de porter son regard autour d’elle. Comme Mathéo, elle examina l’ours puis s’approcha des portes. Un détail lui sauta aux yeux.
— Un cadenas à 6 chiffres. L’autre est juste fermée à clé.
— Donc, on cherche un code ou une clé.
— Et il y a fort à parier que si on en trouve un, l’autre sera de l’autre côté de la porte au verrou.
Alors ils cherchèrent, de longues minutes, retournant les assiettes, examinant les lames, fouillant sous les armoires, sous le regard attentif du chat noir, posté près de la porte d’entrée. Au bout d’un moment, Mathéo tenta de fouiller à l’intérieur de l’ours en glissant sa main à l’intérieur de la gueule de l’animal. Mais il ne trouva rien d’autres que de longues coupures causées en effleurant ses dents, particulièrement tranchantes. Il ne leur resta bientôt qu’une seule option.
Ce qu’ils avaient d’abord pris pour un crâne n’en avait que l’apparence. Un rapide examen permit à Cyprien de découvrir qu’il s’agissait d’un récipient. En le regardant de haut, on pouvait voir qu’il était rempli d’un liquide verdâtre. Des narines, une sorte de paille dépassait légèrement.
— Il faut boire le poison, conclut-il en présentant sa découverte aux autres.
— Mais t’es malade ? T’vas pas avaler du poison !
— Je ne comprends pas non plus comment ça pourrait nous aider, intervint Alice, mal à l’aise.
— C’est parce que le code du cadenas est caché sous le liquide, opina Violette, pas très rassurée. C’est ce que tu crois, pas vrai ?
— Ouais. C’est le nom de la salle, ça a été un indice sur ce qu’on devait affronter dans les autres salles.
— Et je suppose qu’on ne peut pas le vider autre qu’en aspirant ?
— J’ai essayé, tu penses bien… Reste plus que la paille.
— N’empêche, tu vas pas crever pour qu’on puisse avancer plus loin ! s’exclama Basile.
— Mais si on a le code une fois, il suffira qu’on le retienne, qu’Alice nous ramène dans le passé, et on pourra passer à la pièce suivante.
La solution de Cyprien ne plaisait à personne, et moins encore à ce dernier. Mais à court d’idée, ils se devaient d’au moins la tester. Mais savoir qu’ils pouvaient le ramener à la vie juste après les décida à accepter qu’ils devaient s’y coller.
— Bon, ok, donne-moi le crâne, soupira Basile.
— Non, Basile, c’est moi qui le fais, cette fois.
— Quoi, mais…
— Tu as déjà pris le plus de risque avec la fumée, alors c’est mon tour.
S’il allait répliquer, le garçon se retint de justesse. Il ne voulait pas attirer l’attention sur ce qu’il avait subi en silence et seul Cyprien pouvait cracher le morceau aux autres. Vu le regard que Violette leur jetait, elle avait sûrement déjà quelques doutes à ce sujet. Alice, par contre, était très inquiète.
— Si tu dois boire du poison, tu devrais t’asseoir.
— Heu… ?
— Si tes jambes flanchent, tu vas tomber et te faire mal, alors assieds-toi !
— Tu peux peut-être aussi juste tout recracher, proposa Violette. Tu vides, mais tu n’avales pas.
— Pas bête, je vais faire ça.
Il tira la chaise la plus proche et y posa son derrière. Dans un soupir, il regarda longuement le crâne et son contenu, l’air résigné, puis le tendit vers les autres comme pour porter un toast.
— Santé, il parait !
Et sans plus attendre, il posa la petite paille entre ses lèvres et commença à aspirer sous le regard atterré de ses camarades. Mathéo s’était imaginé que le liquide se révélerait être de l’acide, mais il n’avait pas voulu évoquer cette possibilité. Aussi était-il presque rassuré de voir que le menton de son ami ne fondait pas sur place. Alice se tenait juste à côté de lui, une main sur son épaule, tandis que les autres restaient aux aguets.
Cyprien aspira les premiers centilitres avec l’intention de ne surtout pas les avaler. Mais quand les goutes arrivèrent sur sa langue, leur gout surprit l’adolescent. Il s’était attendu à un goût ignoble mais c’était tout le contraire. C’était délicieux, peut-être la meilleure boisson qu’il ait jamais goûtée. Un poison ne pouvait pas avoir une si bonne saveur, se dit-il. Alors, sous les yeux horrifiés de ses amis, il avala la première gorgée avec une expression d’extase et continua de boire, avec plus d’entrain.
Cyprien avait les yeux fermés en buvant à même le crâne son étrange poison supposé. Violette et Basile regardaient la scène avec incompréhension. Comment pouvait-il tant apprécier cette chose ? Les pièges mortels des deux dernières salles les avaient rendus trop méfiants pour ne pas attiser leurs soupçons. Alice eut un petit rire nerveux, manifestement rassurée. Quant à Mathéo, il se rapprocha à son tour avec une grimace circonspecte.
Après une longue minute, le crâne fut vidé de toute sa boisson et Cyprien lâcha enfin le récipient. Il avait les yeux fermés, comme s’il profitait pleinement de cet instant. Si ce n’est ce plaisir visible, il ne présentait aucun symptôme d’un quelconque empoisonnement.
— Super, je vois quelque chose à l’intérieur, tu avais rais-
Alice ne termina pas sa phrase. Cyprien s’était subitement relevé en lâchant le crâne. Sans prévenir, il avait attrapé l’un des gros couteaux posés sur la table et, d’un geste vif, il trancha la gorge à la belle adolescente. Le sang gicla immédiatement et, alors que la pauvre victime tentait désespérément d’arrêter l’hémorragie, son agresseur se tourna vers les autres avec une lueur assassine dans le regard et un sourire digne d’un psychopathe de mauvais film.
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