Confiance brisée

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 — C’est pas vrai… C’est pas vrai, c’est pas vrai…

 Cyprien tremblotait d’appréhension et de honte. Ses propres actes le rebutaient, alors qu’il avait avant tout cherché à préserver Basile d’un nouveau mal. Il avait le regard porté vers la table où les attendait ce fameux crâne, de nouveau rempli d’un poison pire que le cyanure ou la cigüe. Il n’avait aucune envie de recommencer. Les autres ne savaient que dire, encore perturbés. C’est Violette qui brisa le silence.

 — On va éviter de répéter l’opération avec Cyprien.

 — Tu as une autre solution ? demanda Basile. On peut peut-être briser le crâne ?

 — Ça se tente, mais je crois surtout qu’il faut que ce soit moi ou Alice qui buvions cette chose.

 — Une de nous ? P-Pourquoi ?

 — Parce que les garçons auront plus facile de nous maitriser si on vire folle. Enfin… j’espère.

 — Ok… t-tu es … volontaire… ?

 — Pas plus que toi…

 Basile se mordit les lèvres, inquiet. La cohésion du groupe avait pris un sale coup avec cette histoire. L’idée de Violette n’était pas brillante, mais c’était la seule qu’ils avaient pour le moment. Même si ça ne réjouissait personne. Il avait peut-être une idée pour les départager.

 — Vous pouvez peut-être faire un bras de fer ? Comme ça, la perdante, qui sera aussi la moins forte, sera plus facile à maitriser ?

 Violette acquiesça dans un souffle. Tous se dirigèrent vers la table pour procéder à la sélection. À peine y étaient-ils que Cyprien attrapa un des couteaux. Mais il l’avait à peine effleuré que Mathéo se saisissait de son poignet, l’air sombre.

 — Qu’est-ce tu fous avec ça, hein ?

 — J-Je voulais juste les écarter…

 Son ami le relâcha aussitôt, la bouche mi-ouverte et les yeux écarquillés. Puis il baissa la tête, honteux d’avoir douter du seul ami qui ne l’avait jamais mis de côté. Même s’ils étaient revenus en arrière, il ne pourrait pas effacer cet affrontement de sa mémoire. C’était peut-être ça, le pire. Sans rien ajouter, il s’écarta et attrapa assiette, verre et lames sur son chemin afin de les déposer le plus loin possible des filles.

 Pendant ce temps, Basile avait attrapé le crâne au poison. Après avoir chipoté avec la paille quelques secondes, sans succès, il le lança de toutes ses forces contre le mur. Il recommença trois fois sans succès. Il était trop solide. Même le verre n’était pas fissuré. Quant aux filles, elles étaient sur le point de commencer leur bras de fer.

 Ni Violette ni Alice ne désirait boire cette essence de sociopathe. Aussi mirent-elles toutes leurs forces dans la bataille, serrant les dents. Ce fut rude, mais Violette l’emporta peu à peu sur Alice. En plaquant son bras contre la table, l’ingénue poussa un soupir et adressa un regard désolé à son amie qui déglutit.

 — O-on a tout écarté, lança Cyprien avec malaise. Comme ça, pas d’armes…

 — Il restera la chaise, souligna Basile. C’est que ça fait des dégâts ces trucs…

 À la réaction honteuse de Cyprien, Basile regretta d’avoir remis le doigt là où ça fait mal. Il n’empêche, il n’aurait pas imaginé qu’on pouvait s’en servir de cette manière avant que Mathéo ne s’en charge.

 — On va procéder de manière intelligente, clama Violette en se levant. Cyprien, toi, tu vas tenir le crâne à portée d’Alice. Mathéo, Basile, vous deux, vous allez maintenir ses bras pour l’empêcher de vous frapper.

 — Et toi, Miss Parfaite ?

 — Si je vois que ça dégénère, je serai juste à côté du chat.

 — C’est encore toi qu'a le rôle facile.

 — Pardon ? s’étonna Violette, sincèrement surprise.

 — Cyprien a bu cette merde, Alice s’apprête à le faire, Basile a affronté la fumée, et moi j’ai testé les pieux !

 — Mathéo, c’est bon…

 — Tu plaisantes, ou quoi ? répliqua vivement Violette. Tu ne savais même pas que le manoir était piégé quand tu as fait ça !

 — N’empêche que je suis mort trois fois, et toi juste une fois !

 — Oh, excuse-moi d’être moins emp-

 — STOP !

 D’un regard noir, Basile fustigea les deux adolescents. Violette croisa les bras, boudeuse, et Mathéo se retint de réagir quand Cyprien posa une main sur son épaule.

 — C’est pas un concours, tout le monde fait son possible pour sortir de ce guêpier. Et puis, elle a raison, c’est plus logique comme ça.

 — Bah j’vois pas pourquoi.

 — Tu veux dire que je suis plus forte que toi ?

 Basile adressa un air fatigué à Violette, convaincu qu’elle venait de remettre de l’huile sur le feu. Mais s’il n’avait pas tort, elle avait aussi blessé Mathéo dans son égo.

 — Ok, j’m’en occupe ! Mais la prochaine fois, c’moi qui reste près du chat.

 — Si tu veux, soupira Violette. Tu es prête Alice ? Cyprien, on compte sur toi pour observer les chiffres et les retenir !

 Le garçon acquiesça, déjà concentré. C’était l’occasion pour lui de se racheter un minimum. Il tendit le crâne à Alice qui, après quelques secondes où la peur défila dans son regard, posa le petit bout de paille entre ses lèvres avant d’aspirer le redouté liquide. Basile retenait son bras droit et Mathéo le gauche. Si quelqu’un était entré à cet instant, il aurait sûrement cru qu’on torturait la belle, se dit Violette, la main prête à caresser le chat dès que Cyprien lui en donnerait le signal.

 Comme son camarade avant elle, les traits crispés d’Alice s’adoucirent peu à peu. Paupière close, elle buvait son poison comme si elle avait passé quelques jours dans le Sahara, se délectant des saveurs de la folie. Cyprien avait les yeux fixés sur le contenu du crâne. Bientôt, le fond commença à se révéler et il put lire les premiers chiffres. Six. Sept. Un. Neuf. Un et…

 Quelques gouttes cachaient le dernier chiffre quand une profonde douleur traversa l’entrejambe du garçon. Surpris et endolori, il lâcha le crâne tandis qu’Alice éclatait de rire. Puis elle commença à s’agiter vivement pour se dégager de l’étreinte des deux garçons, soulevant ses jambes pour tenter de les atteindre malgré sa posture.

 — Cyprien ! lança Violette. Est-ce que…

 — Vas-y ! cria-t-il. M’en manque j-

 Basile toussa.

 — … juste un chiffre.

 Ils étaient de retour à midi treize, et Alice se précipita vers Cyprien pour s’excuser plusieurs fois. Les autres leur laissèrent quelques secondes de répit avant d’adresser un regard interrogatif à Cyprien.

 — Tu n’as pas tout vu… ?

 — Si, enfin presque… Il m’en manque juste un, mais, c’est pas grave, si ? On peut le trouver en testant, y a jamais que neuf possibilités.

 — Dix, faut pas oublié le zéro. Mais tu n’as pas tort, approuva Violette. Allez, on en a fini avec ce poison ! Enfin, j’espère…

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