Les peluches macabres
— Donne-nous la combinaison, Cyprien, demanda Basile. Au cas où, autant la noter pour plus tard.
— Oui, c’était six, sept, un, neuf, un et le dernier qu’on va trouver en essayant.
— En espérant que le cadenas n’explose pas si on se goure.
La remarque d’Alice, qui se voulait humoristique, ne produisit que des grimaces. L’heure n’était plus aux plaisanteries depuis longtemps. Feintant de l’ignorer, Violette se dirigea d’un pas décidé vers la porte au fond de la salle à manger pour accéder au cadenas.
— C’est parti, lança-t-elle en déplaçant les chiffres pour correspondre à ce que venait de dire leur ami.
— Une minute ! intervint Mathéo d’un air sombre. On est d’accord que c’moi qui reste en arrière, c’te fois ?
— Si ça peut te faire plaisir, soupira Basile, fatigué par ces gamineries.
— Bah allez-y, alors, j’reste ici, moi.
— Si on ne revient pas et qu’on ne donne plus signe de vie, tu devras…
— Caresser le chat, merci, Miss Parfaite.
Un cliquetis annonça à cette dernière qu’elle avait déverrouillé la porte. Le nombre manquant était un sept, ce qu’elle ne manqua pas de préciser à Basile qui en prit note. Puis elle ouvrit la porte et resta interdite.
L’intérieur de cette nouvelle pièce dénotait avec celles qu’ils avaient déjà visitées. On aurait dit une chambre d’enfant, remplie d’innombrables animaux en peluche. Un lit en baldaquin, au tissu rouge vif, les invitait à se blottir pour faire une bonne sieste. Le papier peint, rose bonbon et parsemés de fleurs de toutes les couleurs, était à la fois d’un mauvais goût criant et d’une autre époque.
— Woaw, super chambre ! s’écria Alice, absolument ravie.
— Pour une gamine de quatre ans, peut-être, ne put s’empêcher de répliquer Violette en avançant prudemment pour poursuivre son inspection.
Sur le côté se trouvaient deux armoires en bois de bonne facture et, dans le fond, une plus petite surmontée d’un miroir. Une vieille poupée souriante était assise dessus et semblait les observés de ses boutons qui lui servaient d’yeux. A terre, à côté du lit, plusieurs doudous étaient rassemblés autour d’un crocodile habillé en médecin qui tenait une enveloppe en papier kraft.
— Difficile d’imaginer que l’endroit soit abandonné, quand on voit ça, souligna Basile en fronçant les sourcils.
— Difficile d’imaginer une gamine qui vit avec tous ces pièges tout autour, ajouta Cyprien.
— Difficile surtout d’imaginer qu’un accident ne soit pas arrivé, souligna Violette en se retournant, à la recherche du nom de la pièce. Ah, « Ultionem matris »…
— Alors, à quelle sauce on va être mangés, cette fois ? Ne me dis pas que Mathéo a raison pour Matrix ?
Violette secoua la tête, intriguée. Sa traduction n’était pas compliquée, mais elle ne comprenait pas le message que le manoir leur faisait passer cette fois-ci. Espérant que les autres puissent l’aider à en tirer du sens, elle énonça le message.
— « Vengeance de mère »
— Oh non, on va finir noyés, cette fois ? soupira Cyprien. Il parait que c’est horrible comme mort…
— Non, pas mer comme ça, plutôt comme vengeance d’une maman.
— Oh…
À en voir leur tête, ses camarades n’avaient pas plus d’idée que Violette pour comprendre l’avertissement. Alors chacun se mit à explorer la pièce à sa façon. Cyprien commença par observer les peluches au sol, tandis que Violette fouillait autour de l’étrange poupée qui semblait avoir une place toute particulière. Le chat ne les avait pas suivis, mais elle se demanda un instant si, par hasard, il ne pouvait pas s’agir d’une nouvelle manière de revenir en arrière. Pendant ce temps, Basile s’intéressait à la scène autour du crocodile médecin et des autres animaux qui semblaient presque l’écouter. Alice, enfin, s’était laissée tomber dans le lit où, allongée, elle profitait d’un matelas confortable.
— Tiens tiens…, lança Basile. Regardez ce que j’ai trouvé…
Violette et Cyprien se rapprochèrent aussitôt. Leur ami venait de priver la peluche de l’enveloppe qu’il avait ouverte. Il en sortit une étrange feuille, à la fois sombre et transparente, sur laquelle se trouvaient d’étrange formes blanchies.
— On dirait des radios, fit remarquer Cyprien, sourcils arqués. Comme quand on a le bras cassé.
— Ouais, sauf que c’est pas des bras…Quoique.
Il partagea le tas et leur tendit à chacun quelques images, pas très rassuré. Les radios représentaient les corps de plusieurs peluches présentes dans la pièce. Mais chacune présentait quelque chose d’anormal à l’intérieur de leur corps. Dans le cou d’une peluche en forme de girafe, par exemple, se trouvait un long os que Violette identifia comme un fémur. Dans un simple coussin, Cyprien découvrit ce qui ressemblait fort à une mâchoire, séparée d’un reste du crâne de manière violente à en juger par les contours. Dans un hippopotame, Basile avait trouvé les ossements d’une main. Ils partagèrent un regard perturbé. Toutes les radios des peluches présentaient ainsi une partie de corps humain.
— Ok, c’est giga flippant, commenta Cyprien.
— Vous croyez que c’est vraiment dedans ou que c’est juste destiné à nous faire peur ?
Pour toute réponse, Basile avait attrapé la girafe par le cou. En serrant ce dernier, il eut confirmation qu’il se trouvait quelque chose de dur à l’intérieur, ce qu’il partagea aux autres avec un regard peu rassuré.
— Regardez celle-ci ! s’exclama Cyprien avec dégout.
La radio qu’il leur tendait montrait la poupée qui se trouvait près du miroir. Sur celle-ci, pas d’ossement, mais un cœur et tout un système sanguin étaient représentés, chose qui ne manqua pas d’étonner Violette.
— Ce n’est pas normal, une radio n’est pas censée montrer ce genre de choses… Enfin, je crois ?
— Arrêtez tout, j’ai trouvé ce qu’on devait faire, intervint Basile après avoir farfouillé dans les dernières radios.
Il leur montra ce qu’il avait trouvé et ses deux amis comprirent rapidement. L’image représentait une peluche en forme d’ours, dans la tête de laquelle se trouvait une clé. Clé qui devait, forcément, ouvrir cette autre porte dans la salle à manger.
— Je crois que je l’ai vue, cette peluche, attendez !
Cyprien se leva et balaya d’un geste plusieurs animaux avant de se saisir du seul ours de toute la collection. Et, sans plus attendre, il lui arracha la tête. Mais à peine plongeait-il sa main dans le coton qu’un cri résonna depuis la salle à manger, suivit d’un grognement bestial. Tous se figèrent.
— C’est Mathéo qui vient de crier ? demanda Violette.
— Oui…
Doucement, Basile s’approcha de la porte qui, sans qu’ils ne s’en aperçoivent, s’était refermée. Il l’ouvrit pourtant sans souci, mais la referma aussitôt avec un juron.
— Qu’est-ce qui se passe ?
— On a fâché maman. L’ours empaillé est en train de bouffer Mathéo.
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