Chapitre 1-2 : lancement - quelques semaines plus tôt

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Quelques semaines plus tôt à Zurich

Le représentant de la Zurich Trust Bank respirait la confiance en lui. Portant bien sa quarantaine, il était en bonne forme physique malgré un très léger embonpoint qui apparaissait quand il s’appuyait sur le dossier de son fauteuil, comme en ce moment.

« Voilà les derniers papiers signés ainsi que l’ordre de virement des fonds. Tout est prêt pour démarrer notre banque.

— De mon côté, Radier a constitué son équipe. Vous m’aviez dit que vos relations nous permettraient d’avoir un appui officiel ? »

Michael Leonardo se pencha vers Ancel : « Vous l’avez. Le ministre Meghain soutient votre projet. De même que Bicker, le gouverneur de la Banque de France. Ils seront présents lorsque vous ferez l’annonce. Vous voulez toujours le faire lors d’un journal télévisé ?

Marc hocha la tête :

« Comment avez-vous obtenu leur appui ?

— Le ministre sait qu’il a tout à gagner en apparaissant du côté des Français et contre les banques.

— Et Bicker ? Il est réputé très rigoureux. C’est Meghain qui lui a demandé de nous soutenir ? »

Leonardo fixa le jeune homme d’un regard froid :

« Nous pouvons être très persuasifs, il désigna son bureau : j’ai ici un dossier sur un proche collaborateur du ministre. Il a rédigé une note favorable sur la Nab. Idem envers le gouverneur. Si ces photos étaient dévoilées ; je peux vous dire que le terme la rigueur ne serait plus applicable à ce monsieur. »

Marc devint livide. Il déglutit : « Vous les faites chanter ? C’est dangereux. La Nab ne doit pas être mêlée à cela ! »

Le visage de son interlocuteur se figea : « Fermez-là et contentez-vous de jouer votre rôle ! »


Quelques semaines avant le JT, au ministère de l’économie et des finances

D’un signe de tête distrait, le chargé de mission remercia l’assistante qui lui amenait son courrier. Le jeune homme étudiait le principe d’une nouvelle taxe. Énarque et prometteur, il avait rejoint les équipes de Meghain deux ans plus tôt. Ambitieux, il apparaissait déjà comme un futur acteur du jeu politique.

Après avoir annoté une conclusion, il se tourna vers la bannette. Sur le haut de la pile, il vit une enveloppe assez épaisse, barrée de la mention : Confidentiel et personnel. Ne pas ouvrir.

« Encore une circulaire soi-disant sensible », soupira-t-il en la prenant. Elle était assez lourde. Surpris, il regarda l’écriture, manuscrite. Ce n’était pas le style du ministère.

À l’intérieur, il trouva un second pli avec la même mention. De plus en plus intrigué, il l’ouvrit d’un geste brusque. Une dizaine de photos en glissèrent. Lorsqu’il vit le premier cliché, son cœur manqua un battement : il s’y voyait, nu, en train de réaliser une fellation à un homme. Un deuxième partenaire se devinait à l’arrière-plan, la scène ne laissant aucun doute sur ce qui se passait. Sa main trembla violemment tandis que la photo, retombée sur le bureau, continuait de le narguer.

Deux coups frappés à sa porte le sortirent de sa torpeur. Il glissa fébrilement les clichés sous un dossier.

Son visiteur reparti, il desserra sa cravate, cherchant sa respiration. Ce contenu pouvait briser sa carrière. Si l’homosexualité n’était plus considérée comme une maladie, elle était toujours foncièrement rejetée par l’opinion publique. Fait aggravant, ces clichés révélaient de véritables orgies. Il serait mis au ban par ses relations.

Son rythme cardiaque s’emballait à nouveau lorsque le téléphone sonna. Il décrocha :

« Vous avez ouvert votre courrier confidentiel ? »

Ses mains se crispèrent sur le combiné, il expira dans un souffle : « oui.

— Très jolies photos n’est-ce pas ? J’aime beaucoup celles où on vous voit donner du plaisir à de multiples partenaires.

— Que… qui êtes -vous ?

— Vous ne souhaitez pas débattre de l’esthétique de ces clichés ? Quel dommage. Les magazines en seront friands.

— Non ! Ne faites pas cela. Dites-moi ce que vous voulez. S’il vous plaît. », fit-il, suppliant.

« Votre ministre va demander un topo sur le lancement d’une banque. Arrangez-vous comme vous voulez, mais vous devez en avoir la charge. »

— B… bien.

— Votre mémo devra être très favorable à ce projet. Démontrez que Meghain aura tout intérêt à la soutenir publiquement.

— Et si je n’arrive pas à le convaincre ?

— Outre ces photos, certains de vos partenaires pourraient témoigner de vos parties de plaisir. Vous n’avez qu’à appuyer sur les points forts et ignorer les autres. Je vous conseille de réussir. »

Quelques semaines avant le JT, Maisons-Laffitte, à 22 H

Le gouverneur engagea sa voiture sur l’avenue Eglé. Il possédait une belle propriété au cœur du parc, et y venait les week-ends. Il avait hâte d’arriver et d’y retrouver sa famille. Alors qu'il tournait dans son allée de traverse habituelle, une berline de couleur sombre le dépassa et s’arrêta brusquement ; l’obligeant à son tour à stopper. Un homme en costume croisé en sortit, tenant un petit cartable. L’individu lui fit signe d’attendre et avant qu’il ne reprenne ses esprits, vint s’asseoir à côté de lui : « Bonsoir monsieur Bicker.

— Qui êtes-vous ? Que signifient ses manières ?

— J’ai besoin de quelques minutes de votre temps. Pourriez-vous garer votre voiture sur le côté ? »

Le gouverneur protesta : il n’avait aucune intention d’obéir à cette injonction.

« Il s’agit de Juliette. »

Bicker se figea : « Que… Il lui est arrivé quelque chose ?

— Garez-vous d’abord. »

Vaincu, il se glissa entre deux arbres, et coupa le moteur. La berline devant fit de même. L’homme sortit un dossier de son cartable et lui tendit : « Jetez-y un coup d’œil. »

Il obtempéra et se figea en contemplant les tirages grands formats. Sur plusieurs de ces clichés, on le reconnaissait, faisant l’amour à une jeune femme. Sur d’autres on voyait cette dernière à genoux devant le banquier, occupée à le satisfaire. Il entendit, comme dans un brouillard :

« Juliette Langlois, vingt-huit ans, est votre maîtresse depuis plus de deux mois. Vous avez couché avec elle très exactement huit fois. Nous avons les photos, les dates et les heures. Pour vous c’est une jeune femme croisée par hasard, alors qu’elle était en panne à la sortie du parc. Vous lui avez proposé de la ramener sur Paris. En fait, cette rencontre fortuite était montée de toute pièce. »

Le gouverneur sortit de sa léthargie et secoua la tête : « Vous mentez ! Juliette ne ferait jamais cela.

— Celle que vous croyez connaître, peut-être. Mais la vraie : sans aucun problème. Nous avons aussi des enregistrements audios. Pensez-vous que vos enfants aimeront entendre vos gémissements ? Ou, que votre épouse, Évelyne c’est cela ? appréciera la fois ou vous avez confié à Juliette à quel point elle était mieux qu’elle ? »

Les épaules puis la tête de Bicker s’affaissèrent. Son interlocuteur continua : « Et vos pairs ? Déjà ce scandale…, et il montra les photos : que diront-ils quand ils sauront qu’entre deux ébats, vous avez divulgué certains secrets bancaires pour impressionner votre dulcinée ? »

Le gouverneur murmura : « Que voulez-vous ?

— Nous pouvons briser votre vie. Vous perdrez votre honneur, votre réputation, votre poste, votre femme et vos enfants. Si vous ne faites pas ce que l’on demande, nous n’hésiterons pas. »

Le gouverneur le regarda, incrédule, comme anesthésié : c’était un cauchemar, il allait se réveiller.

L’homme lui tendit une enveloppe : « Une banque va être lancée. Faites-en sorte que vos services valident son dossier. Donnez-lui du temps, allégez vos contrôles. Enfin, vous devrez dire publiquement tout le bien que vous pensez de cette banque. »

Comme Bicker ne répondait pas, il insista : « Compris ?

— Oui…

— À la bonne heure. » L’individu ressortit de la voiture, puis se pencha dans l’habitacle : « Ne nous décevez pas gouverneur. »

Bicker resta derrière son volant, les yeux fixés sur les arbres qui bordaient l’allée, éclairés partiellement par ses phares. Les photos posées sur ses genoux.

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