Chapitre I-3 : lancement - C'est parti

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Quelques heures après le JT, Marc

Dans la limousine louée pour l’occasion, Marc se relâcha. Il ne s’était pas attardé à la fin du journal. Son départ rapide n’était pas seulement lié à son besoin de décompresser : il se sentait coupable vis-à-vis de Bicker.

Il alluma le poste situé à l’arrière de la voiture et demanda au chauffeur de ralentir pour limiter les perturbations du signal. Il voulait voir les spots publicitaires.

Le premier reprenait les comparaisons de tarifs déjà diffusées. Il clamait : « Ce n’est pas un rêve, mais une réalité. Son nom : la Nab. »

Un commentaire sur l’écran annonçait l'ouverture de la banque et le soutien des pouvoirs publics. C’était bref, rythmé, avec des messages clairs.

Le second présentait les offres, sur le thème « le rêve est en dessous de la réalité » : taux de rémunération de l’épargne majorée pendant un an et prêts immobiliers accordés avec un taux d’intérêt inférieur de 1 % pour tout client ayant une offre ferme d’une autre banque. La charge d’analyse de ces prêts étant supportée par les concurrents, la Nab allégerait d’autant ses frais généraux.

La télévision perdit le signal. Marc éteignit le poste et se cala dans son siège. Peu importe, il connaissait le dernier spot par cœur. Avec une mise en scène futuriste, la Nab fournissait à ses clients un boîtier sécurisé d’une valeur de deux mille francs. Il se connectait au minitel[1] et pouvait lire les cartes de paiement. Il était ainsi possible de réaliser ses opérations financières de chez soi et sans risque. La banque offrait des services à distance dont beaucoup n’étaient pas autorisés chez leurs concurrents, et gratuitement.

Cette approche correspondait à une stratégie à laquelle il croyait fermement : à terme, une grande partie des transactions se ferait par téléphone ou par minitel, sans passer par l’agence. Ce qui réduirait les coûts : c’est le client qui allait faire le travail... en étant heureux de le faire. Pour la Nab qui se lançait, et qui n’avait pas de ressources pléthoriques à occuper, c’était du pain béni.

La limousine traversa la Seine, il était bientôt arrivé. Il repensa à la question du présentateur sur l’actionnariat de la Nab. Officiellement, c’était la Zurich Trust Bank qui avait apporté l’ensemble des capitaux. Soit directement, soit en prêtant à Marc et à CRASH. La présence du syndicat dans le tour de table n’amenait pas grand-chose : pas de fonds, pas de relation publique. Mais Marc restait fidèle à son idéal : il voulait que le syndicat dispose des ressources nécessaires à son fonctionnement.

Dans les faits, la part de la Suisse venait de certains de ses clients ; des Italiens ayant déposé leurs apports dans les comptes de la banque zurichoise. Et lui-même avait en fait payé ses actions avec ses propres deniers, cachés en Suisse.

Un virage serré le tira de sa rêverie : « Laissez-moi là », dit-il au chauffeur ; qui obtempéra et se gara le long du trottoir. Il était à une centaine de mètres de son appartement et d’Elsa. À cette pensée, un sourire éclaira son visage.

Le logement qu’il louait avec sa petite amie était lumineux. C’était un deux-pièces de cadre moyen, situation qu’il occupait il y a quelques mois avant de démissionner de son poste de trésorier.

Il tapa le digicode et prit l’ascenseur. Il songea à sa copine (ils n’étaient pas mariés et il trouvait l’expression ma femme décalée), Elsa. Qu’avait-elle pensé de cette soirée ? Elle était bien sûr au courant de ce lancement et du fait qu’il y jouait un rôle important. Mais elle ne savait pas jusqu’à quel point… et elle ne connaissait rien de sa fortune réelle.

Il ouvrit la porte et entra : « Bonsoir mon amour. »

Elsa lui répondit en se levant du canapé. Pendant qu’ils s’approchaient l’un de l’autre, il admira, comme souvent, la silhouette de la jeune femme : de taille moyenne et des jambes superbes. Son visage avec ses petites fossettes et son regard profond lui donnaient un charme fou. Après un bisou chaste sur la bouche, il la serra dans ses bras. Un frisson parcouru Elsa. Lui-même avait une forte tension nerveuse à évacuer. Leur étreinte devint plus fougueuse. Leurs lèvres se rejoignirent à nouveau, ils s’embrassèrent avec passion. Il passa sa main sous la jupe de la jeune femme.

« Monsieur a demandé l’autorisation ? fit-elle malicieusement, à moitié essoufflée.

— Il me semble que tu devrais déjà être heureuse d’avoir un homme, un vrai, répondit-il, en jouant au macho.

— Tu parles... mais je ne vois rien arriver. »

Ils s’embrassèrent de nouveau. La main de Marc se fit plus pressante. Elle se recula :

« Viens ! »

Plus tard, alors qu’ils étaient allongés côte à côte, elle murmura :

« Je trouve que l’émission s’est bien déroulée.

— J’espère que cela n’aura pas de répercussions sur ton travail. »

Malgré sa jeunesse, Elsa avait déjà grimpé plusieurs échelons et était désormais le bras droit de la responsable du marketing dans une grande banque.

« Je ne crois pas. Notre relation n’est pas publique. Et rien ne les autoriserait à agir de la sorte », répondit-elle après réflexion.

Il ne s’engagea pas plus avant dans la discussion. Il y avait bien des moyens détournés pour bloquer la carrière d’une personne ; voire la contraindre à démissionner. Elle-même le savait d’ailleurs très bien. Sentant la fatigue le gagner, il glissa dans un sommeil réparateur.

[1] Pour nos jeunes lecteurs, retenez que pour 100 francs valaient environ 15 euros. Quant au minitel, c’était en quelque sorte l’ancêtre d’internet. Il s’agissait d’un terminal informatique, avec un affichage uniquement en caractères, qui permettait de se connecter sur des sites en ligne.

Quelques heures après le JT, Bicker


Le dos courbé, le gouverneur de la Banque de France avançait comme un automate. Il avait trompé son épouse qu’il aimait pourtant tendrement… pour éviter de détruire sa famille, il avait accepté de mettre en risque des milliers d’épargnants. Il frissonna : si un krach financier avait lieu, sa vie et son honneur seraient brisés. Il était peut-être encore temps de faire marche arrière… de dénoncer cet hypocrite d’Ancel. Sa femme comprendrait… peut-être. Son pas se fit hésitant. Son sens du devoir lui dictait d’agir mais…

Ses épaules se voûtèrent : il ne dirait rien… pour le moment ! Et il surveillerait la Nab pour protéger ses clients. Bicker ne se rendit pas compte qu’il se mentait à lui-même : ce qu’il appelait un compromis n’était qu’une simple défaite.


Quelques heures après le JT, Radier

Il ne put s’empêcher de sourire devant le miroir : ce projet n’était pas sans risque, mais quel challenge ! Et c’était lui, Radier qui allait le mener à bien.

Quelques mois plus tôt, le patron de la banque zurichoise l’avait contacté : il allait lancer une filiale en France, et souhaitait lui en confier les rênes : « Un de mes conseillers vous expliquera notre stratégie et les moyens que nous y mettons. »

C’est ainsi qu’il avait rencontré Marc Ancel. D’abord surpris par sa jeunesse, il avait fait l’effort de l’écouter. Il avait été conquis par la vision présentée par le jeune homme, et les quatre milliards annoncés montraient le sérieux de l’affaire. La Suisse avait désigné trois représentants au conseil d’administration de la Nab, dont Ancel. Elle avait également imposé le jeune homme dans son rôle de conseiller et porte-parole de la Nab. De facto, Ancel avait la capacité de lui donner un certain nombre de directives. Radier avait d’abord cru que la Suisse cherchait à pouvoir orienter, contrôler et suivre de l’intérieur ce qui allait se passer. Au fil de ces échanges avec Ancel, il était apparu que celui-ci était plus en relation d’affaires avec la banque zurichoise qu’à ses ordres. Ce qui le laissait perplexe sur l’origine du pouvoir du jeune homme.

Ses pensées changèrent de direction. Sur les fonds mobilisés, cinq cents millions avaient servi à recruter le personnel. Le banquier avait débauché les meilleurs éléments chez leurs concurrents. En les payant plus cher. Il était convaincu qu’il valait mieux avoir deux ressources compétentes et motivées que trois peu productives.

Deux cents autres millions avaient été investis dans l’informatique, cent dans un immeuble de back-office. Et quatre cents pour acquérir et aménager les cinquante agences.

Il restait 2,8 milliards. Insuffisant pour se hisser au niveau d’une banque de taille moyenne.

Ancel lui avait répondu : « Nous aurons de nouveaux capitaux. »

Bien qu’un peu sceptique, Radier n’avait plus rien à prouver. Il était impatient de relever le défi. Il se coucha tôt. Il avait prévu des réunions de travail dès sept heures le lendemain.

Quelques heures après le JT Quelque part en France

« Qu’en penses-tu ?

— Il est doué. »

Confortablement installés dans leurs fauteuils, les deux hommes devisaient, un verre à la main.

Le premier, vêtu de manière décontractée et avec un bel accent marseillais reprit :

« C’est quand même un jeunot.

— Ne vous inquiétez pas, boss. Le vrai banquier c’est Radier. Et c’est un bon. »

Celui qui venait de répondre était lui habillé de façon élégante, comme pour une soirée mondaine.

« Il pourrait influencer certaines décisions.

— Il n’a qu’un infime pourcentage du capital. Nos associés ne le laisseraient pas faire… ils ont un homme à eux au conseil d’administration. »


Quelques heures après le JT Quelque part en Italie et en France

« Pronto ?— Il nostro amico in Francia è stato perfetto (Notre ami en France a été parfait).
— Molto bene. L'ufficiale? Il ministro ? (Très bien. Le fonctionnaire ? Le ministre ?)
— Come previsto.
— Ok. Grazie. Continuare la sorveglianza.
Le correspondant français raccrocha et se tourna vers les deux hommes présents dans son salon :

« on continue. Vous ne lâchez pas Ancel. »

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