Chapitre 2-1 : guerre des spots acte 1
Guerre des spots, acte I
Paris
Janvier à mars 1988
Une nouvelle banque. Pas de quoi passionner les Français. Mais élection présidentielle oblige, le gouvernement capitalisa sur sa capacité à promouvoir une telle création. Les médias se focalisèrent sur la relative jeunesse de Marc et interrogèrent son entourage.
Ses proches avaient été dûment préparés. Ils eurent tous la même posture : discrétion tout en laissant passer quelques phrases chocs. Ainsi, avec ses parents : « Ce qui est marquant, c’est le soutien des financiers et des institutions. Son projet vient combler un manque. »
Ou encore avec ses alliés du syndicat CRASH : « Quand il dirigeait notre fédération, Marc était déjà un visionnaire. »
Ces réponses ainsi que l’enthousiasme des chroniqueurs passèrent sous silence certains commentaires plus ambigus. Ce fut le cas pour un ancien membre de la direction de CRASH, écarté depuis, qui critiqua le despotisme de son ex-patron.
Les journalistes s’intéressèrent aussi à la Zurich Trust Bank. Une des chaînes nationales interrogea son fondé de pouvoir pour la France, Frantz Pitter. L’interview renforça l’image de la Nab : le financier s’attendait à un énorme succès.
Plus désagréable, bien que prévisible, fut la réaction des concurrents. Le deuxième établissement du pays, le GIB ou Groupe International de Banque, attaqua par la voie de son charismatique patron : « Comment les politiques peuvent-ils soutenir la création d’une banquette ? Cet interventionnisme n’aide guère la crédibilité de la France ! Ce projet est à l’évidence peu sûr. Et que dire de ses bailleurs de fonds : une banque étrangère inconnue en France, un syndicat au passé houleux, et un jeune homme inexpérimenté ! »
La Nab ne répondit pas à cette agression. Le ministre des Finances rappela que Bievod, le président du GIB, ne s’était pas privé de demander l’appui de l’état lorsqu'il avait été la cible d’une OPA. D’autres ironisèrent : « Bievod pense qu’il est plus qualifié que la Banque de France pour juger la Nab. »
Ces échanges aigres-doux se poursuivirent pendant plusieurs jours pour la plus grande joie des médias. Sans apporter d’éléments de fonds dans le débat.
La bataille se porta sur le front de la publicité sur lequel la Nab avait marqué de sérieux points dès le départ : les principaux établissements du pays préparèrent, chacun de son côté, une riposte en un temps record.
Celle du GIB joua sur la peur. Les clips, très réussis, passaient le message qu’un nouvel arrivant, c’était un risque pour les épargnants. Les images montraient des enfants en pleurs, leurs parents ruinés après la perte de leurs économies.
Celle de la Banque Unifiée, joua le registre de la pauvreté de l'offre de la Nab : Elle ne fournissait pas les services non rentables dont ses clients avaient pourtant besoin.
Enfin, celle de la Caisse de Crédit indiqua que l’important c’était la proximité client pour répondre à leurs attentes. Et non pas leur proposer des produits peu coûteux, mais inadaptés.
Serge Forel, détective de son état et surtout son homme de confiance chargé des missions délicates, appela Marc :
« J’ai besoin de vous voir. Au sujet de vos concurrents. »
Marc demanda à André Radier de le rejoindre. Le bureau du banquier se trouvant de l’autre côté du couloir, il arriva le premier. Costume bleu marine à la coupe raffinée et gilet associé, démarche assurée et posée, chevelure d’une blancheur immaculée, tout en lui dégageait une aura d’élégance feutrée et de sérénité. Forel était sur ses talons. Son style était radicalement différent : le détective était mince, limite malingre. Il portait des costumes de prêt-à-porter légèrement fripés. Cette impression était renforcée par la forme de son visage qui faisait penser à celui d’une fouine. Tout au moins jusqu’à ce que l’on croise son regard, dont la vivacité détonnait dans cet ensemble.
« Nos concurrents nous attaquent. »
Tout en parlant, Forel introduisit une cassette dans le magnétoscope disponible dans le bureau et appuya sur la touche lecture.
Radier fronça les sourcils, surpris : « Cette violence m’étonne. »
— Les clips du GIB et de la Banque Unifiée seront diffusés la semaine prochaine. Celui de la Caisse sera retransmis le lendemain.
— Qu’en pensez-vous André ? », interrogea Marc.
Le banquier fronça légèrement les sourcils :
« Je ne vois que deux explications. La première : nous avons irrité ces grands patrons avec notre tapage médiatique. Ce qui est d’ailleurs fort probable avec Bievod, compte tenu de sa personnalité. La deuxième : ils ont peur que la Nab soit un précurseur pour la concurrence étrangère. »
Marc ne put qu’acquiescer. Radier avait raison. Ce mode de lancement, avec une petite infrastructure à bas coûts, était un bon moyen pour s’implanter en France. Il n’y avait pas songé.
Il revint à sa préoccupation : il fallait riposter.
« Nous devons diffuser des vidéos les mêmes jours. Quelques minutes avant les leurs. On verra des clients qui désertent les banques traditionnelles, pour nous rejoindre. Elles montreront ensuite l’inquiétude de leurs banquiers et leur décision de les manipuler. En jouant sur leur peur de perdre leur épargne. Pour cela, ils lanceront des campagnes que nous résumerons en caricaturant leurs publicités. »
Il désigna la cassette apportée par Forel :
« Et je veux d’autres diffusions en fin de soirée pour contrer sur le fonds chacun de leurs arguments.
— C’est une déclaration de guerre. Mais je suis d’accord, fit Radier en hochant la tête. »
Le banquier et le détective ressortirent du bureau de celui qui apparaissait de plus en plus clairement comme leur patron.
« J’étais dubitatif sur l’intérêt d’utiliser les services d’un détective, avoua Radier avant de poursuivre, mais je dois reconnaitre que vos informations sont précieuses. »
— Merci, dit Forel en souriant.
— N’empêche, je suis curieux de savoir comment vous avez fait connaissance. »
Le regard de son interlocuteur se perdit dans le vague : « Nous nous sommes rencontrés en portant secours à une femme battue. »
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