Chapitre 2-2 : un an plus tôt

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Région Parisienne
Un an plus tôt, en mars 1987

Le nœud coulant autour de son cou lui écrasait le larynx, l’empêchant de respirer. Ses pensées défilèrent à toute vitesse. Lui, le professionnel chevronné s’était fait avoir comme un débutant. Il avait bien appelé la police d’une cabine avant de se risquer dans l’immeuble, mais ils n'arriveraient pas à temps. En parvenant sur le palier et en découvrant la jeune femme inanimée, il s’était précipité, craignant l'irréparable. Alors qu’elle reprenait ses esprits, il l’avait vu agrandir ses yeux de terreur, et avait fait volte-face en dégainant son arme. Trop tard. L’homme l’avait frappé avec une barre de fer. Sur l’épaule d’abord, puis pendant qu’il reculait sous le choc, sur le poignet pour le désarmer. Dans un réflexe désespéré, il avait levé et détendu brusquement sa jambe pour écraser la main de son assaillant contre le mur avec son pied, le contraignant à lâcher sa barre. Mais son geste l’avait déséquilibré et il était tombé à quatre pattes. Son agresseur avait bondi sur son dos en enroulant une lanière autour de son cou.

Sa vision commença à se brouiller. La jeune femme, qui s’était péniblement relevée, tenta d'agripper son attaquant. Un violent uppercut au menton la renvoya au sol, à moitié sonnée. L’homme resserra sa prise sur Forel avant qu’il ne puisse en profiter. C’était fini. Le détective vit apparaître des points noirs, ses pensées devinrent confuses.

Alors qu’il sombrait, il ressentit un mouvement brusque au-dessus de lui. Son assaillant glissa sur le côté et lâcha la lanière. Un homme était en train de lui asséner des coups violents à la tête. Mais l’agresseur était une force de la nature. Contre toute attente, il se redressa et expédia son poing dans l’estomac du nouvel arrivant et l’envoya rouler dans les escaliers. Sortant un cran d'arrêt, il le déplia et se précipita sur le détective. Forel, encore étourdit, eut une poussée d’adrénaline. En tâtonnant, il mit la main sur son arme restée à proximité et parvint à faire feu au moment où l’autre s’abattit sur lui.

Au fracas de la détonation succéda un silence de plomb. Forel fit basculer l’agresseur, mort sur le coup, sur le sol et s’assit contre le mur pour récupérer. Le jeune homme qui lui avait sauvé la vie déboucha sur le palier et fixa la scène sans bouger.

« Marc ? », la jeune femme s’était relevée et s’approchait prudemment, partagée entre l’espoir d’être enfin débarrassée de son tortionnaire et la crainte de ce que signifiait sa mort.

« Vous vous connaissez ? »

Marc hocha la tête. « Nous étions voisins à Grenoble. J’ai témoigné au procès contre cette ordure », et il désigna le corps.

Le détective tenta de se relever. Une violente douleur au flanc l’en dissuada. Le poignard lui avait fait une profonde enfilade.

La jeune femme se précipita : « Je vais vous aider. »

— C’est gentil, mais il y a plus urgent. Vous êtes Sylvie ? fit-il en grimaçant.

— Oui. Qui êtes-vous ? fit-elle, méfiante.

— Un détective. Je donne de temps en temps un coup de main à une association contre les violences domestiques. »

Il se mordit la lèvre, et continua de manière hachée : « Elle m’a prévenue que votre ex avait été libéré… qu’il vous recherchait malgré l’interdiction de vous approcher… Un de mes contacts dans la police m’a fourni le nom de son hôtel... Je l’ai suivi. Quand je l’ai vu entrer dans votre immeuble… Sans vous… », et il fit un geste vers Marc qui hocha la tête : « C’est aussi pour cela que je suis ici. Sylvie venait d’apprendre que ce monstre avait réussi à avoir son adresse auprès d’un proche. »

La douleur devenait insupportable, il grimaça et parla en bougeant le moins possible sa poitrine : « Vous vivez ensemble ? »

La jeune femme fit un geste de dénégation : « Depuis la perte de mon bébé et l’arrestation de Roger, Marc m’a beaucoup aidée. »

Le visage de Marc s’assombrit : « Mais je n’ai pas réussi à sauver ton fils. »

Forel réprima un spasme de douleur, et se décida : « Vous ne pouvez pas rester ici. La police aura l’impression que nous lui avons tendu un piège pour l’éliminer.

— Mais nous pouvons témoigner, s’exclama Sylvie.

— Et il est devant chez elle, rajouta Marc.

— Et alors ? Sa victime, un détective qui œuvre contre ce genre d’individus violents, et un jeune homme qui s'est dressé contre ce Roger il y a des années se retrouvent en même temps que lui dans cet immeuble. Cela va sentir le coup monté. Filez ! »

Marc hésita : « Et vous ?

— J’ai appelé la police pour l’avertir. Et j’ai les marques sur mon cou et ma blessure au flanc... Et son témoignage », dit-il en montrant Sylvie d’un mouvement de la tête.

Marc, pressé de se soustraire à l’averse de grêle, s’engouffra dans le troquet préféré de Forel, près du boulevard Pereire. Le bar était plein, pris d’assaut par les passants cherchant à se mettre à l’abri de la giboulée. Marc commanda une bière et rejoignit le détective déjà attablé dans un coin.

L’instruction débutait à peine, mais les inspecteurs avaient conclu à de la légitime défense. Les propos du privé et de Sylvie avaient été corroborés par ceux d’un voisin qui avait entendu, terrifié, les bruits de lutte, et seulement après, un coup de feu. Par chance, il n’avait pas capté la discussion qui avait suivi le tir.

Forel leva sa bière en faisant attention de ne pas forcer sur sa cicatrice :

« Je vous dois la vie. Merci. »

Ils trinquèrent.

« J’étais juste là au bon moment.

— Trêve de modestie. J’ai interrogé Sylvie sur vous. »

Le visage de Marc se crispa. Il resta silencieux.

« Ne faites pas cette tête. Elle m’a tout raconté. Vous vous en voulez pour la mort de son bébé. Mais vous n’y êtes pour rien. Vous êtes même intervenu plusieurs fois pour l’aider.

— Pour ce que cela a servi ! »

L’exclamation avait jailli avec force ; Marc se mit à trembler. Le détective reprit en parlant doucement, la voix presque couverte par le brouhaha ambiant. :

« Vous êtes allé par deux fois frapper à leur porte quand vous entendiez la violence de leur altercation. Par trois fois, vous avez appelé la police.

— Et alors ? J’ai laissé ce monstre avec elle.

— Vous aviez 17 ans. Vous ne pouviez pas savoir que les visites des flics seraient insuffisantes. Pas un de vos voisins ne s’est manifesté à l’époque. Ni avant ni après le drame. »

Marc fit la moue, et détourna la conversation : « Et vous. Pourquoi aidez-vous les associations de femmes et enfants battus ? »

Tournant la tête, le détective regarda sans les voir les rares passants hâter le pas sous l’averse qui s’était transformée en pluie glacée. Il hésita. Avec le temps, il s'était blindé et avait verrouillé cette tragédie. L’idée de revivre ces scènes de son passé l’oppressait.

« C’est une longue histoire.

— Vous ne vous en tirerez pas comme cela. Vous connaissez mes motivations. Je veux connaître les vôtres. »

La tête toujours orientée vers la rue, il ferma les yeux. C’était si lourd à porter… il sentit ses barrières se rompre dans un flot libérateur : il avait eu une grande sœur qui s’était mise en couple à 19 ans. Très vite, elle était devenue terne. Un jour, elle était arrivée à un déjeuner de famille avec la joue violacée, prétendant avec force qu’elle était tombée. Ses parents, à moitié convaincus, l’avaient laissé repartir. Deux mois plus tard, elle était morte, sous les coups de son bourreau.

Le visage de Forel s’était fermé. Il grinça et se retourna vers Ancel : « J’avais quinze ans. Je sentais qu’il se passait quelque chose, mais je n’ai pas osé intervenir. Mes vieux disaient qu’il fallait d’abord en être sûr. »

Les deux hommes restèrent silencieux.

Forel se reprit : « En tout cas, je vous en dois une. Si un jour vous avez besoin de moi, n’hésitez pas. »

Marc le scruta intensément : « Plus tôt que vous ne le pensez. »

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