Chapitre 3-2 : faces cachées - deux ans plus tôt
Deux ans plus tôt… juillet 1986
Promotion Unifiée
Filiale de la Banque Unifiée
Paris
Le cœur battant, Marc détacha difficilement son regard de l’ordre de virement qu’il venait de signer en tant que trésorier.
« Quand il faut y aller, il faut y aller. »
Il décrocha son téléphone et appela la Banque Unifiée :
« Promotion Unifiée va financer une très grosse opération. Il y aura des flux de prêts et de remboursements tous les mois. J’émets un ordre de virement de cinq cents millions sur le compte de notre emprunteur à Lyon. »
Il raccrocha. Pour son employeur et la banque, c’était certes une grosse opération, mais pas exceptionnelle. Quant au bénéficiaire du prêt, c’était une société qu’il détenait sous un faux nom.
Les mains tremblantes, il se leva pour envoyer son fax, ainsi qu’un deuxième à Lyon, au nom de l’emprunteur. Pour ordonner que les liquidités à venir soient placées sur le marché monétaire. Des centaines de milliards y étaient échangées quotidiennement entre banques et grandes entreprises pour couvrir leurs besoins de trésorerie.
En croisant une de ses collègues dans le couloir, son cœur se figea. L'avait-elle dévisagé avec insistance ? Il était encore temps... il suffisait qu’il retourne s’asseoir à son bureau. Arrivé dans le local du fax, il expira l’air qu’il avait bloqué dans ses poumons. Personne. Il se décida et plaça sa première feuille dans l’appareil.
Le 28 juillet, il refit les deux opérations en sens inverse. Au nom de l’emprunteur, il rapatria les fonds placés et remboursa à Promotion Unifiée les cinq cents millions reçus en début de mois.
Deux millions et demi restaient sur le compte de l’emprunteur, le début de son trésor de guerre. Ils correspondaient aux intérêts perçus pour les trois semaines de placement sur le marché monétaire. Il les vira dans une autre banque, au nom d’une autre entreprise bidon.
Le 31 juillet, il procéda à une dernière transaction. En tant qu’adjoint du service comptabilité, il se connecta à l’application de lettrage. Ce logiciel servait à comparer les écritures comptables de Promotion Unifiée avec les mouvements réels passés en banque. Il permettait aussi de lier entre eux deux mêmes montants de sens contraire lorsqu’il s’agissait d’une erreur et de sa régularisation. Sur les opérations de la banque, il lia le virement-débit du début de mois au remboursement-crédit qui venait d’arriver. De cette manière ces deux flux, qui pris ensemble n’avaient pas d’impact sur le solde du compte, n’apparaîtraient plus comme étant à justifier. Cela tombait bien puisqu’en fait ce prêt n’existait pas !
En sortant du bureau en fin d’après-midi, il avait le pas léger. Tout avait été si simple. En tant que trésorier, il avait le droit d’émettre des virements, et en tant qu’adjoint à la comptabilité, il avait la main sur les contrôles. Dès lundi prochain, il recommencerait l’opération pour le mois d’août. Le plus beau, c’est que par ailleurs, il allait recevoir une jolie prime : il avait rationalisé et baissé drastiquement les coûts de refinancement de Promotion Unifiée, lui faisant économiser plusieurs dizaines de millions par an… de quoi couvrir largement le manque à gagner de sa fraude.
Devant les passants surpris, il esquissa un pas de dance tout en chantonnant « We are the champions[1] ».
[1] Chanson de 1977 de Queens.
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