Chapitre 7-3 : mise en place - Le financement
Paris
Fin janvier 1989
Le PDG de la Nab s’apprêtait à quitter le bureau lorsque son patron l’interpella : « Tu n’avais pas un dernier point à soulever ? »
Confus, Radier revint sur ses pas : « J’étais tellement absorbé par ton idée que je l’avais oublié. »
Il marqua une pause. C’était un point épineux… et il n’était plus sûr de sa position, séduit par le côté visionnaire que son patron venait une nouvelle fois de révéler. Mais l’enjeu était trop élevé, il lui fallait en parler. Après un raclement de gorge, il se lança :
« Tu comptes transférer tes parts de la Nab dans la holding CFIA Bank. Et tu recapitalises ton conglomérat… mais tu ne disposes pas de fonds suffisants. »
Son patron resta immobile. Devant son silence contraint d’Ancel, Radier poursuivit : « Et tu empruntes à la Nab. »
Marc resta coi : on approchait du cœur du sujet.
« C’est là que ça me gêne. Tu demandes un prêt de quatre millions pour augmenter ton apport dans ta holding de tête, la CFIA.
— Il a pour garanties mes parts dans cette holding. Et j’y ajoute huit millions de plus.
— Qui proviennent de la vente de tes actions dans la Nab à CFIA Bank… que tu avais acquises pour seulement quatre millions. »
Son patron esquissa un sourire : « La Nab est dans une bonne dynamique. Il est normal que sa valeur augmente.
— C’est artificiel ! Tu te vends ces parts à toi-même... en majorant leur prix au passage. »
Marc redevint sérieux : « C’est cette auto-évaluation qui te gêne ? »
Radier secoua sa crinière : « C’est l’ensemble. Avec ce montage tu disposes de douze millions que tu injectes dans ta holding CFIA. Qui à son tour nous demande un autre prêt de six millions, portant ainsi ses capacités à dix-huit millions… Qu’elle va investir dans tes différentes entreprises qui vont à leur tour emprunter neuf millions supplémentaires sur la base de ces fonds propres. ».
Le banquier avait levé les mains pour montrer les apostrophes, il continua : « In fine tu disposes donc d’un capital de vingt-sept millions… pour un apport de ta part de huit millions. Et encore en doublant la valorisation de tes parts dans la Nab ! ».
Ce fut au tour de Marc de lever la main : « Il n’y a rien d’illégal là-dedans.
— Peut-être. Mais en tant que banquier, je dois penser aux actionnaires. Tu joues avec l’argent de la Nab. Ce n’est pas le tien ! »
Radier avait haussé le ton. Les deux hommes se dévisagèrent : c’était la première fois qu’ils avaient un vrai désaccord ; et ils savaient que les conclusions de cet échange seraient déterminantes. Radier ne doutait plus qu’Ancel soit capable de créer un empire économique… Mais comme tous les entrepreneurs de sa trempe, il avait une part d’ombre qui le conduisait à jouer avec les réglementations. Voire à les contourner ou les enfreindre le temps de passer un cap difficile !
Marc garda un ton calme et apaisant : « Le risque est minime. Je comprends ton point de vue, mais cette accélération est clef pour notre réussite.
— Tu es un des actionnaires, cela pourrait être qualifié d’abus de bien social. C’est du pénal, soupira le PDG. »
Un silence lourd s’installa, que Marc finit par briser :
« Que proposes-tu ? »
Radier soupira. Il était au pied du mur, partagé entre son envie de voir son ami réussir et par là même sécuriser l’avenir de la Nab, et son devoir de protéger sa banque.
« Ce montage n’est pas illégal en soi. Même si cela s’apparente à une pyramide de Sponzi[1]. Une partie de ces emprunts doit venir d’autre part que la Nab.
— Je vois mal d’autres banques accepter de prendre ce risque… Même sans avoir la vision d’ensemble de nos dettes.
— On peut contourner ça, le PDG prit son inspiration : la Nab peut accorder les prêts en ton nom personnel. Ces fonds te permettront d’emprunter le reste ailleurs. »
Marc hocha la tête, songeur : « Le refinancement de notre activité bancaire est sensible… Si on emprunte à une autre banque, cela va jaser. »
— Utilise une holding intermédiaire pour obtenir ce prêt. C’est elle qui investira dans CFIA Bank. »
Le banquier stoppa ses explications, confus : il aidait Ancel à passer sous les radars !
Marc se leva d’un bond pour lui serrer la main. « Merci André. Je m’y mets tout de suite.
Radier, à contrecœur, lui rendit sa poignée de main. Il ne put s’empêcher de lâcher : « Je n’ai qu’une seule demande : ne nous plante pas ! »
Quelques semaines plus tard, Marc et Malta finalisèrent la proposition de Radier. Les demandes de prêts furent déposées auprès des banques concernées. Lorsque le juriste présenta le montage final à Ancel et Radier, ce dernier sortit une bouteille de champagne d’un petit réfrigérateur dissimulé dans un meuble en noyer : l’internationalisation de la banque pouvait démarrer !
[1] Système où l’on promet un bénéfice qui provient en réalité d’une ponction sur les fonds des investisseurs. Ces gains en appâtent de nouveaux, dont les contributions serviront à verser une rémunération aux premiers apporteurs et ainsi de suite. Le dispositif pyramidal fonctionne tant que les nouveaux apports sont supérieurs aux gains (fictifs) à restituer. Il doit son nom à Charles Ponzi qui spécula sur les marchés internationaux en promettant un rendement de 50 %. Lorsque tout s’écroula, on estime que les investisseurs ne purent récupérer que 1/3 des fonds placés.
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