Chapitre 7-4 : L'annonce

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Palais de la découverte, Paris
Lundi 13 février 1989, 19H05

Radier examina l’auditorium plein à craquer de journalistes. En laissant filtrer qu’il y aurait des annonces décoiffantes, Taitbon avait fait du bon boulot. Elle avait même fait venir les chaines nationales britanniques et allemandes, ce qui par ricochet avait renforcé l’intérêt des médias français pour cet événement.

La directrice marketing, très séduisante avec sa robe noire format tailleur cintrée et s’arrêtant au-dessus du genou, monta sur l’estrade avant de demander au PDG de la rejoindre. Il grimpa sur scène sous les applaudissements. Dans un balai bien réglé ils annoncèrent :

« L'année a été excellente, avec une marge de 242 millions pour un résultat net presque à l’équilibre, soixante-huit mille clients pour mille cinq cents collaborateurs, et un bilan de six milliards. Nous avons clairement gagné notre pari. »

Quelques reporters économiques levaient déjà la main. Taitbon leur proposa d’attendre deux minutes. Elle leur diffusa un petit film illustrant le dynamisme de leurs employés et le satisfecit de leurs clients, heureux de se connecter à distance.

Radier répondit ensuite à quelques questions sur la stratégie : « Continuer une croissance forte. Tout en étant moins couteux et plus modernes que la concurrence. Avec une approche innovante. »

Un reporter lui demanda un exemple. Cette question était prévue : les équipes d’Amandine Lamare, en charge de l’organisation, l’avaient soufflée aux participants. Le banquier se tourna vers Taitbon : « Marie, je te laisse traiter le sujet ?

— Avec plaisir »

Très à l’aise, elle arpenta la scène pour ponctuer son discours, et présenta le concept du conseiller « qui se déplacera sur vos lieux de vie ou de travail. »

De bonne grâce, elle répondit à quelques questions, avant d’embrayer en indiquant qu'il y avait d'autres nouvelles. Cette mise en bouche calma la salle, alléchée par de nouvelles révélations.

Elle ouvrit élégamment son bras vers le banquier :

« André. Vous vouliez faire une annonce ?

— En effet. Nous avons pour le moment beaucoup discuté de la Nab. Et au vu de sa performance, c’est normal. Mais elle n’est que la première pierre d’un groupe à vocation internationale. Et il est temps de le mettre en place. »

Radier avait parlé posément, sans gestes superflus. Les questions se mirent à fuser. Il finit par lever le bras pour réclamer le silence : « Laissez-moi juste quelques secondes. Vous pourrez m'interroger ensuite ». Il se tut, attendant que le brouhaha s’apaise :

« Nous venons de fonder la CFIA Bank pour Compagnie Financière Internationale Anonyme de Bank. Cette holding détient les parts du groupe dans la Nab, ainsi que dans deux autres banques que nous créons. S’il vous plait encore un instant ! dit-il, car le public recommençait à s’agiter : il s’agit de The New British Bank ou NBB à Londres ; et de Die Neue Deutche Bank ou NDB en Allemagne. »

Les reporters se déchainèrent. Y compris ceux des télévisions anglaises et allemandes, qui avaient suivi par le biais d’une traduction simultanée.

Par courtoisie, Taitbon donna d’abord la parole aux Anglais et Allemands :

« Thank you », fit le correspondant de la BBC avant de demander si la NBB était déjà opérationnelle.

Radier se tourna vers le coin de la scène : « Sir Wilson ? ». Pendant que ce dernier s’avançait, il le présenta : « Sir Wilson a été un brillant adjoint au gouverneur de la Banque d’Angleterre… Et il nous fait le plaisir et l’honneur de nous rejoindre comme chairman de notre filiale britannique ! », dit-il en l’applaudissant.

L’anglais, grand et sec, ajusta le micro à sa hauteur, avant d’affirmer que sa banque était opérationnelle. À une autre question, il précisa que tout le royaume était visé, avec une priorité donnée à Londres et les grandes villes. La dernière interrogation concernait l’actionnariat. Ce fut Radier qui répondit : « Son capital est détenu à 100 % par la CFIA Bank et la Nab. »

Puis André fit appel à Muller. Il le remercia d’avoir accepté de quitter son poste, à la tête de la WestBank, pour prendre la tête de la NDB. Les points traités furent sensiblement les mêmes. Toutes les grandes villes d’Allemagne étaient visées, en commençant par Francfort, l’épicentre financier de la RFA [1].

Dans la foulée, Taitbon révéla la nomination d’Ourant comme directeur général de la Nab.

Un reporter leva la main : « Qui est le président de CFIA Bank ? C’est Ancel ? »

Avec assurance, devant cette question elle aussi prévue, elle suggéra : « Le mieux c’est de laisser le principal intéressé en parler. »

Marc monta sur scène avec, encore une fois, les mains moites, il prit une inspiration :

« Bonsoir à tous. Je suis ravi d’être parmi vous. Pour vous répondre : non, je ne suis pas le président de la CFIA Bank. »

— Qui est-ce alors ?

— Le seul qui a l’envergure pour faire de ce groupe bancaire un des leaders du monde financier de demain : bravo André ! »

Se tournant vers lui, il se mit à l’applaudir, suivi en cela par toute la salle.

Le banquier hocha la tête en guise de remerciement. Le répit de Marc fut de courte durée, déjà une journaliste levait la main :

« Monsieur Ancel, vous mettez-vous en retrait ? Est-ce une volonté des associés de la Nab ? ». Elle enchaina en demandant si la Zurich Trust Bank était l’actionnaire principal de la CFIA Bank.

C’est le moment des dernières grandes annonces de la soirée, se dit Amandine Lamare en se mordillant les lèvres, assise sur le côté de la salle.

Marc laissa le silence s’installer.

« Non, la Zurich Trust Bank n’est pas actionnaire de CFIA Bank. »

Pour prévenir la salve de questions qui s’annonçait, déjà il leva le bras, main en avant : « Attendez, laissez-moi terminer. »

Quelques journalistes essayèrent de poser leurs questions, Marc rabaissa ses mains et resta muet, le temps que la salle se calme à nouveau.

« J’ai une dernière déclaration. Je vous remercie de me la laisser dérouler jusqu’au bout. Nous ne ferons pas d’autres commentaires ce soir.

— Ça y est, il a été écarté et il va annoncer qu’il se retire, murmura un des reporters à son voisin, qui hocha la tête.

— J’ai demandé à André de prendre la direction de CFIA Bank, car c’est LA Personne qu’il faut à ce poste. La Nab est un vrai succès, et André en est le maitre d’œuvre. Pour ma part, il est temps pour moi de m’orienter vers mes autres objectifs. »

Il marqua une pause en faisant signe qu’il n’avait pas terminé. Son regard croisa celui d’Amandine : qu’elle est sexy, se dit-il.

« L’actionnaire unique de CFIA Bank est la Compagnie Financière Internationale Anonyme ou CFIA. Société dont je suis à la fois le propriétaire et le président. »

Le brouhaha redémarra de plus belle, obligeant le jeune homme à forcer la voie pour le couvrir : « Pourquoi ai-je créé cette société ? Parce qu’elle a va être le vaisseau amiral d’un groupe dont le pan le plus important est bien évidemment la banque. Mais ce n'est pas le seul ! »

Sa voix était encore montée afin de capter l’attention de son auditoire : « Nous lançons deux autres activités : dans le monde agricole et dans la distribution de produits frais. ».

Cette déclaration était tellement inattendue que la salle resta silencieuse. Il en profita :

« Nous montons des sociétés communes avec des agriculteurs. Afin de les aider à se moderniser. Regroupés, nous n'aurons pas à subir le joug des centrales d’achats ».

Devant un parterre stupéfait, il enchaina sur la distribution qui allait écouler cette production, et termina avec humour : « Je vois que nous avons réussi à vous laisser pantois ; avec des journalistes, c’est un véritable tour de force ! Je vous remercie et vous souhaite une bonne soirée. »

Tendant le micro à Taitbon, il s’éclipsa sans répondre au déferlement de questions.

Dans sa voiture garée deux pâtés de maisons plus loin, Marc commençait seulement à se détendre. Dès qu’il s’était éclipsé de la scène, il était sorti du bâtiment. Respectant en cela la stratégie élaborée avec les équipes d’Amandine : ne pas donner prise à d’autres questions, aiguiser la curiosité des journalistes et laisser ainsi la rumeur enfler. Amandine, justement, se dit-il : elle aurait déjà dû me rejoindre !

Il rongeait toujours son frein quand la jeune femme ouvrit la porte et se glissa côté passager. Dans le mouvement, sa jupe fendue découvrit son galbe parfait, ce qui l’enflamma immédiatement.

Les deux amoureux s’embrassèrent fougueusement et les mains de Marc devinrent baladeuses.

« Non pas ici, dit-elle : on pourrait nous voir et surtout te reconnaitre. Tu as combien de temps ?

— Il faudrait que je sois chez moi entre minuit et une heure, fit-il en faisant la grimace.

— C’est court, laissa échapper Amandine, puis se reprenant : allons chez moi ! »

Il rentra chez lui à une heure et demie du matin passé et se glissa discrètement dans le lit. Il ne se douta pas qu’Elsa était éveillée. La jeune femme avait de plus en plus de soupçons : Marc avait décliné sa proposition de l’attendre en coulisse et ses prétextes et excuses ne l’avaient pas convaincue. Elle était donc restée toute la soirée à se morfondre. La vue du journal télévisé qui avait relayé l’événement n’avait fait que lui serrer un peu plus le cœur. Elle était contente de sa réussite, mais elle sentait leur couple se dissoudre. Et ses doutes lui torturaient l’esprit… sans relâche.

[1] République Fédérale de l’Allemagne de l’Ouest.

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