Chapitre 7-4 : L'annonce

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Palais de la découverte, Paris
Lundi 13 février 1989, 19H05

Radier balaya l’auditorium d’un regard satisfait. Les journalistes s’entassaient jusqu’aux rangs du fond. Taitbon avait insisté : l’aura de la Nab était essentielle pour sa croissance. La directrice marketing avait promis des annonces majeures, et la présence des chaînes nationales britanniques et allemandes avait, par ricochet, renforcé l’intérêt des médias français.

Vêtue d’un tailleur noir impeccablement ajusté, Taitbon gravit l’estrade et invita le PDG à la rejoindre. Il grimpa sur scène sous les applaudissements, et dans un balai bien réglé ils dévoilèrent les excellents résultats de la Nab.

Des mains se levaient déjà. Radier dû apporter quelques précisions sur la stratégie : « Continuer une croissance forte. Tout en étant moins coûteux et plus modernes que nos concurrents. Avec une approche résolument innovante. »

Un reporter lui demanda un exemple. C’était prévu : les équipes d’Amandine Lamare, en charge de l’organisation, avaient soufflé cette question aux participants. Le banquier se tourna vers Taitbon : « Marie, tu veux répondre ?

— Avec plaisir »

Déambulant sur scène, elle présenta le concept du conseiller « qui se déplacera chez vous ou à votre travail. »

De bonne grâce, elle répondit à quelques questions, avant d’indiquer qu'il y avait d'autres nouvelles. Elle ouvrit élégamment son bras vers le banquier :

« André. Je crois que vous aviez une annonce importante ? »

Le banquier s’avança, posant sa voix :

« En effet. Jusqu’ici, nous avons beaucoup parlé, à juste titre, de la Nab. Mais il est temps de voir plus grand. »

Il s'était exprimé posément, sans gestes superflus. Le brouhaha repris de plus belle. Il dut lever le bras pour réclamer le silence : « Je vous demande quelques secondes. Vous pourrez m'interroger ensuite ». Il se tut, attendant que le tumulte s’apaise :

« Nous venons de fonder la CFIA Bank : la Compagnie Financière Internationale Anonyme de Bank. Marc Ancel a transféré ses parts dans la Nab à cette holding, qui vient aussi d’investir dans deux nouvelles banques. S’il vous plaît encore un instant ! Il s’agit de la New British Bank ou NBB à Londres ; et de Die Neue Deutche Bank ou NDB en Allemagne. »

La salle explosa, les questions pleuvaient. Par courtoisie, Taitbon donna d’abord la parole aux journalistes étrangers, qui avaient suivi par le biais d’une traduction simultanée.

« Thank you, fit le correspondant de la BBC, la NBB est-elle déjà opérationnelle ? »

Radier se tourna vers le coin de la scène : « Sir Wilson ? ». Pendant que ce dernier s’avançait, il le présenta : « Sir Wilson a été un brillant adjoint au gouverneur de la Banque d’Angleterre… Et il nous fait le plaisir et l’honneur de nous rejoindre comme chairman de notre filiale britannique ! », dit-il en l’applaudissant.

L’anglais, grand et sec, ajusta le micro à sa hauteur : « La New British Bank ouvrira dès demain, à Londres et dans plusieurs grandes villes britanniques. »

De son côté Radier répondit à une interrogation concernait l’actionnariat : « Son capital est détenu à 100 % par la CFIA Bank et la Nab. »

Puis ce fut au tour de Muller, un ancien cadre de la WestBank, de s’exprimer sur la Die Neue Deutche Bank. Il précisa que la NDB se concentrerait d’abord sur les grandes villes d’Allemagne, en commençant par Francfort, l’épicentre financier de la RFA[1].


Dans la foulée, Taitbon annonça la nomination d’Ourant comme directeur général de la Nab.

Un reporter leva la main : « Qui est le président de CFIA Bank ? Marc Ancel ? »

Préparée, Taitbon sourit :

« Je crois que le principal intéressé va vous répondre. »

Marc monta sur scène avec, encore une fois, les mains moites. Après une brève inspiration, il se lança :

« Bonsoir à tous. Pour répondre à votre question : non, je ne suis pas le président de la CFIA Bank. »

— Qui alors ?

— Le seul capable de transformer ce groupe en un leader de la finance : bravo André ! »

Marc se tourna vers Radier, lançant des applaudissements que tout le monde reprit.

Le banquier salua brièvement, mais déjà une journaliste levait la main :

« Monsieur Ancel, vous mettez-vous en retrait ? C’est un choix personnel ou une décision des associés de la Nab ? Et la Zurich Trust Bank ? C’est elle l’actionnaire principal de la CFIA Bank ? »

Assise sur le côté, Amandine Lamare se mordilla les lèvres. C’était le moment des dernières annonces.

Marc laissa le silence s’installer avant de répondre d’un ton calme.

« La Zurich Trust Bank n’est pas actionnaire de CFIA Bank. »

Anticipant un flot de questions qui s’annonçait, il leva le bras pour réclamer le silence : « S’il vous plaît ! »

Quelques journalistes insistèrent, Marc rabaissa ses mains et resta muet, le temps que la salle se calme à nouveau.

« J’ai une dernière déclaration. Je vous remercie de me la laisser dérouler jusqu’au bout. Nous ne ferons pas d’autres commentaires ce soir. «

Un murmure parcourut l'assemblée. Un reporter glissa à un de ses voisins :

— Ça y est, il a été écarté. Il va annoncer qu’il se retire.

— J’ai confié la direction de CFIA Bank à André, car c’est LA Personne qu’il faut à ce poste. La Nab est un succès, et c’est son œuvre. »

Son regard croisa celui d’Amandine, lui faisant perdre momentanément le fil de ses pensées. Il se reprit :

« L’actionnaire unique de CFIA Bank est la Compagnie Financière Internationale Anonyme ou CFIA. Société dont je suis le propriétaire et le président. »

Le jeune homme leva la voix pour couvrir le brouhaha qui redémarrait de plus belle : « Pourquoi cette société ? Parce qu’elle sera le vaisseau amiral d’un groupe aux ambitions bien plus large que la banque ! »

Il haussa de nouveau le ton pour conserver l’attention de son auditoire : « Nous allons créer des coopératives agricoles. Nous moderniserons les exploitations, et regroupés nous serons en position de force vis-à-vis des centrales d’achats. »

Devant la salle médusée, il enchaîna sur la distribution, annonçant la mise en place de circuits dédiés pour écouler cette production agricole.

Il termina avec humour : « Vous êtes sans voix ? Pour des journalistes, c’est un exploit ! Merci et bonne soirée. »

Tendant le micro à Taitbon, il disparut sans répondre au déferlement de questions.


Patientant dans sa voiture, Marc n’arrivait pas encore à relâcher la pression de la soirée. Il était sorti du bâtiment dès qu’il s’était éclipsé de la scène. Respectant en cela le plan élaboré par les équipes d’Amandine : ne pas donner prise aux journalistes, attiser leur curiosité et laisser ainsi la rumeur enfler. Amandine… elle aurait déjà dû être là. Où était-elle ?

Il tambourinait nerveusement le volant du bout des doigts quand enfin elle ouvrit la portière passager et prit place. Marc vit sa jupe s’entrouvrir brièvement, dévoilant ses courbes élégantes. Son cœur manqua un battement.

Avant qu’il ne puisse dire un mot, elle l’embrassa fougueusement. Les mains de Marc devinrent baladeuses.

« Pas ici, murmura-t-elle, on pourrait nous voir. Tu as combien de temps ?

— Je dois être chez moi peu après minuit, fit-il avec une grimace.

— C’est court, laissa échapper Amandine, puis se reprenant : allons chez moi ! »

***

Le bruit sec de la porte tira Elsa de sa somnolence. Elle tourna la tête vers le réveil : une heure et demie passée. Sa soirée avait duré aussi longtemps ?

Elle entendit les pas feutrés de Marc. Il se glissa doucement dans le lit. Elle resta immobile, les yeux fermés, la respiration la plus paisible possible. Elle repensa à la façon dont il avait botté en touche lorsqu’elle lui avait proposé de l’attendre dans les coulisses. Marc s’éloignait d’elle, c’était certain. Était-ce son travail ? Ou autre chose… quelqu’un ? Une larme roula sur sa joue... Ce doute lui torturait l’esprit… sans relâche.

[1] République Fédérale de l’Allemagne de l’Ouest.

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