Chapitre 8-1 : observations - Les répercussions
Siège du groupe CFIA
Paris
Mardi 14 février
Autour de la grande table du conseil, Taitbon exposait les retours de la presse. Malta, quasiment bilingue, traduisait ses propos pour leurs collègues européens.
Les titres des journaux étaient élogieux envers la banque : La Nab part à la conquête de l’Europe ; La Nab, toujours à la pointe, va à la rencontre de ses clients sur leurs lieux de vie ; La création d’un groupe français ; d’autres se focalisaient sur Marc et son groupe sur le mode : Un self-made man à l’américaine, ou Une entreprise humaine, en aide au monde agricole.
Outre-manche et en Allemagne, on ne parlait que de la New British Bank et de la Neue Deutsche Bank et de leurs présidents : leur origine française était à peine citée.
La presse économiques était à l’avenant. Seul l’un des quotidiens précisait que l'associé principal de la Nab n’était pas la CFIA Bank, mais la banque suisse : On ne peut donc savoir qui a un contrôle réel sur ces banques. Selon que ce soit la Nab ou la CFIA Bank leur actionnaire de référence.
Marc voulait répondre et montrer que la CFIA Bank appartenait bien à la CFIA. Malta l’en dissuada. Ce quotidien restait positif, et communiquer l’information pouvait mener à d’autres difficultés qu’il énuméra sur ses doigts :
« 1, le capital de ces banques est trop faible. 2, cela pourrait révéler nos financements croisés. 3, cela confirmera ses doutes : juridiquement la NDB et la NBB sont des filiales de la Nab et donc de Zurich Trust Bank. »
Muller et Sir Wilson prenant congés pour attraper leur avion de retour ; André demanda à Muller de saluer de sa part Hammerstein, son ex-adjoint à la WestBank qu’il avait également débauché. Ourant et Taitbon s’éclipsèrent à leur tour.
Marc se tourna vers le reste de son équipe : « J’ai souhaité créer un comité exécutif du groupe. Vous le savez déjà, vous en êtes les membres. Patrick et André représentent leurs secteurs d’activités ; Serge et Jacques sont dans un rôle transversal. »
Dans la foulée, il annonça la création d’un nouveau business consacré à la commercialisation des données sur les ménages. En tant que futur client de ce service, Radier était d'accord. Malta fût plus intéressé par le business model que cette entité, CFIA Information, pouvait offrir au marché. Ayant eu ses réponses, il questionna : « Qui en sera le patron ? »
Marc s’adressa à Forel en le tutoyant pour la première fois : « Il nous faut un profil pour industrialiser cela. Peux-tu nous le trouver ? »
Le détective ouvrit des yeux ronds : « Je ne connais pas du tout ce milieu. »
Le jeune homme sourit : « Ce milieu n’existe pas encore. Et s’il y a une personne ici qui sait comment chercher, c’est toi. Et puis…, il devint hilare : ce profil sera le directeur opérationnel. J’aimerais que cela soit toi qui présides cette activité. »
Forel resta frappé de stupeur. Pour le tirer d’embarras, Marc continua : « J’ai de bonnes raisons de te demander cela : tu sais comment trouver les infos et cette filiale permettra de loger les enquêtes que tu mènes pour nous. Et j’ai besoin d’avoir des relais en qui j’ai une confiance absolue. »
Il y avait une autre raison qu’il garda pour lui : il payait les enquêtes non officielles du détective avec sa caisse noire, mais celle-ci n’était pas extensible à l’infini. Ce dispositif permettrait de les financer. Il regarda de manière appuyée toute la tablée, puis de nouveau le détective.
« Et bien évidemment tu en fais partie.
— Je ne sais pas quoi dire… Je n’ai jamais fait cela avant. »
Marc se mit à rire : « Moi non plus Serge. Et quant à savoir quoi dire. Je te propose oui ! »
Ce fut au tour de Forel de sourire : « Tu as gagné. Je suis partant ! »
Siège de la Banque de France
Paris
Mardi 14 février
Assis devant son magnifique bureau Régence, le gouverneur lisait la presse. Fidèle à sa promesse, il avait suivi la Nouvelle Activité Bancaire et ses ratios. Au fil des mois, il s’était rassuré : la banque semblait réussir son pari ; la pression qu’il avait subie un an plus tôt n’avait pas de raison d’être... Jusqu’à aujourd’hui ! Il relut l’article : le capital de ces nouvelles banques est détenu à 100 % par la CFIA Bank et la Nab.
De nouveaux engagements de la Nab pouvaient dégrader la situation ! Cette pensée lui donna des ulcères à l’estomac. Il décrocha son téléphone :
« Bicker à l’appareil. Je voudrais que vous enquêtiez sur la Nab. Oui c’est cela. Et sur ses consœurs européennes, leurs actionnariats et leurs participations. »
Environs de Naples
Mardi 14 février
Ils étaient cinq autour de la table enfumée du conseil de famille des Cassalino. Le Don bien sûr, son consigliere, les deux adjoints du boss et lui-même, Alfonso Manolo.
L’annonce de la Nab sur ses nouvelles filiales n’était pas une surprise. Alfonso avait été averti par Leonardo, et ils avaient décidé de laisser faire.
Mais le patron voulait un point de situation. À première vue, il ressemblait à un homme affable, avec un petit ventre bedonnant et des cheveux un peu dégarnis sur le devant… Cette impression était vite démentie par son regard noir et un visage qui laissait transparaitre toute sa dureté. Pour assoir son pouvoir, il avait déjà tué ou fait exécuter près de deux cents personnes ; dont certaines dans des conditions atroces, pour faire passer un message. Il prit la parole d’une voix doucereuse :
« Peux-tu nous expliquer à nous, simples hommes de la rue, ce que cela signifie pour nos affaires ? »
Alfonso n’était pas dupe. Le ton même, très calme, était en soi une menace. Il avait un vrai rôle de confiance au sein de l’organisation : toute la fortune légale de la famille passait entre ses mains. Pour autant, il était toujours nerveux quand il devait évoquer des sujets à forts enjeux, et c’était le cas ce soir.
« Nous ne sommes pas concernés par ce qu’ils veulent faire. Nos avoirs en cours de blanchiment sont liés uniquement à la Nab. C’est pourquoi j’ai conseillé de ne rien faire : nous avions plus à perdre en attirant l’attention qu’autre chose. »
— Y a-t-il un risque pour notre argent ?
La question était directe. Il ne pouvait plus tergiverser :
— Les deux nouvelles banques demandent un investissement de deux cents millions de francs... Si ces deux filiales venaient à ne pas marcher, cela la toucherait. »
Il ne put s’empêcher de lever ses deux mains dans un geste de défense. La perspective de tout perdre n’était pas agréable à entendre : « mais même si cet investissement partait en fumée, cela ne représenterait qu’une petite partie du capital de la Nab. De quoi annuler ses bénéfices sur plusieurs années, mais pas de la faire disparaitre. »
Le boss interrogea du regard son consiglière. Il l’avait bien choisi : malgré son aspect rustre, il avait une réelle appétence pour le monde des affaires. Il hocha la tête :
« Ça se tient. »
Le parrain se retourna vers Manolo : « Autre chose ? »
Mais avant qu’Alfonso puisse répondre, le consiglière intervint : « Vous permettez patron ? et sur l’assentiment de ce dernier : ils vont s’arrêter là ?
— Ils veulent s'implanter dans d’autres pays.
— Et s’ils se plantent ?
— C’est difficile à dire. Nous ne savons pas à quel rythme ils vont avancer, et comment.
— Imaginons qu’on soit dans le pire des cas. »
Alfonso sentit un filet de sueur couler dans son dos, il avala sa salive et fixa le consiglière, ce qui lui évitait d’affronter le regard du boss : « Et bien… avec un développement à outrance… une faillite générale des filiales… la Nab pourrait couler.
— Et notre fric !?! », demande le parrain dans un rugissement.
Réprimant un sursaut, les mains moites, le conseiller légal baissa la voix, chuchotant presque : « Cela suppose des investissements bien plus importants qu’aujourd’hui. Nous n’en sommes pas là. »
Le boss darda sur lui un regard brûlant : « Je l’espère… pour toi ! Autre chose ?
— Plus la banque grandit, plus nos trafics seront noyés dans la masse. Ils auront plus de chances de passer inaperçus. »
La consiglière hocha de nouveau la tête : « Des opportunités ? »
Manolo respira, soulagé : « Nous pourrons répartir notre blanchiment sur plusieurs pays. Cela divisera les risques. »
La décision du boss tomba, sans appel : « Qu’ils ouvrent aussi en Italie. Cela facilitera les transferts. »
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