Chapitre 8-1 : observations - Les répercussions

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Environs de Naples
Mardi 14 février

Ils étaient cinq autour de la table enfumée. Le Don, son consigliere, les deux lieutenants, et Alfonso Manolo.

L’annonce de la Nab n’avait surpris personne. Alfonso avait été averti par Leonardo, et ils avaient décidé de laisser faire. Mais ce soir, le Don exigeait des réponses.

À première vue, il avait l’air affable : un petit ventre rond, des cheveux clairsemés. Un homme qu’on aurait pu croiser dans un café, en train de jouer aux cartes. Et pourtant, il avait déjà à son actif, à son passif plutôt, plus de deux cents exécutions. Certaines d’une telle cruauté que leurs rumeurs seules suffisaient à maintenir l’ordre. Il s’éclaircit la gorge et parla d’une voix doucereuse :

« Peux-tu nous expliquer à nous, pauvres hommes de la rue, ce que cela signifie pour nos affaires ? »

Le ton était calme. Trop calme. Malgré la moiteur de la pièce, un courant d’air glacial passa dans la nuque d’Alfonso. Il avait beau être le conseiller légal de la famille, le poids du regard du Don le clouait sur sa chaise. Un faux pas, il le savait, et il finirait dans le coffre d’une voiture. Au mieux.

Il inspira profondément :

« Nous ne sommes pas concernés directement. Nos fonds en cours de blanchiment sont uniquement liés à la Nab. C’est pourquoi j’ai conseillé de ne rien faire. Nous avions plus à perdre en attirant l’attention qu’autre chose. »

Un silence lourd, étouffant, s’installa autour de la table.

« Y a-t-il un risque pour notre argent ?

La question claqua comme un coup de fouet. Alfonso ravala sa salive :

« Les deux nouvelles banques demandent un investissement de deux cents millions de francs... Si elles échouent, cela pourrait affecter la Nab. »

Ses mains se levèrent instinctivement, dans un geste de défense.

« Mais même dans ce cas, précisa-t-il d’une voix qu’il espérait ferme, La Nab survivrait. Ses bénéfices en prendraient un coup, mais elle ne sombrerait pas. »

Le boss planta sur lui son regard pesant avant de se tourner vers son consiglière. Il l’avait bien choisi : malgré son aspect rustre, il avait une réelle appétence pour le monde des affaires. L’homme hocha la tête :

« Ça se tient. »

Il regarda Manolo :

« Mais ils ne comptent pas s’arrêter là n’est-ce pas ? »

Alfonso serra les dents. Son cœur monta dans les tours. Il acquiesça.

« Et s’ils se plantent ? Complètement ? »

On y était. Son rythme cardiaque s’accéléra encore. Un filet de sueur glissa entre ses omoplates.

Il avala sa salive et fixa le consiglière, pour ne pas affronter le regard du Don.

« Avec un développement à outrance… et une faillite générale des filiales. Dans le pire des cas… oui, la Nab pourrait couler.

— Et notre fric !?! », rugit le parrain.

Alfonso sursauta. Ses mains se mirent à trembler. Il baissa la voix, chuchotant presque : « C’est un scénario extrême basé sur des investissements bien plus importants. Nous n’en sommes pas là. »

Le boss le transperça d’un regard brûlant : « Je l’espère… pour toi ! »

Affolé, le conseiller lâcha précipitamment :

« Plus la banque grandit, plus nos trafics seront noyés dans la masse. Ils auront plus de chances de passer inaperçus. »

La consiglière hocha de nouveau la tête : « Des opportunités ? »

Manolo respira, soulagé : « Nous pourrons répartir notre blanchiment sur plusieurs pays. Cela divisera les risques. »

La décision du boss tomba, sans appel : « Dans ce cas, qu’ils ouvrent aussi chez nous, en Italie. »


Siège du groupe CFIA
Paris
Mardi 14 février

Autour de la grande table du conseil, Taitbon exposait les retours de la presse. Malta, quasiment bilingue, traduisait ses propos pour leurs collègues européens.

Les titres des journaux étaient dithyrambiques : La Nab part à la conquête de l’Europe ; La Nab, toujours à la pointe, va à la rencontre de ses clients sur leurs lieux de vie ; La création d’un groupe français ; d’autres, plus centrés sur Marc et son équipe, titraient : Un self-made man à l’américaine, ou encore Une entreprise humaine, en aide au monde agricole.

Outre-Manche et en Allemagne, l’attention se portait sur la New British Bank et de la Neue Deutsche Bank et de leurs présidents, leur origine française étant à peine mentionnée.

La presse économique était à l’avenant. Seul l’un des quotidiens pointait une ambiguïté : l'associé principal de la Nab n’était pas la CFIA Bank, mais la banque suisse : On ne peut donc savoir qui a un contrôle réel sur ces filiales européennes. Selon que ce soit la Nab ou la CFIA Bank leur actionnaire de référence.

Malta préconisa de l’ignorer :

« Ne nous embarquons pas dans une bataille de communiqués. Le journaliste a raison : juridiquement la NDB et la NBB sont des filiales de la Nab et donc de Zurich Trust Bank. »

Ancel acquiesça à contrecœur. Muller et Sir Wilson prirent congé pour attraper leur avion de retour. André, en serrant la main de Muller lui glissa : « Passez le bonjour votre adjoint », ils avaient en effet également débauché son ex-bras droit à la WestBank.

Ourant et Taitbon s’éclipsèrent à leur tour, laissant Ancel avec le noyau dur de son équipe. Il prit la parole d’un ton décidé :

« J’ai décidé de créer un comité exécutif du groupe. Vous en êtes tous membres. Patrick et André représentent leurs secteurs d’activités ; Serge et Jacques assureront des rôles transversaux. »

Il enchaîna aussitôt pour annoncer leur nouveau business consacré à la commercialisation des données sur les ménages. Radier, futur client de ce service, hocha la tête. Malta s’intéressa au modèle économique de cette entité, CFIA Information. Ayant eu ses réponses, il lança : « Qui en sera le patron ? »

Marc s’adressa à Forel en le tutoyant pour la première fois : « Il nous faut quelqu’un pour nous industrialiser cela. Tu peux nous le dénicher ? »

Le détective ouvrit des yeux ronds : « Je ne connais rien à ce domaine. »

Son patron sourit : « Il n’existe pas encore. Et s’il y a bien quelqu’un ici qui sait comment chercher, c’est toi. Et puis…, il éclata de rire : ce profil sera le directeur opérationnel. Pour sa présidence, j’aimerais que cela soit toi. »

Forel resta frappé de stupeur. Pour le tirer d’embarras, Marc continua : « J’ai de bonnes raisons : tu sais comment trouver des infos. Cette filiale pourra héberger les enquêtes que tu mènes pour nous. Et j’ai besoin de relais en qui j’ai une confiance absolue. »

Il y avait un autre motif qu’il garda pour lui : il payait les enquêtes non officielles de Serge avec sa caisse noire, mais celle-ci n’était pas illimitée. Ce dispositif permettrait de les financer. Il regarda de manière appuyée toute la tablée avant de revenir vers le détective.

« Et bien évidemment tu en fais partie. »

Forel déglutit avec difficulté :

« Je… je n’ai jamais fait cela. »

Marc se mit à rire de nouveau : « Moi non plus Serge. Et pour savoir quoi faire. Commence par dire oui ! »

Un sourire incertain se dessina sur le visage de Forel : « Ok. Allons-y. »

Siège de la Banque de France
Paris
Mardi 14 février

Assis devant son bureau régence aux reflets d’acajou, le gouverneur parcourait la presse, un pli soucieux barrant son front. Fidèle à sa promesse, il avait suivi la Nouvelle Activité Bancaire et ses ratios. Mois après mois, il s’était rassuré : la banque semblait réussir son pari. La pression qu’il avait subie un an plus tôt n’avait pas de raison d’être.

Jusqu’à aujourd’hui.

Son regard revint sur l’article. Une ligne l’obsédait : le capital de ces nouvelles banques est détenu à 100 % par la CFIA Bank et la Nab.

Son estomac se contracta. Si la Nab prenait de nouveaux engagements, son équilibre précaire pouvait voler en éclats. Il reposa brutalement le journal.

« Ici le gouverneur, dit-il en décrochant son téléphone, enquêtez sur la Nab et ses consœurs européennes. Creusez leurs actionnariats, leurs participations, tout. Je veux tout savoir. Et vite. »

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