Chapitre 8-3 : observations - Le régulateur

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Bicker et Radier
Paris
Fin T1 1989

Le patron de la Banque de France avait les informations réclamées. Cela ne le rassurait pas : la Nab avait pour 184 millions de participations dans les deux nouvelles filiales. Ce qui obérait 15 % de ses réserves, même si les ratios prudentiels restaient corrects.

La CFIA Bank ne détenait pas grand-chose : ces filiales appartenaient à la Nab. Celle-ci dépendant de la Zurich Trust Bank ; elles étaient en fait sous contrôle de la Suisse.

Si le développement de la NBB et de la NDB est dès cette année un succès comparable à celui de la Nab, alors leurs fonds propres ne suffiront pas, se dit Bicker.

Il fit passer, par son assistante, un message à Radier : il serait ravi de le croiser lors du cocktail qui suivrait une réunion programmée entre la Banque de France et les banques françaises.

Le soir dit, le gouverneur commença par féliciter le patron de la Nab pour cette première année de succès. Tout en continuant à deviser, il fit en sorte qu’ils s’éloignent des autres convives pour être plus tranquilles. Son interlocuteur, ayant compris la manœuvre, lui facilita la tâche. Une fois arrivés dans une antichambre à proximité, Bicker aborda ce qui le préoccupait :

« Je suis impressionné par votre volonté de vous implanter en Europe.

— Merci. À terme, nous voulons ouvrir dans de nouveaux pays. »

— C’est bien, vous portez ainsi haut les couleurs de la France. Mais dites-moi, j’ai vu que c’est la Nab et non la CFIA Bank qui apporte la majeure partie des fonds ? »

Radier acquiesça, se doutant de ce qui allait suivre. Le gouverneur poursuivit :

— Notez que je n’y vois rien de répréhensible. Mais je me demandais comment vous alliez financer la croissance de ces deux banques ? »

Il décida de ne pas éluder : « La Nab leur octroiera des prêts. Et il y aura de nouveaux fonds propres.

— Provenant aussi de la Nab ?

— Au début. Nous verrons ensuite l’opportunité d’élargir leur capital avec d’autres apporteurs. »

Bicker scruta le visage de Radier. Il avait espéré une réponse plus détaillée. Il changea d’angle d‘attaque :

« En tout cas, vous avez des amis qui ont votre réussite très à cœur. »

La façon dont le gouverneur prononça sa phrase le fit tiquer : « Que voulez-vous dire ? »

Le patron de la Banque de France prit une inspiration : « On m’a fait comprendre que nous devions être souples avec vous. »

Ce fut au tour de Radier de dévisager son homologue. La forte implication du politique auprès de ses institutions était connue. L'image de la Nab étant très vendeuse, les propos de Bicker n’étaient pas surprenants. Mais il y avait autre chose.

« Le gouvernement ?

— Non mon cher. Le pouvoir, et en premier lieu le ministre Bogane, considère effectivement la Nab d’un bon œil. Mais ces demandes, ou plus exactement ces pressions, que je qualifierais de rudes, venaient d’autres de vos amis. »

Radier fronça les sourcils, il avait vu juste.

« De qui parlez-vous ?

— J’espérais que vous pourriez m’éclairer sur vos fréquentations. »

Radier resta silencieux, réfléchissant en faisant tourner machinalement le liquide dans son verre. Il ne comprenait pas ce que voulait dire Bicker, et cela le mettait mal à l’aise. Il devinait des réseaux de pouvoirs souterrains sans savoir qui était à la manœuvre. Il releva la tête en regardant le gouverneur dans les yeux « Les seules relations que nous avons sont avec la Zurich Trust Bank. Et mis à part du lobbying politique, je ne vois pas trop ce que cette dernière pourrait faire. Si c’est d’elle dont vous parlez. »

Bicker hocha la tête. Le PDG ne semblait rien savoir.

« Ce n’est rien… mais c’est à se demander qui tire réellement les ficelles de la Nab. »

Il prit la direction du salon en plaisantant : « Revenons parmi les convives. Sinon on va finir par penser qu’il y a un sujet de collusion entre nous. »


Le patron de la Banque de France restait désemparé. Les méthodes employées pour le faire chanter ne pouvaient pas venir des politiques. Bien sûr, ils n’hésitaient pas à faire fuiter des dossiers de relations adultères ou de compromissions. Mais en ce qui le concernait, de tels moyens étaient inutiles : sa carrière dépendait déjà de leur bon vouloir ! Cela venait d’ailleurs. Peut-être d‘Ancel, qui était encore un inconnu un an avant. Ou d’une personne qui gravitait autour de la banque suisse.


Radier rentra chez lui, dans son appartement cossu du 16ème. Sa femme était au lit, vêtue d’un déshabillé, en train de lire. En la regardant, il fut pris d’une vague de tendresse et il se pencha pour l’embrasser. Elle lui rendit son baiser et lui demanda s’il venait se coucher.

« J’arrive. »

Il alla dans le salon et se campa devant la fenêtre qui lui permettait d’avoir une vue dégagée sur le prolongement d’une grande artère, regardant la circulation sans y penser. Son échange avec Bicker tournait en boucle dans sa tête : que se passait-il ? Qui était à la manœuvre ? En quoi consistaient les pressions mentionnées par le gouverneur ?

Surtout il se demandait pourquoi. L’objectif était-il la réussite de la Nab ou un autre moins avouable ? Cela venait-il de la Zurich Trust Bank ? Ancel était-il au courant ?

Homme de décision, il reprit le contrôle de ses pensées. Il lui fallait sonder Marc et essayer de comprendre le rôle exact de la Suisse. Mais délicatement... en prenant son temps.

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