Chapitre 9 : séismes

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Violences
Région Lilloise
Samedi 1er avril 1989

Thomas resta pétrifié, paralysé. Chaque fibre de son être lui criait de venir aider sa maman, mais son corps refusait d’obéir ; ses bras et ses jambes pesaient des tonnes. Il ouvrit la bouche pour crier. Aucun son n’en sortit. Après avoir giflé sa femme, son père l’avait agrippée par les cheveux et lui cognait violemment la tête contre la table du séjour. Il la lâcha, enfin, et la laissa s’écrouler, ensanglantée, sur le sol. Bardon lui décocha deux coups de pied dans l’estomac qu’elle encaissa sans bruit. Il se pencha vers elle en hurlant :

« Salope ! Tu voulais garder ce fric ? Qu’ils viennent, tes protecteurs ! Je leur montrerai ce que ça coûte de prendre ma femme pour une pute ! »

Il lui cracha à la figure et prit l’enveloppe contenant les billets, qu’il avait trouvés derrière l’armoire de la salle de bain. Il sortit, sans un regard pour son fils et sa femme.

Tremblant de tous ses membres, Thomas entendit son frère et sa sœur pleurer dans leur chambre. Mais il n’avait d’yeux que pour sa maman, qui ne bougeait plus. Du sang s’écoulait de son nez, s’infiltrant dans les rainures du parquet ; le rouge se mariant élégamment avec la couleur blond vernie des lattes. Dehors, la pluie battait contre les fenêtres dans une sourde mélodie accompagnant son immobilité. Une pensée lui traversa l’esprit ; l’eau effacerait ce sang, tout redeviendrait normal…

Un gémissement plaintif, comme un sanglot, le sortit de sa léthargie. Il se précipita : « Maman ! »

L’aveu
Paris
6 avril 1989

Leurs vacances au ski approchaient.

Les parents d’Elsa vivaient près d’Annecy, non loin de La Clusaz, un cadre idéal pour combiner journées sur les pistes et moments en famille. Mais ce qui autrefois les enchantait pesait désormais lourdement sur leurs épaules. Entre Marc et Elsa, tout semblait se déliter. Le week-end à peu près normal manquait cruellement de tendresse ; la semaine était rythmée par de pesants silences et des disputes répétitives. Inconsciemment, et pour fuir son sentiment de culpabilité vis-à-vis d’Elsa, Marc avait tendance à faire tourner leurs discussions à l’aigre.

Les derniers jours avant leur départ fut un crescendo de tensions. Amandine vivait mal leur séparation prochaine : son amoureux allait passer une semaine loin d’elle… avec sa compagne. Marc, conscient de ses craintes, passait presque tous les soirs chez elle.

Au petit matin, la veille de leur départ en vacances, il annonça à Elsa qu’il rentrerait de nouveau très tard :

« Un truc à finir au boulot. »

Elsa, déjà prête à sortir, se tenait devant la porte d’entrée. Elle se retourna, hésita… puis cédant à une impulsion, posa la question qui la torturait depuis des mois : « Il y a quelqu’un d’autre ? »

Marc resta figé, frappé par la détresse d’Elsa dont il prenait enfin conscience. Les secondes d’écoulèrent dans un silence lourd, jusqu’à ce que sa réponse franchisse ses lèvres, sans même qu’il la contrôle : « Oui... »

Elle chancela sous le choc. Elle l’avait deviné, pressenti, mais l’entendre… Son cœur explosa de douleur. Pâle, stoïque, comme étrangère à la scène qui se déroulait, elle demanda :

« Depuis quand ?

— Un peu plus d’un mois, mentit-il, incapable d’assumer toute la vérité.

— Et qu’as-tu l’intention de faire ? »

Marc détourna le regard, cherchant une échappatoire.

« Que veux-tu dire ?

— Tu sais très bien ce que je veux dire ! éclata Elsa. Et bien sûr, ce soir, tu vas de nouveau la voir ? »

Il baissa les yeux, honteux.

Elsa ouvrit la porte, le visage fermé, et laissa tomber, tristement : « Tu peux passer la nuit là-bas. Je ne veux pas que tu reviennes ici après l’avoir vue. »

***

Dans la rue, elle marcha comme une automate, insensible aux bruits de la ville qui lui parvenaient étouffés. En arrivant, elle salua distraitement ses collègues et s’assit à son bureau. Elle resta immobile, anesthésiée par son désespoir et sa douleur. Sans détacher son regard de son écran resté noir, sa tête tournait, envahie de pensées confuses. Qu’allait-il se passer maintenant ? Son couple existait-il encore ? Que voulait-elle ? Qu’allait-elle dire à ses parents ? Ses amis ?

Son téléphone sonna, l’arrachant à ses réflexions. Un dossier nécessitait son avis. Cette tâche, suivie d’autres, l’occupa une bonne partie de la journée. Mais chaque moment de répit la ramenait à Marc, à son aveu, et à l’abîme qu’elle ressentait dans son cœur.

Dans l’après-midi, une de ses collègues s’approcha.

« Elsa, ça ne va pas ? »

Elle voulut éluder, mais devant l’insistance de son amie, elle craqua : « C’est Marc... Il voit une autre femme. »

Abandonnant son masque de composition, elle laissa ses larmes glisser sur ses joues. Son amie l’amena dans petite salle sans fenêtre. En sanglots, Elsa se livra, déballant de manière désordonnée sa souffrance de ces derniers mois face à l’érosion de son couple. Jusqu’à la scène du matin.

Son amie la prit dans ses bras.

« Et maintenant, lui demanda-t-elle.

— Je ne sais pas... je ne sais plus. On devait partir demain. Je dois prévenir mes parents, mais… »

Sa voix se brisa, son amie lui serra la main.

« Tu veux rester sur Paris ?

— Je n'en ai aucune idée, répéta Elsa, je ne sais pas ce que je veux. Considérer que c’est fini ? Ou non ? Et si c'est non, devons-nous rester à Paris ? Où partir ensemble ? Ou encore, le laisser seul à Paris, mais alors… cette femme … »

Submergée par la douleur, elle s’interrompit et sanglota de nouveau. Son amie lui proposa de venir dormir chez elle. Elsa commença par refuser, mais elle ne lui laissa pas le choix.

***

Marc, le cerveau assailli par un chaos indescriptible, arriva en retard au bureau. Un brouillard épais étouffait toutes ses pensées. Il fixa les pages du dossier qu’il devait étudier sans les voir, sans même prendre conscience de leur existence. Il aimait les deux femmes et ne pouvait envisager d’en perdre une des deux. L’image d’Elsa, avec son regard, désespéré, blessé, était comme imprimée sur sa rétine.

Il passa la journée ainsi, ne décidant sur rien, enfermé dans son bureau, à la grande surprise de ses collaborateurs.

Demi-confession
La Nab, Paris
Le même jour

Radier toqua à la porte entrebâillée avant de pénétrer dans le bureau d’Ancel.

« J’ai croisé Bicker à un cocktail. Il m’a fait de curieux sous-entendus. »

Concentré sur la conversation à venir qu’il préparait depuis des jours, il ne remarqua pas l’air absent de son patron qui releva la tête avant de répondre d’une voix monocorde : « Ah ? »

Radier s’appuya sur le dossier d’une chaise.

« Il aurait subi des pressions… Pour être souple vis-à-vis de la Nab. »

Ces mots planèrent un instant, le temps qu’ils percent le brouillard qui enveloppait l’esprit de Marc.

« Son ministre nous a à la bonne.

— Cela ne vient pas de lui.

— Qui alors ?

— Il n’a pas l’air de le savoir. Mais selon lui ce n’est pas politique. Trop brutal pour que cela vienne de là... Il m’a même demandé quels milieux nous fréquentions. »

Un déclic. Les traits de Marc se figèrent imperceptiblement, mais ce mouvement infime n’échappa pas à Radier : « Tu sais de quoi il parle ?

— Pas vraiment, fit Marc, la voix plus prudente qu’il ne l’aurait voulu. »

Radier s’approcha davantage, les poings appuyés sur le bureau : « Pas vraiment ? ça veut dire quoi exactement ? »

Marc hésita. De manière diffuse, il sentait le danger ; mais il avait du mal à se concentrer.

« Cela ne vient pas de moi. »

Il y a donc bien quelque chose ! pensa Radier.

« Mais tu étais au courant ?

— Oui et non… Je sais qu’il y a eu des pressions sur Bicker… Mais j’ignore de quoi il s’agit. »

Le banquier ne lâcha pas prise.

« Comment le sais-tu ? Qui tire les ficelles ?

— Leonardo… ou plutôt ses contacts.

— Qui sont-ils ?

— Il représente la Zurich Trust Bank.

— Ce n’est pas ma question. Qui a fait pression ? »

Marc opta pour une demi-vérité : « La Suisse trouvait que notre projet Nab était risqué. Certains de ses clients ont accepté de participer au financement, mais ils ont demandé à ce que ce soit la Zurich Trust Bank qui apparaisse officiellement. »

Radier sera la mâchoire. Ses doigts pianotèrent brièvement le bureau : « Qui sont-ils ?

— Avec le secret bancaire helvétique… », fit Marc avec un geste évasif.

Le PDG le fixa d’un regard perçant, son ton se fit dur : « Ce n’est pas à la Suisse que je pose la question, mais à toi !

— J’ai croisé certains d’entre eux lors des réunions initiales avec la Zurich Trust Bank. Mais aucun nom n’a été échangé... Et très vite Leonardo a été mon unique interlocuteur.

— Marc. Tu me dis toute la vérité ? »

Le silence s’installa. Marc détourna les yeux et lâcha : « C'est tout ce que je peux te dire. »

Radier n’insista pas davantage. Il tourna les talons, le cerveau en ébullition : il me ment ! Il n’est peut-être pas à l’origine des pressions sur Bicker... mais il ne me dit pas tout !

Dans le bureau, Marc se laissa retomber contre le dossier de sa chaise : si André apprenait la vérité sur Leonardo et ses amis… il pourrait le lâcher. Et si Bicker parlait, les associés de Leonardo n’apprécieraient pas. Et ils ne laissaient jamais de dettes impayées.

Son esprit dériva vers Elsa avant de revenir au temps présent. Je n’ai vraiment pas besoin de ça. Pas aujourd’hui, pensa-t-il en serrant les poings.

Nuit spéciale
Paris
Le soir même

Amandine se leva avec allégresse pour lui ouvrir la porte. Marc était là devant elle. Quel bonheur ! Il se pencha pour l’embrasser. Un frisson la parcourut. Ce baiser semblait si désespéré !

Elle recula et le scruta. Sa pâleur extrême lui glaça la poitrine.

« Qu’y a-t-il ?

Il ne répondit pas tout de suite, s’adossant lourdement au mur. Lorsqu’il ouvrit enfin la bouche, ce fut pour s’exprimer d’une voix rauque.

« J’ai avoué à Elsa. Pour nous. »

Une décharge électrique traversa son corps. Il l’avait fait ! Une partie d’elle avait désespérément désiré ce moment, mais la façon dont il l’annonçait la laissait désemparée.

« Elle sait ? souffla-t-elle.

Il hocha la tête, les yeux rivés au sol et lui résuma la scène de manière hachée.

« Elle t’a dit de partir et de ne pas revenir.

— Oui. »

En le voyant si perdu et désorienté, elle eut un élan de tendresse et posa doucement une main sur son bras.

— Tu veux rester ici ce soir ? demanda-t-elle d’une voix douce. »

Son air de naufragé la chavira.

« Si ça ne te dérange pas… »

Elle secoua la tête, se forçant à sourire.

« Bien sûr que non. »

Son esprit bouillonnait : il est ici, avec moi. Il l’a quittée… Enfin, pas vraiment en fait…

Elle prit une inspiration.

« Que vas-tu faire ?

— Je ne sais pas. Je ne sais plus. Je n’ai pas envie de la perdre. »

Son estomac encaissa le coup. LA perdre… pas ME perdre, pensa-t-elle douloureusement.

« Tu veux qu’on arrête ? fit-elle en redoutant la réponse.

— Non ! J’ai besoin de toi !

— Elle ne l’acceptera pas. »

Il hocha la tête, ses traits crispés.

« Je veux continuer avec toi. »

Elle soupira : conserver les deux femmes... c’était désormais impossible, cela ne pourrait pas tenir.

Avoir Marc pour elle seule, quel bonheur !Mais l'autre pouvait le récupérer... et il l’abandonnerait ! Son esprit bifurqua : elle était responsable d’une rupture, de la douleur d’une autre femme. Jamais elle n’aurait voulu cela. Et pourtant elle l’avait fait.

Elle chassa ses pensées et le prit par la main pour l'amener vers le séjour :

« Viens on va boire quelque chose. »

Ils trinquèrent sans conviction, assis côte à côte sur le canapé de la jeune femme. Elle se pencha doucement vers lui et posa ses lèvres sur les siennes. Un baiser d’abord fragile qui se transforma bientôt en une étreinte passionnée. Un tourbillon les emporta, salutaire exutoire à leurs peurs et espoirs mêlés.

Marc endormit, Amandine resta immobile, les yeux rivés le visage de son amant, se demandant si ce n’était pas la dernière fois qu’il passait la nuit avec elle.

Au petit matin, ils partagèrent un petit-déjeuner simple dans la lumière pâle du jour naissant. Marc, le regard dans sa tasse, touillait machinalement son café, tandis qu’Amandine tentait un sourire en coupant des tranches de pain. Ils échangèrent quelques regards, quelques mots, mais sans aborder ce qui les préoccupait tous les deux.

Au moment de se séparer pour aller à leurs bureaux respectifs, elle lui demanda, sans le regarder dans les yeux.

« Tiens-moi informée de ce que tu fais ou pas ce soir. »

Il acquiesça, l'air perdu

« Je ne veux pas te mentir. Si je peux maintenir cette semaine avec Elsa… je le ferai. »

Une ombre passa dans le regard d’Amandine : « J’avais compris. »

Horribilus vacationes
7 au 16 avril 1989

Le téléphone sonna, brisant le silence. En voyant le numéro, il sentit son cœur s’emballer et décrocha précipitamment.

« Elsa ? »

À l’autre bout du fil, la voix fut froide, tranchante.

« Tais-toi. Je ne veux pas t’entendre. Tu passes à l’appart’ faire ton sac et tu seras à la gare ce soir. Je ne veux pas traiter ça maintenant devant mes parents. Donc tu viens ! »

Son souffle devint saccadé, elle marqua une pause.

« Ne passe pas entre midi et deux. J’y serai pour prendre mes affaires. Je ne veux pas te voir. »

Elle raccrocha brutalement et respira un grand coup, tentant de calmer l’oppression qui l’étreignait. Confusément, elle sentait que cette semaine serait décisive.

La main tremblante, il posa le combiné à son tour. Son cœur battait la chamade. Elle veut que je vienne… Je vais la revoir… Tout n’est peut-être pas foutu ! se dit-il. C’est à peine s’il se demanda pourquoi Elsa devait repasser à l’appartement : d’habitude, elle amenait son sac avec elle en partant au travail.

Il se força à reprendre ses esprits, il devait appeler Amandine.

Quand elle décrocha, il débita d’un trait :

« Elle a maintenu le voyage. »

Amandine sentit une boule se former dans sa poitrine : elle allait le perdre. Elle fit bonne figure : « Je suppose que je n’aurai des nouvelles qu’à ton retour ?

— J’essayerais de te téléphoner. Je t’aime. »

Son cœur fit un bond… Il avait toujours évité de prononcer ces mots ! Elle s’entendit répondre : « Moi aussi. »

Il attendait Elsa devant la porte de leur wagon-couchette. Le départ imminent venait d’être annoncé lorsqu’elle apparut enfin, le visage fermé. Elle monta dans le wagon sans lui jeter un regard.

La soirée fut étrange. Elsa avait amené deux sandwichs. Ils se les partagèrent, chacun assis sur sa couchette, sur la rangée du haut. Ils parlaient peu, et uniquement sur des sujets pratiques.

Deux de leurs compagnons de voyage s’étaient déjà allongés, plongés dans la lecture de leur roman. Un autre était dans le couloir. La dernière place restait vide.

Marc mit longtemps à trouver le sommeil avant que le balancement régulier du train ne finisse par avoir raison de lui. Un choc… il se réveilla en sursaut. Elsa avait quitté sa couchette et s’était abattue sur lui, le bourrant de petits coups de poing, sans force, comme si elle se battait contre son propre chagrin. Il voulut la prendre dans ses bras… elle le repoussa et chercha à le griffer. Instinctivement, il leva ses avant-bras devant son visage. Mais il resta ainsi, immobile : après tout, il méritait ce déchaînement de colère. Brusquement, elle regagna sa place. Le compartiment redevint silencieux.

Elsa n’en pouvait plus. La boule dans sa gorge était devenue une masse douloureuse, et ce qu’elle venait de faire sous le coup d’une impulsion n’avait rien changé. Son monde s’était écroulé. Recroquevillée sur sa couchette, elle pleura en silence.

Marc avait honte, se demandant si les autres voyageurs s’étaient réveillés et avaient deviné ce qui se passait. Il se mordit les lèvres : Elsa… il l’avait détruite. Je suis un pauvre minable, pensa-t-il dans un éclair de lucidité. Toutes ces tensions… C’était de ma faute… pour me donner bonne conscience !

Son cœur serré lui révéla ce qu’il avait soigneusement occulté depuis plusieurs mois : il aimait Elsa. Profondément. Toujours.

***

Si l’arrivée à la gare, puis dans la famille de la jeune femme se déroula normalement, le reste de la semaine fut chaotique.

Dès le déjeuner, la jeune femme lâcha le morceau. Elle le fit sans pleurs, sans cris… avec acidité. Ses parents accusèrent le choc : d’abord stupéfaits, puis en le toisant d’un regard déçu. Le père serra la mâchoire, les doigts crispés autour de son verre, sans rien dire. La mère resta silencieuse, le regard triste, avant de les questionner : « Qu’allez-vous faire ? »

Elsa répondit, sarcastique : « Demandons à Marc. Manifestement il fait comme bon lui semble. »

Il baissa la tête.

La même scène se déroula quelques jours plus tard avec un de leurs amis, à Chambéry. Lui aussi resta coi. Mais à la façon dont il posa ses questions, on devinait sans peine qu’il considérait que Marc était en dessous de tout. Du reste, celui-ci pensait la même chose.

À de rares exceptions près, ils skiaient tous les jours. Ces moments étaient une alternance de descentes et de remontées, de silences lourds entre les deux, mais aussi de discussions. Discussions était d’ailleurs un bien grand mot, car Marc ne savait pas quoi dire. Soit parce qu’Elsa voulait avoir des détails sur sa relation adultère, soit parce qu’elle lui demandait : « Et que comptes-tu faire ? »

Malgré sa volonté de faire profil bas, le jeune homme ne put s’empêcher de voler quelques minutes pour appeler Amandine. Il resta vague sur ce qui se passait, se contentant d’indiquer : « Cela ne change rien pour nous. »

Amandine ne comprenait pas cette réponse. Cette situation ne pourrait pas perdurer. Il allait devoir prendre une décision.

Rupture
Paris
17 avril 1989

À leur retour par le train de nuit, ils passèrent chez eux pour prendre une douche et se changer avant d’aller au bureau. Au moment de sortir, Marc, en pleine confusion, ne trouvant aucune solution à l’impasse dans laquelle il s’était mis, lâcha, sans la regarder : « Je rentrerais tard. »

Son esprit, comme déconnecté, agissait comme si son aveu n’avait rien changé.

Elsa, qui s’apprêtait à ouvrir la porte, suspendit son geste. Ils n'avaient rien réglé, elle en avait bien conscience. Jour après jour, elle avait alterné entre tristesse, colère, espoir et incompréhension. La phrase de Marc lui fit l’effet d’une bombe. Pétrifiée, elle murmura :

« Tu vas la voir ? »

Il déglutit sans répondre.

Elle se retourna vers lui, les yeux brillants :

« Il va falloir que tu me dises ce que tu veux ! »

Il fixa le sol, et balbutia :

— Je t’aime. Je ne veux pas te perdre… Mais je ne peux pas non plus arrêter avec elle. »

Elsa lutta contre les puissances émotions contradictoires qui lui semblaient vouloir l’engloutir.

« Ben voyons… Il va pourtant bien falloir que tu te décides. »

Presque malgré elle, elle s’entendit proposer, sans y croire : « En attendant, je n'ai pas envie qu'on vous voie ensemble… Ne sortez pas, restez chez elle. »

— Je ne peux pas te promettre cela. »

Que se passait-il dans la tête du jeune homme ? Était-il égoïste au point de ne vouloir aucune contrainte ? Son cerveau, en roue libre, n’avait même pas réalisé ce qu’Elsa, désespérée, était prête à accepter. Au pied du mur, il était terrifié à l’idée de faire du mal à l’une ou à l’autre. Son indécision fut la pire des réponses à apporter à la situation.

Dans le lourd silence qui s’installa, Elsa sembla si frêle qu’on aurait dit qu’elle pouvait se casser en deux à tout moment. Elle réajusta son sac à main : ils étaient au bout de leur histoire. Elle se redressa et intima d’une voix triste, mais résolue : « Prends tes affaires. Ce n’est plus la peine de revenir. »

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