Chapitre 10-2 : premiers succès - Le business

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Nouvelles activités
Siège du groupe CFIA, Paris
Mai 1989

Bien que toujours réservé vis-à-vis de Bruno Hussard, le responsable de la grande distribution, Marc devait admettre que son binôme avec Vincent Blenaud était efficace.

Les deux hommes s’étaient réparti les sujets : à Hussard, la stratégie, l’organisation, les négociations fournisseurs. À Blenaud, le pilotage des travaux et la mise en place des magasins.

Au printemps, cinq marchés de la fraîcheur furent inaugurés sous l’enseigne New Deal : les bâtiments définitifs mettraient plusieurs mois à sortir de terre, mais Marc ne voulait pas attendre : des installations provisoires feraient parfaitement l’affaire.

Une campagne marketing rythmée, l’arrivée des beaux jours, propices à la consommation de fruits et légumes, et des produits de bonne qualité, firent de ce lancement un réel succès.

Marc, qui pensait déjà la suite, avait fait acquérir de vastes espaces pour anticiper les futures expansions :

« Nos produits frais vont nous donner une image premium ; mais certains clients continueront à faire leurs courses en une fois dans leurs supermarchés. Nous devrons leur offrir cette possibilité. »

Fin mai, un conseil fut dédié aux nouvelles activités du groupe.

Hussard ouvrit le bal. Il incarnait le businessman à l’anglo-saxonne : cheveux et yeux bruns, la peau pâle, de taille légèrement supérieure à la moyenne, bien en chair sans être corpulent, le menton volontaire.

« Sous ma direction, Vincent a prospecté et nous avons choisi cinq nouveaux sites, fit-il en présentant les zones de chalandise retenues. L’acquisition des terrains et les aménagements coûteront cent dix millions. Les travaux s’achèveront en octobre pour une ouverture avant les fêtes. »

Chalet, ravi d’avoir des débouchés pour ses produits, hocha la tête avec enthousiasme. Radier, plus terre-à-terre, demanda : « Quid du financement ?

— Ce ne sont pas nos seuls besoins. Nous aborderons ce point en fin de réunion, trancha Marc. En ce qui concerne cet investissement, je donne mon go : allez-y. »

Le patron de la grande distribution passa au dossier suivant : étendre les premiers magasins et les transformer en supermarchés.

« Plus tard, une nouvelle extension en fera des hypermarchés. Nous proposerons alors du loisir, du petit bricolage, du multimédia et du textile. L’agencement sera identique sur tous nos sites.

— Où prévoyez-vous ces extensions ? demanda Marc.

— La surface à gauche est réservée à cet effet. Quant aux parkings, nous les avons prévus surdimensionnés. On pourra en convertir une partie en galerie commerciale. »

Intéressé, Marc se pencha sur les plans et approuva d’un signe de la tête : « Bien vu. »

Le sourire suffisant qu’afficha Hussard l’irrita, mais il se garda de le montrer. Après tout, c’était effectivement du bon boulot.

Le patron de la distribution reprit :

« Passons au budget. Nous allons tripler les surfaces construites. Le terrassement étant déjà réalisé, le coût résiduel sera de quatre-vingt-dix millions. »

Radier émit un petit sifflement : « Ça commence à chiffrer.

— Et ce n’est pas fini ! plaisanta Marc, et l’automatisation ? »

Pour la première fois depuis le début de la réunion, Hussard se fit hésitant :

« Il faut prévoir entre dix et vingt millions de plus par magasin.

— Tant que cela !

— Voici le dossier. »

L’assemblée se plongea dans les documents en écoutant les explications. Hussard ne voyait pas l’intérêt de cette robotisation : pour lui, c’était une lubie d’un patron qui n’y connaissait rien. Il nota avec satisfaction qu’au fur et à mesure de son argumentation, Ancel se murait dans le silence.
Il se rend compte que c’est une connerie monumentale savoura-t-il.

Il faut dire que la demande d’Ancel était ambitieuse. Pour percer dans ce secteur hyper compétitif, il fallait une différenciation forte, et leurs produits frais de qualité premium allaient dans ce sens.

Mais là où Hussard voulait appliquer cette logique à toute l'offre, Ancel souhaitait, au contraire, compenser le coût élevé des primeurs par des prix cassés sur les autres références. Une hérésie pour Hussard. Le secteur fonctionnait déjà avec des marges et des prix tirés vers le bas. Et New Deal n’avait pas la taille suffisante pour obtenir de bonnes conditions des fournisseurs.

Ancel, à la surprise générale, avait orienté les réflexions dans une autre direction : l’automatisation des magasins. C’était de ce dossier qu’il était question.

Hussard acheva son exposé : « Comme vous pouvez le constater, les coûts sont prohibitifs. Et la complexité du rangement dans les rayons est telle que dans la plupart des cas, une intervention humaine restera nécessaire. Ces difficultés annihileront l’éventuel intérêt de cet investissement. Je recommande l’abandon du projet. »

À ces mots, Marc releva la tête et scruta l'assemblée :

« Jacques ? »

Malta haussa les épaules :

« Cela paraît effectivement disproportionné. Mieux vaut rester sur le haut de gamme.

— Vincent ? »

Il nota, avec une satisfaction puérile, qu’Hussard n’appréciait pas que l’on demande son avis à son collaborateur.

« Les risques de dysfonctionnement sont réels. Dommage : c’est une belle idée. »

Hussard laissa transparaître un léger pli ironique au coin des lèvres.

« Parfait, conclut-il. Nous sommes donc d’accord pour abandonner ce projet. Que nous n’aurions même pas dû étudier, pensa-t-il in petto, et il souligna : reste donc deux cents millions à financer. »

Avant que Radier ne réagisse, Marc coupa :

« Rappelez-nous la structure de notre compte d’exploitation. »

Surpris, Hussard s’exécuta : les principales charges concernaient les achats de produits et la masse salariale.

Une fois qu’il eut terminé, il fixa Ancel d’un air interrogateur. Celui-ci se leva, fit quelques pas et se planta face au groupe.

« Si notre ambition se limitait à faire de la vente autour des primeurs, le haut de gamme serait en effet pertinent… »

Il posa ses deux mains sur la table devant lui.

« Mais nous devons devenir un acteur majeur de la grande distribution. Puis remonter la chaîne, en investissant aussi dans les usines de conditionnement alimentaire. Cela offrira de nouveaux débouchés à notre branche agricole. »

Il fit une pause, mais aucune réaction ne vint. Hussard le trouvait délirant. Blenaud était fasciné. Radier et Malta se demandaient, avec inquiétude, ou leur patron comptait s’arrêter.

Relevant ses mains de la table, il se redressa :

« Pour que cette diversification ait un sens, il nous faut du volume. Donc viser le grand public avec des prix réduits. Pas le haut de gamme.

— Impossible avec notre structure de coûts, objecta Hussard. »

Marc claqua des doigts.

— Exactement. Cette stratégie n’a de sens que si nous pouvons jouer sur ces coûts ! Nous n’avons pas de leviers sur les prix fournisseurs. Reste donc les salaires ! »

Il se rassit dans son fauteuil, regarda Hussard, et reprit plus calmement :

« Et pour réduire ce poste, il faut automatiser. Vous m’avez convaincu que tout robotiser n’est pas viable… alors allons au plus simple.

— C’est-à-dire ? questionna Hussard malgré lui.

— Deux axes. D’abord le transfert des marchandises : un robot prendra la palette dans l’entrepôt et les déplacera sur des rails au plafond jusqu’aux rayons. »

— Cela nécessitera de revoir nos méthodes de stockages, mais c’est faisable, confirma Blenaud.

— Si j’ai bien lu, le budget serait d’un à deux millions par site ? fit Marc. »

Blenaud acquiesça.

Marc poursuivit, les yeux brillants : « Quant à ma deuxième idée, elle n’est pas dans le rapport, mais son coût devrait être faible. »

Ces collaborateurs restèrent cois, échangeant de rapides coups d’œil. Le jeune homme reprit :

« La caisse. Pourquoi payer quelqu’un pour scanner les articles ? Les clients peuvent le faire eux-mêmes. »

Après un instant de stupeur, ils réagirent tous en même temps. Marc leva le bras pour continuer :

« On laissera quelques caisses classiques pour les récalcitrants. Les autres seront en libre-service.

— Et le paiement ? s’enquit Malta.

— Une borne avec un employé, pour plusieurs caisses. »

Blenaud se frotta le menton. Sec et nerveux, les cheveux noirs, il était l’exact opposé de Hussard.

« Certains clients seront parfois bloqués sur un code-barre, d’autres chercheront à frauder. Un employé pour trois caisses semble être un bon ratio... enfin normalement. Personne n’a jamais fait cela.

— Nous ne savons pas quelle sera la réaction du public », s’inquiéta Malta.

Marc éclata de rire.

« On va en faire un vrai plébiscite, porté par son enthousiasme, il se remit debout : nous représenterons le futur. On se bousculera pour venir chez nous. »

L’équipe finit par adhérer à l’idée. Même Hussard se mit au diapason. Il émit une seule objection : il faudrait s’assurer que tout soit bien rodé pour éviter un rejet définitif du public. Blenaud fut désigné pour prendre en charge le dossier.

Au final, l'investissement serait de deux cent cinq millions. Chaque projet aurait un financement dédié, avec les bâtiments et les aménagements concernés mis en gage auprès de la banque. La Nab allait piloter cet aspect, en mutualisant son apport avec d’autres banques.

Ce fut ensuite au tour de Chalet. Les nouvelles étaient bonnes : les premières signatures avec les agriculteurs et les premiers débouchés offerts par la distribution avaient fait boule de neige.

Vingt groupements pour un total de deux mille domaines avaient été mis en place. Couvrant la production de fruits, de légumes, ainsi que des élevages de poulets et de cochons. Les fermiers apportaient l’usage de leurs terres en crédit-bail. En échange, CFIA finançait la modernisation de leur exploitation.

À une question sur les clauses de sortie, Malta précisa que « si un agriculteur veut quitter l’association, il devra racheter la quote-part non amortie des investissements mis en place.

— Et quelle est la durée d’amortissements ?

— Cinq ans en moyenne.

— Au-delà, ils pourront nous lâcher sans rien avoir à payer ?

— En théorie. Mais certains matériels devront être renouvelés. Disons que dans un cas sur deux, le fermier pourrait avoir intérêt à se retirer. »

Chalet haussa les épaules :

« Il restera dans l’association tant que le partenariat lui rapporte. »

— Et s’il nous quitte, nos magasins ne seront plus un débouché pour lui », termina Ancel.

L’ex-agriculteur acquiesça. Il présenta le volet coûts : ils en avaient déjà pour dix millions, et il en faudrait quarante de plus dans les mois à venir. Que la Nab financerait intégralement.

En rythme de croisière, ces groupements devaient dégager entre 8 et 12 % de marge. Un tiers de ces revenus iraient à CFIA, en rémunération de ses investissements.

« Une fois les intérêts de la dette payés, la rentabilité de l’opération sera proche de zéro » avertit Chalet.

Pour Marc, l’essentiel était d’aider le monde agricole.

« Avec une mise de départ de fonds propres quasi nulle. Du moment que le résultat est positif... »

La banque
Locaux du groupe CFIA, Paris
31 mai 1989

Pour la millième fois depuis la rupture, Marc consulta ses appels en absence. Pas de nouvelles. Il décrocha, hésita, puis comme d’habitude raccrocha sans rien faire. Ses épaules s’affaissèrent. Il se leva pour rejoindre la réunion.


Le DG de la NAB, Ourant, ouvrit le bal du conseil d’administration : avec douze mille nouveaux clients par mois, les conseillers mobiles rencontraient un réel plébiscite. Il présenta la synthèse en anglais, pour être compris de tous, puis il détailla certains points en français, afin de ne rien perdre en précision.

Le revers de ce succès était palpable : le back-office peinait à suivre. Dossiers égarés, doublons, lenteurs, … cela craquait de partout.

Ourant préconisa d’ouvrir un deuxième centre à Cergy, ou l’immobilier restait abordable. Coût estimé : 99 millions, que la Nab pouvait se payer. La décision fut entérinée.

Radier prit le relais, en anglais lui aussi : « Notre informatique atteint ses limites. Nous peinons à lancer de nouveaux produits et à gérer nos volumes d’opérations. »

Il saisit une pile de dossiers sur la table et les distribua aux participants. Il avait pris la peine de faire faire des tirages en français et en anglais.

« Le cabinet de Zeppé a finalisé son étude. »

Il passa les vingt minutes suivantes à expliquer les propositions du rapport et conclut :

« Nous avons besoin d’un système évolutif, multidevise, multilingue, et déployable dans tous les pays. Nous aurons ainsi plusieurs longueurs d’avance sur la concurrence. »

Face à cette ambition, le coût était colossal : un milliard pour couvrir l’ensemble de la banque. La moitié en plus pour tenir compte des particularités locales. Étalés sur trois ans.

Marc objecta : « Nous n’en avons pas les moyens. Et trois ans, c’est trop long : cela va brider notre croissance. »

Radier acquiesça : « C’est pourquoi, avec Zeppé, nous proposons une approche plus pragmatique. »

Il ôta sa veste. Malgré la climatisation, il faisait très chaud ce jour-là.

« Mettons le paquet sur la gestion des comptes et les crédits. Avec un premier socle opérationnel dès la fin de cette année. »

— Et le reste ? », demanda Marc, enlevant à son tour sa veste et retroussant ses manches de chemise.

Radier fit un rapide geste de la main, signifiant que le sujet avait moins d’importance : « Tant qu’il s’agit de petits volumes, nous continuerons à utiliser la bureautique et les tableurs. »

Marc tourna machinalement les pages qu’il avait dans les mains :

« Si je comprends bien : on refond notre cœur de métier directement à la cible : solide et adaptable. Sur le reste, on continue à gérer avec des bouts de ficelle.

— L’expression est un peu exagérée, mais c’est cela. Cela nous évite de dépenser dans des solutions intermédiaires qu’il faudrait jeter par la suite.

— Pour ce socle, il te faut quoi ?

— Cinquante millions, sur neuf mois, avec trois cents personnes. »

Marc fronça les sourcils : « On ne trouvera jamais autant de monde aussi vite.

— Et bien en fait, si. Zeppé a sélectionné dix chefs de projets chevronnés, disponibles sous un mois. Les sociétés de services fourniront le reste des effectifs. »

Cette fois, c’était Marc qui était impressionné par l’énergie que son ami avait déployée : « Zeppé ?

— Il est d’accord pour nous rejoindre.

— Parfait. Allons-y, mais la Nab doit autofinancer cet investissement. »

Ils abordèrent le sujet de l’Allemagne et de l’Angleterre. Leurs présidents, vestes toujours en place malgré la chaleur, présentèrent leurs bilans respectifs.

En Allemagne, la Neue Deutsche Bank séduisait une clientèle jeune et active, recherchant un service complet : compte courant, épargne, prêts immobiliers. La banque utilisait les mêmes recettes que la Nab, à l’exception de l’offre du boîtier de connexion sécurisé. Résultat : quatorze mille clients, 33 millions de deutsche marks de dépôts et 42 millions de prêts[1]. Hantz Muller allait ouvrir dix agences supplémentaires dans les cinq principales villes du pays.

En Angleterre, les dix-huit mille clients privilégiaient une banque du quotidien, avec peu de crédits immobiliers, mais une forte demande d’autorisations de découverts. Sir Jake Wilson avait lancé une offre de crédit personnel[2], générant des taux d’intérêt élevés et boostant la rentabilité. Mais leurs montants, plus faibles que ceux d’un prêt immobilier, déséquilibraient le bilan de la banque : 14 millions de livres de dépôts pour seulement 11 millions[3] de prêts. La NBB allait prêter cet excédent au groupe et se diversifier vers le financement aux entreprises.

Radier conclu : « Capitalisons sur l’expérience anglaise. La France doit lancer à son tour des prêts personnels. »

[1] En francs : 115 millions de dépôts et 144 millions de prêts.


[2] Un crédit personnel est un prêt à la consommation non affecté à un achat précis. Le client l’utilise comme bon lui semble. Le remboursement se fait avec un échéancier mensuel. Il reconstitue alors son autorisation.

[3] Soit 144 millions de francs de dépôts et 108 millions de francs de prêts.

Data business
Région Parisienne
A partir de Mai 1989


La réussite de CFIA Information devait reposer sur deux piliers : le système de collecte et de mise à disposition des données d’une part, le modèle de vente d’autre part. Avec Forel, ils avaient donc recruté un binôme pour le seconder.

Pour la partie technique : Pichon, 28 ans, consultant en organisation, féru d’informatique et de télécoms. Ce qui l’avait démarqué ? Il avait déjà piloté des mini-projets en étant étudiant. Il fut si intéressé qu’il imagina l’architecture à mettre en place avant même de les rejoindre et qu’il commença les développements dans la foulée. Forel dû le freiner : « Tu adores coder. Mais il te faut une équipe pour faire tourner le système. »

Pichon s’exécuta. En l’espace de deux semaines, il constitua sa garde rapprochée : une bande de copains tout aussi mordus que lui.

Fin juin, la collecte était prête. En août, ce fut le tour des restitutions. Dans la foulée, ils s’attaquèrent aux autres canaux de recherche de données.


Côté business, ils avaient voulu recruter un professionnel de la vente de voyages : Chevalier, un quadragénaire en pleine forme. Quelques années plus tôt, il avait eu l’idée d’acheter en gros des chambres d’hôtels pour les revendre ensuite à des agences. Son affaire était vite devenue très rentable, avant qu’il ne la cède, plus porté sur la conquête que sur la gestion.

Ce qu’ils n’avaient pas anticipé, c’était que Chevalier n’avait pas été intéressé. Forel l'invita à prendre un verre pour en discuter.

« Pourquoi ne voulez-vous pas nous rejoindre ? »

Le quadragénaire reposa son whisky sur la table : « J’ai goûté à l’indépendance, et je n’ai pas envie de redevenir un salarié.

— Et votre réussite vous donne de luxe de pouvoir choisir ce que vous allez faire.

Chevalier hocha la tête : « Cela fait partie de l’équation.

— Mais que pensez-vous de notre projet ?

— Le concept est séduisant. Je doute que vous ayez un gros débouché, mais il doit y avoir de quoi faire quelques petites affaires. »

Forel sirota son verre en scrutant son interlocuteur : « Pour ma part, je suis persuadé que ces données sont une mine d’or. »

Chevalier fit la moue.

« Bon. Voyons si je puis vous convaincre. »

Il énumérera :

« Chevalier Simon. Né en 1948 à Lille dans le Nord. Mère médecin, père représentant de commerce. Études à Sup de Co Paris. Je passe le détail de vos expériences, nous avions eu votre CV par ailleurs. Plus intéressant, vous êtes marié. Votre femme s’appelle Béatrice. Vos enfants : Gilles et Stéphanie. Treize et dix ans. Vous habitez une maison de 200 M2 à Marly-le-Roi. Vous avez trois voitures trois immatriculées à votre nom. Une Mercedes familiale, une pour votre épouse et une Jaguar. Vous aimez la vitesse, avec pas moins de quatre PVs depuis le début de l’année, tous avec la Jag. Enfin, vous venez d’acquérir une petite maison de vacances dans le Lubéron que vous êtes en train de retaper. »

Forel s’interrompit pour boire une gorgée puis examina de nouveau son interlocuteur qui fronça les sourcils, agacé : « Vous avez enquêté sur moi ?

— Disons que nous avons simplement recoupé des informations accessibles. Pour vous convaincre.

— Vraiment ? Ma famille, mes voitures, mes amendes ?

— Certaines données sont publiques : votre maison, vos acquisitions. D’autres demandent plus de recherche : annuaires téléphoniques, listes pour des événements scolaires, avis de convocation au tribunal… J’avoue que pour les PVs nous sommes allés un peu plus loin.

— Les travaux ?

— Contacts auprès des artisans du coin indiquant que nous souhaitions faire appel aux mêmes professionnels que pour votre maison. On peut trouver beaucoup d’infos pour peu qu’on sache où chercher. »

— Et cela vous apporte quoi ?

En guise de réponse, Forel le questionna : « Vous avez été récemment démarché par téléphone, exact ? »

Surpris, le quadragénaire hocha la tête.

« Ce n’est pas un scoop si, comme je le devine, vous êtes derrière ces appels. »

Ce fut au tour de Forel d’acquiescer : « J’en suis à l’origine. Mais continuons. Vous en avez eu trois. Un club de tennis pour vous proposer un abonnement avec un prix spécial famille. Un brocanteur du Lubéron pour des meubles qui pourraient vous plaire pour votre résidence secondaire. Et enfin, un garagiste de Saint-Germain-en-Laye. Il avait une très belle voiture de collection en stock.

— Si vous en veniez au fait.

— J’y arrive. Ces offres ont été ciblées en fonction de votre profil : je gage qu’elles vous ont intéressé ? »

Chevalier se renfonça dans son fauteuil et reprit son verre pour se donner une contenance. Il finit par lâcher :

« Vous marquez un point. Ces données ont une vraie valeur, il but une gorgée, même avec un prix unitaire faible. Dès lors que vous les revendez plusieurs fois.

— Pour la collecte, nous avons déjà la bonne personne. Pour le business model et les ventes, c’est de vous dont j’ai besoin », indiqua Forel, en pointant le doigt vers son interlocuteur.

Chevalier reposa son verre et se pencha légèrement au-dessus de la table : « Bien. Vous m’avez convaincu de l’intérêt de ce projet… Mais pas au point d'accepter d’avoir un patron.

— La partie que je veux vous confier n’est pas ma tasse de thé. Vous aurez beaucoup de latitude. Vous serez un des trois artisans majeurs pour faire de CFIA Information une affaire juteuse. Voire qu’elle s’implante un peu partout dans le monde. »

Éberlué, son interlocuteur se redressa : « Un groupe international ?

— Leader sur ce marché naissant, rentable, et pourquoi pas mondial.

— Pourquoi moi ? Je n’ai jamais bossé dans un grand groupe.

— Parce qu’il faut tout créer et que vous êtes un bâtisseur. Les compétences qui vous manqueront, vous les trouverez. Mais elles ne seront là qu’en support de votre dynamisme et de votre volonté. Et bien sûr vous serez intéressé au résultat, stock-options inclus. »

Les deux hommes restèrent silencieux. Forel attendait une réponse. Son vis-à-vis se mit debout et lui tendit sa main : « Vous feriez un excellent vendeur. »


Chevalier fit des merveilles. À la fin de l’été, il avait bâti l’offre, qui comprenait deux formules : achats ponctuels et abonnements. Le quadragénaire avait déjà trouvé plusieurs clients dans les sociétés de ventes par correspondance. Dès septembre, CFIA Information France débuta la commercialisation de ses premières données.



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