Chapitre 11-2 : blackboulé ! - Mise à plat
Mise à plat
Locaux du groupe CFIA
4 mai 1989
Dans ces circonstances, Radier n’osa pas rouvrir la conversation avec Ancel sur ce qui le tourmentait. Il préféra attendre la fin d’une réunion pour retenir Forel et Malta. Leur patron, absorbé dans ses sombres pensées, ne remarqua même pas que les trois hommes demeuraient dans la salle du conseil, dont les portes se refermèrent en silence derrière lui.
« Merci d’avoir accepté de rester, lança Radier. Je voulais en parler avec Marc, mais vous l’avez vu : il n’est pas dans son assiette en ce moment. »
Ces deux compagnons acquiescèrent. Il continua :
« Nous sommes proches de lui et de ses affaires. Nous en avons une bonne vision, mais moins sur ses associés. »
Malta eut une mimique de surprise : « Ses associés ?
— La Zurich Trust Bank. Ou plutôt, ceux qui se cachent derrière elle. »
Ce fut au tour de Forel de réagir. Précautionneusement il demanda : « Tu parles de leurs actionnaires ? »
Radier fit un geste pour signifier que ce n’était pas le sujet : « Non. De ceux qui tirent réellement les ficelles de notre financement. »
Malta posa sa tasse de café et le fixa d'un regard perçant : « Peux-tu être plus clair ? »
Prenant une profonde inspiration, le banquier se lança : « Le gouverneur de la Banque de France m’a confié qu’il avait subi des pressions pour être indulgent avec la Nab. »
Ses interlocuteurs ne réagissant pas, il poursuivit : « J’en ai parlé à Marc. Il a admis que la Zurich Trust Bank était actionnaire de la Nab pour le compte de clients qui ne veulent pas apparaître sur le devant de la scène. »
— Et que t’a-t-il dit d’autre ? demanda Forel.
— Pas grand-chose… Il n’aurait fait que les croiser. Leonardo serait autant leur représentant que celui de la banque suisse.
— Et tu nous en parles maintenant parce que ?
— Parce que je m’interroge. Qui sont-ils ? Qui contrôle vraiment la Nab ? Je n’ai que trois hypothèses. »
Malta s’était raidi, il n’aimait pas ce qu’il entendait. Il fit signe au banquier de continuer. Celui-ci leva le pouce :
« La première : évasion fiscale. Des clients cherchant à faire fructifier leur épargne non déclarée. Dans ce cas, Marc serait bien aux manettes de la Nab, mais…»
— … cela n’explique pas les pressions sur Bicker », compléta Malta.
Radier fit un léger signe d’assentiment de la tête.
Le détective intervint : « Pas sûr. On ne sait pas en quoi ont consisté ces pressions. »
Malta l’interrogea : « Qu’est-ce que cela pourrait être ? »
— Pressions sur sa carrière, chantage ou menaces physiques. Cela peut concerner son image et sa moralité. Son couple en cas d’infidélité. Ou la justice s’il a commis des actes délictueux.
— Bicker est un haut fonctionnaire, sa vocation chevillée au corps ! », s’exclama Radier.
Le détective eut un rictus : « Tu serais surpris de ce que sont capables de faire des gens par ailleurs bien sous tous rapport. Et n’importe qui posant quatre milliards sur la table pourrait être enclin à faire pression. Ton scénario est plausible. »
Le banquier soupira, puis leva un deuxième doigt : « Deuxième hypothèse : des investisseurs voulant conquérir le marché français. Ancel et la Nab ne seraient alors que des instruments entre leurs mains ».
Ce fut de nouveau Forel qui réagit : « Dans l’absolu, c’est possible. Mais je vois mal des capitaines d’industrie prendre le risque d’être aussi agressifs envers Bicker. Et ta dernière hypothèse ?
— Celle qui m’inquiète le plus. Des liens avec le crime organisé.
— Qu’est-ce qui te fait imaginer cela ? demanda Malta, la voix tendue.
— Cela expliquerait les menaces. Et chez certains de nos clients recommandés par la Zurich Trust Bank, j’ai repéré des mouvements de fonds suspects. Une possible évasion fiscale ou du blanchiment. À très grande échelle.
— Tu as des éléments qui vont dans ce sens ?
— Ce n’est qu’une hypothèse », soupira Radier.
Le détective intervint : « C’est un peu léger pour se forger une conviction.
— Peut-être. Mais il y a un autre fait troublant : cette opération immobilière dans la région de Naples. Là aussi, c’est une affaire qui nous vient de la Suisse et de Marc. »
Il se pencha et prit un journal qu’il posa sur la table.
« La presse italienne mentionne une décision imminente des pouvoirs publics concernant une nouvelle voie rapide desservant Naples. Juste à côté des terrains que nous finançons. Cela pue la corruption. »
Se tournant vers le détective, il poursuivit : « Tu as enquêté sur ce projet. As-tu découvert quelque chose ? Tu sais qui sont ces associés ? Et toi Jacques, que sais-tu de nos sources de financement ? »
Forel resta silencieux, son visage reflétant une intense réflexion. Il prit la parole : « Je suis au courant de certaines choses... mais je ne peux pas tout vous dire, désolé.
— Cela ne fait que m’inquiéter un peu plus, grogna Radier.
— Disons que tu as à la fois raison et tort... Les fonds des associés cachés derrière la Suisse sont bien d’origines douteuses. »
Le banquier se leva d’un bond : « Marc est une façade pour la mafia ? »
Le détective leva une main apaisante : « Non, c’est là où tu te trompes. Il sait qu’il a des associés peu fréquentables. Mais il n’est pas à leur solde. Il mène un exercice d’équilibriste : il ne peut pas, pour le moment, se débarrasser d’eux ; la Nab étant dépendante de la Zurich Trust Bank. Il veut racheter au plus vite les parts de la Suisse pour se libérer de cette emprise.
— Je ne trouve pas que ce numéro d’équilibriste soit une réussite. Il y a ces sommes conséquentes déposées sur nos comptes.
— Ces transactions sont légales du point de vue de la banque. »
Radier se tourna vers le juriste, demeuré silencieux jusqu’alors : « Qu’en dis-tu ?
— Bien que moins informé que Serge, je partage son analyse : c’est borderline mais la Nab semble rester dans les limites de la loi.
— Où est la limite Jacques ?
— Tu peux mener des opérations normales, tout en sachant que tu traites avec des acteurs qui eux sont du mauvais côté de la barrière.
Radier fit la moue, dubitatif, et mal à l’aise. Malta l’était également, bien que dans une moindre mesure. Ce que résuma le banquier à la fin de leur entretien : « J’ai une certaine admiration pour le bagou et la vision stratégique de Marc. Mais si j’estime que cet équilibre bascule dans le mauvais sens, je claque la porte. »
Ce qu’il ignorait, c’est qu’Ancel possédait une petite fortune personnelle acquise frauduleusement. Malta avait cette information, mais seuls les liens entre son patron et les associés cachés derrière la Suisse l’inquiétaient. Lui et le banquier ne savaient pas non plus ce que Forel avait gardé pour lui : il avait une certitude sur l’identité des investisseurs… et ce ils n’étaient pas là pour jouer à la marelle ! Il savait aussi que le blanchiment via la Nab était une réalité.
Seule bonne nouvelle, les investigations ouvertes sur Ancel et la banque suisse étaient clauses. Le parquet avait jugé qu’il n’y avait ni élément probant, ni même de réelles suspicions. Les enquêteurs de Bievod avaient également fait chou blanc. Le détective en avait informé Ancel, mais celui-ci avait à peine relevé l’information.
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