Chapitre 11-4 : blackboulé ! - Elections

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Elections
Mai Juin 1989

Le printemps marqua le temps des élections au syndicat CRASH. Trois candidats étaient en lice : Pottnir : le président sortant, Moussan : son opposant principal et Banish : le provocateur.

Banish voulait réactiver le H de CRASH : pour Heurter l’opinion, briser les conformismes.

Pottnir, lui, misait sur ses résultats : le soutien aux étudiants, les salles informatiques en libre accès. Il avait amendé son projet pour y introduire la proposition d’Ancel : financer, avec des donations dédiées, une assistance aux enfants en famille d’accueil.

Moussan, lui jouait la carte du renouveau :

« Le président sortant s’accroche à l’héritage de son fondateur. Mais CRASH n’est pas un musée ! Il doit vivre par lui-même. »

Conscient que l’aura de son créateur profitait à son rival, il souligna qu’Ancel, absorbé par ses affaires, s’était de toute façon éloigné du syndicat.

Pour contrer cela, Pottnir décida de frapper un grand coup. Il demanda à Ancel d’apparaître à ses côtés lors d’un meeting à Grenoble. Son appel tomba la veille du déménagement d’Elsa. Marc tenta de botter en touche, avant de céder à contrecœur face à l’insistance de son poulain.


Le jour venu, encore troublé par son week-end récent avec Elsa, Marc montant sur l’estrade. Il ne souhaitait qu’une chose : que cela se passe vite. Mais dès les premières minutes de son discours, il retrouva sa capacité à galvaniser la foule.

Il scanda : « Oui, nous continuerons à Heurter s’il le faut… mais notre mission première c’est d’aider nos étudiants à réussir leur vie ! »

Avant de conclure avec force : « Quand un jeune n’a pas la liberté d’étudier, c’est l’avenir du pays tout entier que nous assombrissons ! ».

Il redescendit sous les acclamations et regagna Paris, persuadé que son ami était remis en selle, sur son tracteur comme il le disait.


Sa satisfaction fut de courte durée. Lors d’un rassemblement, Moussan l’attaqua de front :

« Si un autre que son poulain est élu, Ancel nous coupera-t-il les vivres ? Devons-nous le laisser acheter cette élection ? »

Puis changeant de ton : « je lui envoie un message : rencontrons-nous. Échangeons sur nos visions. Je ne cherche qu’à m’enrichir de son expérience ! »

En conférence téléphonique avec Marc et son ami Delaunay, Pottnir proposa de l’ignorer :

« Tu as le droit d’avoir une préférence et de l’exprimer. Libre à chaque électeur d’en faire ce qu’il veut. »

Delaunay suggéra une approche plus subtile :

« Laisse entendre, en privé, que tu dialogueras avec le prochain président, quel qu’il soit. »

Mais Marc voulait en découdre. Il trancha :

« Je vais lui proposer une entrevue. »


La rencontre eut lieu la semaine suivante. Marc accueillit Moussan avec courtoisie et le fit s’installer à sa table de réunion.

« Merci de me recevoir. Votre vision, en tant que fondateur de CRASH, est précieuse. Mais d’abord, qu’avez-vous pensé mes dernières déclarations ? »

Marc se carra dans son fauteuil : « Un peu virulentes. »

Moussan eut un sourire amical :

« Je me suis laissé emporter. Cela dit, j’ai besoin d’avoir certaines assurances de votre part. »

Marc haussa les sourcils. L’étudiant se pencha en avant :

« Parlons des actions de la Nab que détient CRASH. Elles sont financées par un prêt à taux réduit auprès de la Zurich Trust Bank. Ces accords seront-ils maintenus si ce n’est pas votre candidat qui gagne ? »

Marc se détendit :

« Bien sûr. Ce contrat reste valable. »

Moussan hocha la tête, satisfait :

« Et votre implication ? Continuerez-vous à soutenir le syndicat ?

—Tant que mes activités le permettront, oui. »

— Et en échange, que peut faire CRASH pour vous ? Prendre des positions pour vous aider ? »

Marc se raidit, méfiant : « Rien. Je fais cela par conviction. Pas par intérêt. »

Moussan se redressa dans son fauteuil, rayonnant, et le remercia chaleureusement.


Trois jours plus tard, Pottnir l’appela, furieux : « Qu’est-ce que t’as été raconté à Moussan !?! »

Ancel, étonné, indiqua qu’il n’avait rien dit de spécial.

« Il vient de déclarer à Radio Facs que tu soutiendras CRASH quel que soit l’élu… à condition que le syndicat fasse du lobbying pour tes affaires !

— Mais c’est faux ! s’exclama Marc en serrant le poing, il m’a posé la question et j’ai répondu exactement le contraire ! Quel salopard !

— Il prétend aussi que tu l’as menacé d’écraser sa candidature et de retirer ton aide à CRASH, s’il s’avisait de te citer. »

Marc lâcha une bordée de juron : il allait anéantir ce petit con !

« Ce qui est fait est fait. Si tu tombes sur lui, tu valideras ses accusations. »

Marc, hors de lui, balaya d’un geste brusque ce qui se trouvait sur son bureau.

« Je ne peux pas laisser passer ça !

— De toute manière tu vas être sollicité. »


Marc publia un démenti sobre : « C’est une manipulation et un mensonge ». Son calme joua en sa faveur, mais l’attaque l’avait paralysé : continuer à soutenir à Pottnir revenait à alimenter la polémique. Son poulain cessa même de faire allusion à son mentor, enterrant au passage leur proposition d’aide aux enfants en famille d’accueil.


Le 15 juin, au premier tour, Pottnir arriva en tête sans surprise avec 41 % des voix, suivi par Moussan avec 35 %. Banish reconnut sa défaite et se retira. Le deuxième tour devait avoir lieu le jeudi suivant de manière à bénéficier d’un bon taux de participation : certains étudiants rentraient dans leur foyer dès le jeudi soir.

La veille du scrutin, à 19 h, le coup de tonnerre tomba : Banish appela à voter Moussan. « Il est temps de tourner la page Ancel. L’époque de la fondation est révolue. Nous devons passer à la suite. »

Quand Pottnir l’en informa , les jointures de Marc blanchirent sur le combiné : « Ils avaient calculé ce ralliement, grinça-t-il.

— Il faut qu’il récupère 60 % des voix de Banish pour gagner. Tout n’est pas perdu. »


Marc arpentait nerveusement son bureau pendant que Delaunay, au téléphone, recueillait les scores des différentes fédérations. Sur les centres déjà dépouillés, les deux candidats étaient au coude à coude : 51,2 % pour Pottnir, 48,8 % pour Moussan.

Les résultats de Grenoble, berceau historique de CRASH, creusèrent l’écart à respectivement 51,9 % et 48,1 %.

Trois quarts d’heure plus tard, ce fut au tour de Lyon de publier ses scores. L’écart se réduisit, avec 51,3 % et 48,7 % des voix.

À 22 h 10, le téléphone sonna. Delaunay décrocha. La conversation terminée il releva la tête vers Marc qui attendait, tendu comme un arc : « Paris a voté à 60 % pour Moussan… au global nous n’avons que 49,77 %. »

Marc s’effondra sur sa chaise : « On a perdu. »

Son ami posa sa main sur son épaule « CRASH va perdurer… c’est le plus important. »

Marc resta un long moment sans répondre. Il s’exprima à voix basse, comme s’il se parlait à lui-même :

« J’aurais préféré me retirer par moi-même. Pas comme ça. Cette époque, j’en étais fier, c’était le temps des idéaux sans compromis. »

C’était aussi pour lui, un symbole : cette période correspondait à sa rencontre avec Elsa. C’est comme si une partie d’elle disparaissait à nouveau.

Delaunay tapota son épaule et alla se planter devant la fenêtre observant les lumières de l’avenue scintillant dans la nuit.

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