Chapitre 13-1 : points de non retour - Marseille
Guet-apens
Région de Marseille
Eté 1989
L’affaire fut menée en trois mois.
Si Radier se doutait qu’il s’agissait de demandes suspectes, il n’en fit rien paraître. Il fit scruter les dossiers à la loupe ; et devant leur solidité, il joua son rôle du banquier. Il décida même surfer sur cette demande et de créer un service des financements promoteurs dont il confia le lancement à son directeur général.
La virée de Forel à Marseille pour convaincre la famille récalcitrante fut mouvementée, mais pas pour les raisons attendues. Le soir de sa visite, le barbu n’accepta de discuter qu’avec méfiance. Le détective montra les photos de la bâtisse qui avait brûlé. Combe s’emporta plusieurs fois et le menaça avec son arme. Sa femme le calma. Elle aussi était révoltée, mais son instinct maternel était le plus fort : elle ne voulait pas mettre sa progéniture en danger.
Le couple était loin d’être convaincu quand il fût aidé par un événement inattendu.
C’est Combe le premier qui entendit un bruit de moteur. Sortants sur le seuil de la maison, ils virent que deux 4x4 s’arrêtaient à une vingtaine de mètres, des portières claquèrent. À la lumière des phares, ils devinèrent qu’au moins six personnes étaient là. Le barbu releva son arme.
« Qui êtes-vous ? Que venez-vous foutre ici ? »
Pas de réponse… il épaula en direction des 4x4 : « Répondez nom de Dieu ! »
Deux coups de feu claquèrent, s’écrasant sur le crépis de la maison, de part et d’autre du petit groupe. Forel réagit immédiatement et fit rentrer la femme et ses deux enfants. Il s’accroupit ensuite derrière le muret de la terrasse, ou se trouvait déjà le père.
Le détective sortit son arme. Il haussa la voix et demanda ce que les intrus voulaient.
Cette fois, il obtint une réponse : « Toi justement. Nous n’apprécions pas les fouille-merdes ! »
Forel resta silencieux.
Un nouveau tir s’écrasa contre le mur du mas. La voix aboya : « Montre-toi et dis-nous qui tu es ! »
Le détective sentit sa sueur coller sa chemise dans son dos. Il joua le tout pour le tout :
« Arrêtez de jouer au cow-boy ! Vous ne savez pas à qui vous avez affaire…Appelez votre patron ! »
La réponse lui parvint, ironique : « Et qui le demande ? Bestiasse ! »
« Dites-lui que c’est en lien avec le financement de l’opération. »
Le silence ne fut troublé que par les pleurs des enfants, à l’intérieur. Quelques instants plus tard, il distingua une silhouette monter dans un des 4x4 et repartir. Ils vont chercher des instructions, pensa-t-il. Il n’eut pas le temps de se relâcher. Combe, tendu comme un arc, braqua sa carabine sur lui.
« Vous êtes en affaires avec eux ?
— Du calme, Forel écarta ses mains doucement et posa son arme sur le sol, mon boss a eu besoin d’eux pour avoir le soutien de gens importants. Et maintenant ils exigent un renvoi d‘ascenseur que nous ne pouvons pas leur refuser. Nous cherchons juste à éviter des victimes innocentes... D’où ma venue. »
Combe allait répondre quand le détective lui fit signe de se taire, l’oreille aux aguets.
« Il y a un téléphone à proximité ? »
Le barbu secoua la tête : « Il n’y a rien ici.
— Alors nous devons partir d’ici ; et vite.
— Pourquoi ?
— Le 4x4 s’est arrêté juste après le virage… C’est une diversion ; ils vont nous contourner dans la nuit. Comment pouvons-nous décamper ?
— À droite de la maison, il y a un fossé qui se prolonge jusqu’à l’autre bout du vallon.
— On peut l’atteindre discrètement ?
— En passant par l’appentis. Sa porte est ouverte et donne juste à côté.
— Prenez votre femme et vos enfants. On y va. »
Combe secoua la tête : « Sans moi. Je n'abandonne pas ma maison. »
Forel souffla, exaspéré : « Si vous restez, vous serez mort et vous perdrez quand même votre maison. Si nous nous éloignons, vous pourrez toujours leur tirer dessus à distance. »
Le barbu se laissa convaincre. Ils durent calmer les enfants avant de partir. Quelques instants après leur départ, le déluge de coups de feu qui déferla sur la bâtisse lui donna raison.
Ils avancèrent courbés dans le fossé, s’égratignant aux ronces qui l’encombraient. Lorsqu’ils furent remontés sur la colline, Combe se mit à tirer en direction des éclairs provenant des armes qui canardaient le mas. Si personne ne fût touché, cela sema la confusion. Les agresseurs battirent en retraite, inquiets que le vacarme ne finisse par attirer la police.
La situation calmée, Combe retourna de nouveau la carabine vers son sauveur :
« C’est quoi votre proposition ?
— Vous devez comprendre qu’il n’y a aucun moyen de les empêcher d’arriver à leur but. Votre parcelle est perdue. Nous ne pouvons rien y faire. »
Le doigt du barbu se crispa sur la gâchette :
« Alors, pourquoi nous escagasser ? »
Forel s’arrêta brièvement de respirer :
« D’abord pour vous convaincre que toute résistance de votre part ne servira à rien. »
La femme posa sa main sur le fusil, contraignant Combe à le baisser. Elle se tourna vers le détective : « Et ensuite ?
— Nous pouvons vous faire une offre bien plus intéressante que la leur. »
Forel expliqua la stratégie mise au point avec Ancel. Après bien des hésitations, le couple accepta.
Quelques jours plus tard, Marc appela la jeune femme désignée pour être sa correspondante, et lui apprit son rachat de la bâtisse de Combe.
Sur la réserve, Bagnol lui donna un numéro de cabine téléphonique à rappeler le lendemain.
Antonin fut d’abord glacial : il n’appréciait pas qu’on cherche à lui tordre le bras. Marc du déployer des trésors de diplomatie pour essayer de le calmer. Ils finirent par tomber d’accord sur le taux de participation de Marc aux bénéfices : 5 % et non pas les 10 % demandés.
Au moment de raccrocher, le quadragénaire avait rajouté, sur un ton légèrement moqueur :
« Pour que les choses soient claires. Si nous avions vraiment voulu arrêter votre ami… nous l’aurions simplement liquidé sur la route du retour. »
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