Chapitre 15-1 : compromissions - Acte I
Le régulateur
Banque de France
Paris
4 décembre 1989
Bicker pianota nerveusement son bureau. Zenbach avait sollicité un entretien suite au dernier reporting de la Nab. Cela ne lui disait rien de bon… Il avait envisagé de demander au préalable un mémo à son collaborateur, mais s’était ravisé, craignant de laisser une trace écrite prouvant qu’il était informé. De quoi d’ailleurs, il ne le savait pas.
Il se décida à faire entrer son adjoint, qui patientait dans le petit salon adjacent à son bureau.
« Nous avons reçu les déclarations de la Nab… Leur liquidité est remontée à 104 %.
— Excellent ! s’exclama Bicker en se frottant les mains, puis voyant la mine soucieuse de son collaborateur, qu’est-ce qui t’inquiète ?
— Ce ratio vient des accords de refinancement qu’ils ont mis en place entre sociétés du groupe CFIA. Le montant est impressionnant : 1,3 milliard, 20 % de leur bilan. »
D’un geste, son supérieur balaya l’information :
« Bon et alors ? Y a-t-il des raisons de douter de leur existence ?
— Ils nous ont fourni une copie de ces contrats. Il n’y a rien à dire. Mais je suis suspicieux sur leur capacité à mobiliser ces fonds.
— Leur trésorerie ?
— Ils empruntent un peu moins de cent millions sur le marché. »
Bicker hocha la tête :
« Le vrai risque à court terme, c’est si la Nab ne trouvait plus de prêteur pour ces cent millions. »
— Pour cela, ils sont à priori tranquilles, ils ont demandé à CFIA Bank de les financer à hauteur de quatre cents millions dans le cadre de leur engagement de prêt.
— Et cela a été le cas ?
— La Nab nous a fait parvenir une copie du virement sur son compte propre. »
Le gouverneur se cala dans son fauteuil, rasséréné : « Et bien, tu devrais être rassuré.
— Sur le papier oui. Mais je reste dubitatif sur la réalité de ces engagements. »
Bicker leva la main : « Tes craintes t’honorent, mais ces entreprises n’ont pas à nous fournir le détail de leurs comptes. Seules les banques sont sous notre contrôle.
— C’est ce qui me chiffonne. Ces structures sont récentes, le greffe n’a pas encore de bilan. Nous n’avons aucune information.
— Encore une fois, nous n’avons pas de droit de regard sur ces sociétés.
— J’aimerais quand même que la Nab nous fournisse des éléments permettant de vérifier que ces entreprises ont les moyens de respecter ces accords.
— Et de quel droit ?
— Aucun… Sauf qu’on parle de 1,4 milliard. »
Bicker finit par donner son aval. Cela devait être une simple demande, pas une exigence.
Les actionnaires
Siège de la Nab et de CFIA Bank
Paris
Décembre 1989
L’annonce de l’augmentation de capital, avec la part de CFIA Bank dans la Nab grimpant à 12,6 %, avait donné lieu à un conseil d’administration houleux avec le représentant de la Zurich Trust Bank.
Radier avait expliqué la nécessité de l’opération. Marc avait pris la relève. Il avait d’abord pris soin de s’excuser du manque de communication.
« Il ne fait nul doute que la Zurich Trust Bank est propriétaire de la Nab. Et qu’à ce titre c’est elle qui décide. C’est indiscutable ! »
Il avait marqué une pause pour laisser le temps à Leonardo de s’imprégner du message :
« Cette proposition s’inscrit dans le cadre nos accords, à savoir que je peux lui racheter les parts de la Nab.
— Il ne s’agit pas là d’un rachat.
— Nous aurions dû prendre le temps de vous consulter… Mais reconnaissez qu’il est plus simple, et pour un résultat final identique, de faire comme nous le proposons. L’alternative étant que la Suisse participe à cette levée de fonds et qu’ensuite CFIA Bank lui rachète les parts. »
Leonardo, une fois son énervement retombé, avait admis que cela avait du sens. Il avait demandé vingt-quatre heures, le temps d’avoir une validation.
La réponse avait été oui. Marc avait même reçu un message de Manolo lui apportant son soutien. Le jeune homme n’était pas dupe. On le laissait faire tant que cela n’allait pas à l’encontre des intérêts du clan.
En Italie, la filiale avait été lancée avec une campagne marketing dans toute la péninsule, et particulièrement à Milan. La communication passait sous silence le faible capital de la Nuevo Banca Italiana ou NBI : 21,6 milliards de Lire[1]. Apportés par CFIA Bank et financés via un prêt de la Nab.
Les flics
36 Quai des Orfèvres, Paris
Lundi 15 janvier 1990
A peine de retour de sa convocation auprès du procureur général, le commandant Roch rassembla son équipe. La justice avait décidé de centraliser l’enquête sur Et Poena au niveau national. En quelques mois, cette organisation mystérieuse avait revendiqué deux meurtres et deux enlèvements suivis de mutilations. Sans compter sept passages à tabac.
« Nath, la synthèse ? »
Son bras droit se leva et prit ses notes :
« Les meurtres et mutilations : effectués dans les régions de Lille, Lyon, Paris et Marseille. Les victimes sont des pédophiles ou des pères coupables de violences familiales graves, surtout envers leurs enfants.
— Coupables selon qui ?
— Déjà condamnés par la justice, ou en attente de jugement.
— D’autres points communs entre les victimes ?
— Non. Milieux sociaux et âges différents. Le cas le plus spectaculaire est bien sûr Bardon, mais ce qui ressort à chaque fois, c’est une intervention propre, professionnelle, quasi militaire. Avec à chaque fois la revendication laissée sur place de Et Poena. »
Elle prit une deuxième fiche :
« Les passages à tabac. Là aussi sur tout le territoire. Toutes des personnes coupables ou suspectées de violences familiales. Mais sur des faits moins graves. Milieux sociaux et âges différents.
— Mêmes modus operandi ?
— Ce ne sont pas les mêmes sévices, mais surtout, le type d’intervention n’a rien de commun avec les meurtres et les mutilations. Ici, on a affaire à des gros bras.
— Avec toujours la revendication d’Et Poena ?
— Oui. Mais… »
Elle laissa sa phrase en suspens. Son patron la relança : « Mais ?
— Ce ne sont pas les mêmes gars. Peut-être des copieurs qui surfent sur la tendance du moment. »
Le fait est que les agissements d’Et Poena avaient bonne presse auprès d’une partie de la population qui considérait que les victimes le méritaient amplement.
Nathalie Perclay compléta son topo : « Dernière chose. Et Poena est trop bien renseignée. Ils doivent avoir accès aux fichiers de la police ainsi qu’à ceux des services sociaux. Des complicités sont à envisager. »
Roch hocha la tête, dans la police aussi, beaucoup ne masquaient pas leur contentement de voir ces monstres punis.
Il distribua ses consignes : réinterrogation de tous les témoins, revue des scènes de crime. Faits et gestes des victimes quelques jours avant leurs agressions. Et investigations pour identifier qui avaient consulté les fichiers permettant à Et Poena de repérer ses proies.
Nathalie proposa également qu’ils sondent les milieux des voyous de banlieue. Avec un peu de chances, les gros bras venaient de leurs rangs. Roch acquiesça.
« Dernière chose. Bardon. C’était leur première action revendiquée. Et la plus spectaculaire. Son cas est probablement l’élément déclencheur d’Et Poena. Il faut trouver pourquoi.
— Ben on le sait : il a fini par tuer sa femme et paralyser un de ses enfants. »
Roch secoua la tête : « Il y en a des dizaines tous les ans comme cela. Pourquoi lui ? Il y a forcément un truc. Un événement précis. Le fait qu’un des membres d’Et Poena le connaissait…. Trouvez-moi ce que c’est. »
[1] Cent millions de Francs.
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