1.2 Mensonges
Ce système est pourri. J'ai envie de le foutre en l'air. Il était déjà bancal avant, mais depuis l'arrivée d'Alpha Cassandra, c'est une dictature esclavagiste. Je hais cette femme. Je hais les Alphas qui valident ce système merdique, surtout celles qui idolâtrent Alpha Cassandra. Elles imitent ses systèmes de torture, faisant chuter leur taux de natalité et augmenter le taux de suicides.
Rien ne va. Les reproducteurs sont malheureux et se rebellent. Les Zêtas également. Peu de femmes Gammas, Epsilons et Deltas veulent et parviennent à avoir des enfants. Tout le monde sauf les Alphas, vivent dans la crainte permanente. La mortalité dite précoce, c'est-à-dire avant vingt-cinq ans, est de plus en plus forte au sein des castes les plus exploitées. Zêtas et reproducteurs meurent de maladie, blessures ou de suicides à un jeune âge. Le pic de décès dans les autres castes se situe environ deux ans après le passage au statut de Zêta.
Mon sort n'est guère enviable à celui des reproducteurs. Je ne dois pas trop me plaindre quand même. Je n'ai pas de colliers et bracelets qui lancent des décharges électriques. Je ne serais pas forcée à l'acte de procréation. Quoique avec la folle au pouvoir, rien n'est moins sûr. Si les idées de cette salope de Cassandra contaminent la Suprême, les Zêtas risquent de porter des entraves très prochainement.
J'ai appris à lire, écrire et compter comme toutes les femmes. Mes connaissances sont cependant supérieures à celles de Zêtas classiques. Je lis énormément, pour apprendre, pour m'évader, pour passer le temps. Cela me fait découvrir un grand nombre de choses. De plus, mon orphelinat est un peu spécial et j'ai reçu comme toutes mes sœurs, un complément de connaissances par rapport aux enfants élevés ailleurs.
Aux yeux des autres états, et des autres Alphas, mon orphelinat est un centre de formation de futurs soldats appelés les endoctrinées. Alpha Cassandra a conçu ce système dès son accession au pouvoir. Des lieux où dès la naissance, les fillettes de niveau Zêta, présentant de fortes aptitudes génétiques au sport, sont éduquées, dressées pour obéir aveuglément aux Alphas.
Elles sont endoctrinées à croire que les Alphas sont comme des Déesses, que le test d'aptitude est la seule chose à prendre en compte et à croire. Seul son résultat fait foi pour jauger de la valeur d'une personne par rapport à une autre. Une armée de garde rapprochée qui sert principalement Alpha Cassandra, mais aussi les Autres Alphas.
En réalité, Cassandra est bien plus vicieuse que cela. Dans cet état, comme dans les autres, il y a certes des centres de formations d'endoctrinées, toutefois, ce n'est pas le cas de mon orphelinat. Ici, nous sommes formées à devenir des espionnes au service de Cassandra. Cette saloperie nous place à des fonctions stratégiques auprès de Deltas ou d'autres Alphas, voir des rebelles afin d'obtenir des informations.
Ainsi, depuis la naissance, nous apprenons l'art du déguisement, de l'interrogatoire discret, du piratage informatique et autres techniques utiles dont un art martial pointu, qui n'est enseigné qu'aux espionnes. Nous sommes des soldats et des fantômes. Aptes à nous défendre et si discrètes qu'on ne nous remarque pas. Notre passage ne doit pas être détecté. L'un de nos tests consiste souvent à s'infiltrer dans la demeure d'une femme influente ou d'un lieu stratégique et d'en pirater les données sans se faire prendre.
Je suis une des meilleures depuis l'ouverture de l'Orphelinat. La meilleure, c'est cette charogne de Keira. À quasi seize ans, je suis déjà rentré dans le chef lieu militaire de l'État 19, le domicile d'Alpha Fanny, la prison Hélianos de haut niveau de l'État 25 où j'ai interrogé des prisonnières et libérées une des nôtres. Mon professeur de combat est impressionnée par mes talents, si loin de ceux prédits par mon test de naissance. Je suis destinée à approcher une autre Alpha en tant que soldat d'élite ou bien en tant que cuisinière. Une des plus influentes nommée Marie.
Pour assurer notre mission d'espionnes, moi et mes sœurs avons reçu des cours supplémentaires de diverses sciences, d'Histoire, de géographie, de psychologie. En fonction de nos aptitudes soit supposées génétiquement soit vérifiées par nos professeurs, nous nous perfectionnons dans des techniques différentes. Moi, mon truc, c'est la baston, mais aussi l'informatique. J'ai un don pour le piratage, mais aussi la compilation de données et les plans tordus. Je suis d'ailleurs rentrée à dix ans dans la prison en me cachant dans un container de linge et en ressortant par la fenêtre du bureau de la directrice pendant qu'elle dormait.
Officiellement, nous servons la vie, c'est-à-dire que nous surveillons les autres afin de nous assurer que le maximum est fait pour relancer la natalité. Ca, c'est le bobard de Cassandra. Aucune de nos professeurs n'y croit et nous nous méfions d'elle. Nous ne croyons qu'en nous et en nos sœurs d'armes. Nous sommes solidaires entre nous et la protection de la vie est notre but ultime. Nous surveillons certes que le respect de la vie est bien assuré, toutefois, le but de Cassandra est surtout de connaître les données stratégiques et les secrets des personnes influentes.
Ce n'est pas Alpha Cassandra qui a conçu ce système. Ce système a été conçu, il y a près de cinquante ans par ma grand-mère. J'ignore qui elle est exactement, mon professeur de combat m'a appris beaucoup de choses depuis mes quatre ou cinq ans. Les espionnes existent donc depuis une cinquantaine d'années, en s'inspirant de la rébellion silencieuse, mon ancêtre a voulu avoir des alliées disséminées de partout. Elle a détourné plusieurs orphelinats de l'État où elle vivait, ralliant leurs directrices à sa cause : protéger la vie.
Aujourd'hui, le réseau initial est très étendu. Alpha Cassandra ignore qu'un tel réseau est aussi vaste. Elle ne connaît que le sien et le pense à ses débuts. Elle ne sait pas que nos directrices et professeurs en font partie, et ce, bien avant sa naissance parfois. J'ignore d'où vient l'idée de Cassandra, je soupçonne ma grand-mère d'avoir suggéré l'idée à cette tarée de Cassandra via une de ses sbires. Deux réseaux coexistent, celui de ma grand-mère et celui de Cassandra. Le second ignorant l'existence du premier. Là est toute la puissance du réseau initial, anonymat et ancienneté. Cassandra a placé sans se douter des taupes au sein de son propre réseau.
Je dois aller faire mon sac pour les prochains examens finaux avant la vie d'adulte. Comme je suis en extérieur, le seul endroit assez bien entretenu, je dois traverser le terrain pour rejoindre le bâtiment. Je jette un œil au jardin qui nous sert pour l'entraînement sportif. Les punitions consistent souvent à tondre la pelouse, désherber ou tailler les arbres. Il n'y a que de l'herbe et des arbres, pas une fleur, pas un légume ou plants d'ornements sympas.
Un peu de verdure qui apaise. Un coin d'air presque pur pour nous ressourcer. La fonction d'apaisement de ces quelques brins entre vert et jaune n'est pas optimale. Les arbres servent surtout à se cacher ou apprendre l'escalade et l'équilibre plutôt qu'à trouver nos racines. Je pense que c'est un endroit pour se donner bonne conscience par rapport à l'éducation d'enfants. Pas un lieu vraiment utilisé à son plein potentiel.
Au pied du bâtiment de trois étages recouvert d'un crépi qui fut rouge du temps de sa splendeur, je prends une grande inspiration avant de rentrer. Aujourd'hui, il tombe en lambeaux et on ne le distingue plus du gris des parpaings qui affleurent. De très nombreuses fenêtres à barreaux ornent le rez-de-chaussée et le premier étage. Les salles de classe et les communs sont situés au niveau du sol. Je traverse le long couloir lumineux gris sans décoration pour débuter mon ascension.
Les appartements des professeurs, sont accessibles via un escalier de béton sombre, éclairé par une seule ampoule. Nous n'avons pas le droit d'y entrer sauf à la demande express d'un professeur. Les rares fois où je m'y suis rendue, c'est pour déboucher les toilettes de certaines enseignantes. Une porte ferme l'accès au couloir et empêche sa lumière de pénétrer dans le sombre colimaçon infernal.
Le dernier étage, celui sous les toits recouverts d'ardoise noire, est celui des dortoirs. Il n'y a aucune lumière ou fenêtre. Mal isolé, il y fait froid en hiver et étouffant en été. Certaines filles ont calfeutré les aérations pour s'isoler, empêchant une bonne ventilation certes, cependant, les odeurs de transpiration, de chaussettes sales et de sang séché se mêlent dans une puanteur asphyxiante.
Sans lumière, nous nous dirigeons à l'aveugle. C'est ma destination. Je gagne ma chambrée et ramasse les rares vêtements usés et rapiécés qui m'appartiennent, dans le noir, en essayant de ne pas bousculer la camarade malade qui dort. Si je perds les yeux, je saurai me diriger sans problème grâce à ce subtil entraînement forcé. Mon sac est rapidement fait et je redescends en songeant à mon futur quotidien.
Lorsque j'ai eu dix ans, j'ai appris que les intentions de ma grand-mère n'étaient pas aussi merveilleuses. Mon professeur de combat m'a révélé une vaste machination. Ma grand-mère attend d'avoir assez d'espionnes pour lancer une offensive mondiale et une prise de pouvoir absolue. Elle veut la place de l'Alpha Suprême. Elle veut diriger le monde.
Pour cela, elle a créé son propre réseau bien avant Cassandra. Un réseau parallèle qui surveille les espionnes elles-mêmes. Un réseau qui lui est dévoué, composée de taupes parmi les taupes que j'appellerais les délatrices. Mon professeur de combat est l'un de ces agents doubles. Depuis, je me méfie de tout le monde, y compris des autres fillettes.
Ma grand-mère me veut à ses côtés pour régner lorsqu'elle aura fait son coup d'État. Elle me révélera son identité en temps voulu. Elle observe mon éducation de près et a vu mes capacités. Je suis amenée à devenir son second pour lui succéder un jour. Mon professeur glorifie ma grand-mère et tente de me rallier à sa cause. Je ne partage pas ce besoin de dictature. J'ai honte de partager le même sang que ce monstre caché. Je veux protéger la vie comme mes sœurs d'armes.
Dans ce but, depuis mes dix ans, j'agis en bonne petite espionne. Je prends le maximum de renseignements. Je ne divulgue rien à personne. J'adapte mes propos à la personne en face de moi. Mon professeur de combat me pense dévouée cœur et âme à ma grand-mère. Dans le secret de mon esprit, je me prépare à révéler au monde des espionnes son plan machiavélique, à démanteler le réseau parallèle des délatrices, à tuer ma grand-mère. Une fois que ce monstre n'existera plus, je me suiciderais pour qu'elle n'ait plus de descendance.
Ma tâche sera ardue et j'y passerais sûrement toute ma vie. D'autant plus que je ne peux faire confiance à personne. Je suis du genre obstinée et je n'ai pas peur de transpirer. Je me suis fait une liste des choses à faire, des personnes à éliminer ou à surveiller. Déjà parmi mes petites missions d'entraînements, ou parfois en allant espionner mes professeurs, j'ai une petite idée d'adultes pas bien claires au sein de mon orphelinat mais aussi de cet État et d'autres.
Mon professeur de combat est l'une de mes cibles. Certainement une de mes plus difficiles. Elle est à la fois intelligente, cultivée et une experte en combat et en espionnage. Ma grand-mère lui avait confiée mon éducation comme mission. Cela ne m'étonnerait pas que mon professeur soit l'un des bras droit de mon ancêtre voir sa seconde. Si elle doute de mon allégeance, je mourrai dans d'atroces souffrances. C'est certain.
Ma première cible de tyran à éliminer est Alpha Cassandra. Celle qui est au courant pour le réseau d'espionnes et qui me semble avoir le même noir dessein que le monstre. Cassandra se pense bien protégée avec son armée d'endoctrinées. Elle ignore que le réseau parallèle a placé quelqu'un auprès d'elle, une délatrice parmi ses proches. Quelqu'un qui m'obéira quand je serais auprès de ma grand-mère et qui la tuera pour moi.
Si ce n'est pas la délatrice qui assassine Cassandra, ce sera les rebelles. Pour l'instant, ses soldates dévouées la protègent. Cassandra vieillit, elle ne sera bientôt plus en âge de procréer et perdra son trône d'Alpha. Son influence faiblira considérablement. Les rebelles s'organisent de plus en plus. Leur nombre s'accroît chaque semaine. La dictature de Cassandra fait se soulever de nombreux hommes et femmes. Les Zêtas se rebellent ainsi que des Gammas. Les ex Deltas ou Epsilons sont en train d'organiser une révolte. Plusieurs Deltas proches d'Alpha Cassandra ont été assassinées. La colère gronde contre Alpha Cassandra et également contre le système et d'autres Alphas.
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