2. La mise en jambes

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Mille sensations l’envahissent quand il pousse la porte du bar bondé. D’abord le son, à son maximum. Sur la scène, Lou a déjà commencé son show. Et elle est en forme, apparemment, près de son acolyte aux cheveux décolorés, qui s’agite sur sa guitare, vérifiant l’écran d’ordinateur régulièrement. Le public n’a d’yeux que pour Lou, quand Proda est sur scène. Dans son mini-short en skaï et ses bottes courant le long de ses jambes sans fin, elle aguiche le public, le provoque.

Il faut dire que les simples bretelles de la même matière que son short qu’elle porte au-dessus de la ceinture aident énormément à enflammer le public. Ses petits seins arguent les premiers rangs, qui donnent de la voix avec elle, hurlant les phrases saccadées de ses chansons.

L’homme fait quelques pas dans cette foule, en direction du bar, et il marche déjà sur du verre brisé. L’air est empli de l’odeur de l’alcool, du tabac et de l’herbe. Mais son odorat repère des milliers d’autres odeurs, comme la sueur, si différente sur chaque personne, le sexe qui est présent partout jusque dans les paroles et la voix de Lou, et le sang... les hostilités auraient-elles déjà commencé sans lui ?

Alors qu’il avance dans la foule, il ne passe pas inaperçu. Et il aime ça. Tout le monde lui laisse le passage libre, comme si personne n’osait le toucher. Derrière ses lunettes, personne ne voit où se pose son regard, et pourtant tout le monde sait déjà qui il est, et que, puisqu’il est là, la fête peut vraiment commencer.

Attendu et redouté, les gens se taisent sur son passage. Tout le monde veut le voir à l’œuvre... mais de loin. Avec une mine pleine de dédain, il arrive au comptoir. Aussitôt, un verre de Bourbon y est posé, rempli à ras bord. Il le prend, sans un regard pour le barman, et s’accoude au zinc, tourné vers la scène.

Là-bas, caressant sa basse, Lou pose son regard sur lui. Aussitôt, ses gestes se font félins, montant encore d’un cran ou deux dans la provocation. Un regard averti tel que celui qui déguste son verre au comptoir remarquerait que les tétons de Lou se sont mis à pointer lorsque l’homme l’a regardée. Elle se met à crier ses phrases libidineuses dans son micro, comme si elle les susurrait à l’oreille de l’homme. Et l’odeur de sexe dans le bar gagne en puissance.

La foule commence à s’habituer à sa présence, et le vide autour de lui se réduit à vue d’œil. Assoiffés comme ils sont, les keupons seraient prêts à mourir pour une pinte de la pisse servie dans ce bar, qu’ils osent appeler bière. Il termine son verre d’un trait et le repose sur le comptoir. Aussitôt, sorti de nulle part, un serveur armé d’une bou­teille de Bourbon de premier choix le lui remplit sans un mot.

Lou s’excite sur scène. Entre deux morceaux, alors que Mat lance une intro endiablée à sa guitare, la boîte à rythmes l’aidant à ne pas perdre le tempo, elle se prépare une trace de coke sur l’ordinateur, parmi les câbles qui serpentent dans tous les sens. Avec eux, la scène ressemble au labo d’un savant fou, sans aucun ordre, si ce n’est celui de son esprit dérangé. Il fut un temps, l’espace de travail d’Einstein devait ressembler à ça. Elle relève la tête avec une moue proche de l’orgasme, et vient vers le micro, sans sa basse, cette fois. Comme si elle voulait rendre l’homme du bar jaloux, elle vient se frotter au premier rang. Des langues lèchent ses seins, des mains la caressent, alors que sa chanson est une insulte au genre humain.

Lorsqu’un type tente de glisser sa main dans son short, elle lui décoche un magnifique coup de boule, sans perdre de sa superbe. Elle relève la tête, et sa frange est teintée de sang. Le gars se roule par terre, tenant son nez sanguinolent dans ses mains. Dans son micro, Lou se met à rire, à la fois sensuelle et diabolique. Le gars au nez défoncé commence à se faire piétiner, et il tente de se traîner plus loin, recevant d’autres coups de gens qui ne le voient même pas.

Lou fixe l’homme au bar dans une posture de défi. Celui-ci a tous les sens en éveil, la lèvre supérieure retroussée. Sa langue vient caresser sa canine droite, qu’il a un peu plus longue que la moyenne et aiguisée. Il avale son Bourbon et se dirige droit sur le type au sol. Les keupons et autres déjantés du public n’ont pas le temps de le voir arriver. Mais ça ne l’empêche pas d’avancer. Ils volent dans tous les sens. De loin, on croirait Obélix dans une légion romaine.

Lorsque le blessé arrête de se faire piétiner, il est d’abord soulagé. Quelqu’un est enfin venu l’aider à se relever, et il va pouvoir sortir de là. Il retire les bras qui lui protégeaient le visage et lève son regard sur son sauveur. Toutes les bonnes choses ont une fin, dit-on. Le bonheur d’être sauvé n’échappe pas à la règle. Alors que l’homme lui sourit avec sympathie, une moue de terreur s’imprime sur le visage du jeune garçon. L’homme se penche et l’attrape par le col de son t-shirt.

Il n’y a plus que la boîte à rythmes qui fait résonner ses sons sortis d’un autre monde, lorsque le bonhomme se voit soulevé au-dessus des gens. Il peut voir l’excitation dans les yeux de chacun. Le “maître” va lancer les hostilités pour de bon, et ce n’est pas eux qu’il a choisi. Ils sont venus pour la musique, certes, mais aussi pour le frisson. Ceux qui auront la chance de rentrer chez eux s’en souviendront toute leur vie. Les autres...

D’un coup, l’homme jette sa tête dans le cou de sa victime. Ça ne dure pas longtemps. Le jeune homme malchanceux semble pris d’une crise d’épilepsie pendant quelques secondes. Puis plus rien. Sa tête retombe, ses bras relâchent le bras de l’homme, et ce dernier sort son visage du cou, en arrachant une bonne partie. Il recrache la chair par terre et balance le corps sans vie de ce qui sera le premier d’une longue série.

Lou semble au bord de l’extase. Mat reprend ses riffs avec encore plus d’enthousiasme. L’homme s’approche de Lou. Celle-ci lui lèche le visage ensanglanté, avant de l’embrasser en ondulant son corps contre le sien. Au bout d’un moment, l’homme la repose sur scène. Elle reprend son micro et enchaîne, le diable ayant semblé avoir pris possession de son corps. Lorsque l’homme quitte la foule pour se diriger dans les autres pièces du bar, la folie a monté d’un cran, chaque personne du public revigorée par le simple fait d’être encore en vie.

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