4. Le pogo infernal

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Lorsque Manu revient vers la scène et le comptoir, Proda a terminé son set. La scène s’est vidée et un type s’active à tout ranger. Le bar est pris d’assaut par la faune, les serveurs et serveuses sont complètement débordés, recevant des insultes et des coups, pour que les assoiffés soient servis plus vite.

Le vampire contourne la foule pour aller pousser une porte où est attaché un panneau Private. La porte s’ouvre directement sur une cuisine, et lorsqu’elle se referme, les bruits du bar sont étouffés. La pièce sent l’herbe à plein nez, ainsi que l’alcool fort. Une dizaine de personnes est là, et pour l’une des premières fois depuis son arrivée dans ce lieu, le vampire sourit vraiment de plaisir.

Avec les personnes présentes, il peut quitter un instant son statut de créature des ténèbres, crainte et adulée. Il s’assied à la table en saluant ceux qu’il n’a pas vus et un homme lui sert un Bourbon :

— La soirée s’annonce bien, lui dit celui-ci. Les gens sont déchaînés... Tu sais vraiment y faire !

— La soirée s’annonce formidable, en effet, répond le vampire en avalant la moitié du verre servi.

Lou arrive derrière lui et lui relève la tête pour l’embras­ser langoureusement, avant de retourner sur le canapé, en compagnie de Joe, le guitariste du groupe qui allait se produire ensuite sur scène, celui de Manu. Celui-ci perd son sourire, après l’avoir regardée tortiller du cul.

— En cas de besoin, vous vous tirerez d’ici à mon signal... tous.

Tout le monde s’arrête alors. Derrière la porte, les cris et les rires se font entendre un peu mieux, tranchant avec l’ambiance de la cuisine. Tous les regards se posent sur lui, à la fois inquiets et pendus à ses lèvres, jusqu’à ce que Lou finisse par comprendre :

— Il va venir ce soir ?

— Oui, répond simplement le vampire, avant de ter­miner son verre. Tu n’as pas remarqué ? Je suis le seul vam­pire. Seules ces stupides goules ont été attirées jusqu’ici. Les vampires le savent... ou ne veulent juste pas prendre le risque.

Il se verse du Bourbon dans son verre, jusqu’à ras-bord, alors que chacun accuse le coup intérieurement. Finalement, c’est encore Lou qui brise le silence qui s’est installé, s’adressant à Joe tout en faisant glisser son short :

— Alors profitons de la soirée tant qu’il n’est pas arrivé !

Grimpant debout sur le canapé, elle colle sa chatte au visage de Joe, attrapant une poignée de cheveux du gars pour s’y frotter avec vulgarité, mouillant déjà à l’idée de voir Manu faire un carnage... car elle ne compte pas vraiment quitter les lieux, pour sa part. Prendre ses distances, oui. Mais pour rien au monde elle ne voudrait rater le combat du siècle qui s’annonce !

Ses gémissements réussissent à sortir les autres de leur torpeur, à commencer par Joe, qui se met à la brouter avec envie, pendant que les discussions reprennent autour de la table :

— Tu comptes en finir ce soir ? La dernière fois... commence Mat, hésitant.

— Disons que j’ai fait une belle rencontre, dans la petite salle... lui répond le vampire avec un large sourire, dévoilant ses canines.

— Ahah ! s’exclame Tanguy, autre membre du groupe de Manu. Tu seras bien le seul à ressortir debout de cette salle, ce soir, avec ces goules !

— En fait, pas vraiment, lui répond Manu... Il y avait une sorcière, là-dedans. Autant vous dire que j’aurai plus de chances de mon côté, cette fois, contre lui.

Tanguy, qui a une fine connaissance des vampires, réalise alors ce que veut dire Manu. En plus du festin de la soirée qui lui donnerait des forces incroyables, même pour un vampire, boire le sang d’une sorcière l’a rendu sûrement quelque chose proche d’invincible. L’excitation se lit sur son visage, à cette annonce. Derrière le vampire, Lou se met à jouir sur le visage de Joe, qui, aussitôt, se lève du canapé et descend son pantalon pour la prendre en levrette. Le reste de la discussion se fait alors parmi les gémissements du couple.

— Mais c’est pas tout, continue Manu. J’ai aussi une grande motivation, pour ce soir. Et il sera bien surpris quand je lui dirai ! Je vais l’écraser comme la sous-merde qu’il est...

— Comment ça ? lui demande Julie, batteuse du groupe, qui semble seulement se réveiller, mais tout le monde sait que c’est à peu près son état normal, jusqu’à ce qu’elle se retrouve derrière ses toms.

— Cette sorcière, glisse le vampire avec un sourire en coin. C’est une descendante d’Haella... La plus puissante sorcière que j’ai jamais connue... et... enfin, vous connais­sez l’histoire.

Tous les autres hochent la tête, connaissant parfaite­ment la façon dont Manu avait perdu sa compagne de plusieurs siècles. D’habitude, ils savaient qu’à cette date, l’évocation d’Haella était taboue, s’ils voulaient rester en vie... ou entier, déjà. D’où l’étonnement qu’ils montrent quand c’est Manu lui-même qui en parle.

— Et le mieux ! s’exclame-t-il en cognant son verre vide sur la table. Le mieux ! Ce sera quand je dirai à cet enculé d’Amon qu’Haella est toujours de ce monde ! Ah ! Ah !

Julie manque de s’étouffer avec sa bière, et toutes les mâchoires inférieures tombent sous le choc de l’annonce. Même le couple derrière s’arrête net et se lève pour venir écouter la fin, n’y croyant encore qu’à moitié, se demandant si le vampire n’est pas entré dans une période de déni.

— Cette sorcière... son sang avait le goût d’Haella... elle l’a mordue, et pas qu’une fois !

Tanguy sait alors très bien que si Manu a pu sentir Haella dans le sang de cette sorcière, c’est que la vampire l’a mordue tout récemment. Tous se tournent vers lui, incrédules. Un simple hochement de tête de sa part, et l’assemblée explose de joie.

— Et elle est comment ? Elle va te rejoindre ce soir ? lui demande Lou, l’entre-cuisse encore reluisant.

— Heu... répond Manu, penaud. Je sais pas, j’ai tué la sorcière avant de lui poser la question !

— T’es vraiment trop con, parfois, lui balance la chan­teuse en lui administrant une gifle sur l’arrière du crâne.

Elle a beau y être allée de bon cœur, le vampire ne cille pas, semblant pris d’une réflexion intense.

— Faut pas qu’elle vienne, finit-il par dire de sa voix rocailleuse.

À ce moment, le patron du bar ouvre la porte de la cuisine. Le bruit interrompt la conversation et tous se retournent vers lui pour l’entendre hurler :

— Va falloir monter sur scène, si vous voulez qu’il y ait encore des murs pour jouer !

Le pauvre gars, sentant déjà qu’il s’agit peut-être là de la dernière soirée de l’établissement, est en pleine panique, et les rires de l’équipe en cuisine qui suivent sa phrase n’est pas pour le rassurer. Mais les cinq membres de No Death For You se lèvent, revigorés autant par la nouvelle que vient de leur annoncer Manu que par l’ambiance destructrice de la salle du bar.

Même si aucun d’eux n’a connu Haella, ils savent tous les sentiments que le vampire avait pour elle... et a toujours. Tanguy avait expliqué à la troupe, un jour où Manu avait sombré dans le sommeil sans rêve des vam­pires, que ce genre de sentiment était extrêmement rare pour ces créatures, et qu’une fois ressenti, cette émotion ne les quittait plus, même s’ils devaient encore vivre plusieurs siècles, voire des millénaires.

Lorsque le groupe pousse la porte de la cuisine, Manu en tête, l’information semble courir dans la salle à la vitesse grand V. Le comptoir est alors submergé par ceux et celles qui veulent leur dernier verre avant que le concert ne commence. Les serveurs sont complètement débordés, et les clients se servent eux-mêmes à la tireuse à bière, dans les bouteilles qui traînent par là, malgré les cris du patron.

Une fois sur scène, chacun s’installe à son instrument, calmement. Manu à la gratte et au chant, au milieu. À sa gauche, Joe, à la deuxième guitare, à sa droite Tanguy à la basse. Derrière eux, Julie va se cacher derrière sa batterie, et Seb aux platines, un peu en hauteur.

— Crevez, bande de charognards !

La voix de Manu, plus rocailleuse que jamais, retentit dans les enceintes du bar, comme le départ d’un voyage vers l’enfer. Aussitôt, les premiers riffs de Joe réveillent tout le monde. Énergiques à souhait, ils rameutent les keupons qui se lancent dans le pogo instantanément. Alors que dans l’ordre, Seb, Julie, puis Tanguy le rejoignent pour une intro teintée de désespoir et de violence, la foule devient un simple amas de corps emmêlés.

Puis, dans une langue que personne n’est capable de comprendre à part les créatures qui n’ont pas quitté l’arrière-salle du bar, Manu harangue le public a capella. Sa voix sent bon les siècles de tabac et d’alcool fort. Le pogo ne se calme qu’un peu, passant du chaos total à la bousculade animale. Les verres volent, au loin, le bar est définitivement pris d’assaut par les clients, et les serveurs autant que le patron ont pris la fuite dans la cuisine, ce qui fait décocher un sourire en coin au chanteur.

Les morceaux suivants rendent le public complète­ment hystérique. À la violence du rock offert par le groupe se rajoute les sons stridents, entêtants, presque envoûtants, du DJ qui finit d’exciter des esprits perchés à cent mille. Le pogo piétine une partie du public qui n’a pas eu la chance de rester debout. Certains corps volent, alors qu’ils s’approchent un peu trop du pied du vampire, qui les renvoie aussi vite au milieu de la mêlée.

Alors que la folie bat son plein dans le bar, les keupons et keupones dansent nus sur le comptoir, buvant la bière à même le bec de pression. Dans la mêlée aux pieds du groupe déchaîné – même pour eux –, les spectateurs semblent plus occupés par leur propre survie que par le concert. C’est le moment que choisit Lou pour rejoindre le groupe sur scène, accompagnée de Mat et du reste de leurs amis qui attendaient jusque là dans la cuisine.

Sans vraiment marquer un arrêt, les riffs et rythmes des musiciens diminuent. Manu et les autres se placent sur le côté de la scène, alors que les 5 se déshabillent en haranguant le public, qui cesse complètement de bouger. Le son devient entêtant, hypnotisant. Comme sorti d’outre tombe, le vampire susurre des mots allemands au micro, attisant les sens des spectateurs qui ne tardent pas à suivre le mouvement entamé sur scène. Trois femmes et deux gars commencent à s’embrasser et se caresser au milieu du groupe, calant leurs gestes sur les rythmes des musiciens, comme si c’était à eux qu’ils faisaient l’amour. Les seins se gonflent rapidement, les queues aussi. Avec un plaisir non dissimulé, Manu observe la salle où se prépare une orgie géante, à laquelle viennent participer les goules d’arrière-salle, excepté celle qui surveille la future vampire.

Alors que déjà, les goules font leurs premières victimes dans l’assistance, les sens de Manu s’hérissent. D’un signe de tête à Joe, celui-ci comprend qu’il doit reprendre la partie du vampire, qui peut déposer sa guitare. Le visage des dépravés sur scène se crispent un instant, alors que le vampire traverse la foule en vidant de leur sang quelques fous qui s’approchent un peu trop de lui. Les goules se font un plaisir de nettoyer après lui... puis quittent les lieux.

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