Marion

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Je passais mes journées enfermé dans ma bulle de solitude, m'apitoyant sur mon sort, ressassant continuellement d’anciens souvenirs comme de vieux disques rayés. Je pleurais en silence, hurlant de dépit et de désespoir. Je me sentais responsable de la mort de Clara.

Pourquoi avoir tant insisté pour concevoir cet enfant, alors que nous aurions pu en adopter des dizaines voire même des centaines pour peupler cette grande bâtisse, si vide à présent. Mais j'étais trop vaniteux pour admettre que nous n'aurions jamais nos propres enfants, la peur du « qu'en dira-t-on » avait inhibé mon cerveau, empêchant toute pensée lucide et cohérente.

J’aurais voulu refaire notre histoire, mais malheureusement, tout l'argent du monde ne me permettrait jamais de réécrire le passé.

Je buvais de plus en plus, perdant toute notion du temps. Marion, en amie fidèle, venait chaque jour me porter mes repas, que je touchais à peine.

Je ne supportais plus de vivre. L'idée d'en finir m'effleura un instant l’esprit, jusqu'à devenir une vieille rengaine tournant inlassablement en boucle, jour après jour.

Puis un matin, je décidai de passer à l'acte, dans le tiroir de la commode, je trouvai le petit révolver acheté dans une autre vie, à une époque où le bonheur me souriait encore. Mais heureusement pour moi, le barillet était vide, et la boite de cartouches également. De rage, je lançai violemment mon arme devenue inutile contre le mur de la chambre. Elle se brisa en retombant sur le parquet dans un bruit fracassant qui fit accourir Marion.

Elle était furieuse de l'acte irréparable que je m'apprêtais à commettre, le suicide étant pour elle l'apanage des faibles et des lâches. Elle ne fut pas tendre avec moi et ne mâcha pas ses mots. Mais je n'étais pas encore prêt à faire le deuil de mon ancienne vie.

Les heures puis les jours se succédèrent interminablement, s'étirant comme un vieux chat fatigué. Je m'enfonçais de plus en plus dans la solitude et l'oisiveté.

Puis, un matin en passant devant le miroir de la chambre, j'aperçus un étranger au visage décharné, les yeux hagards et le menton mangé par une barbe de plusieurs mois.

Cette apparition fût pour moi comme un électrochoc, me faisant réagir et sortir enfin de la profonde léthargie dans laquelle je me complaisais depuis trop longtemps déjà. Il fallait que je reprenne ma vie en main et que j'accepte enfin les embuches que le destin avait semé sur ma route. Cela ne servait à rien de se lamenter sur mon passé à jamais révolu alors que le présent m'ouvrait les portes de l'avenir.

Je commençai par me raser, me laver puis me changer pour être présentable. Marion était dans le salon, elle s'occupait du bébé en nourrice attentionnée, lui fredonnant une berceuse.

Quand elle m'aperçut, elle resta sans voix, surprise par ma présence inopinée. Même l'enfant s'arrêta de gigoter devant cet inconnu qu'il voyait pour la première fois.

Je restai debout sur le seuil de la pièce, ne sachant quelle attitude adopter, me comportant comme un enfant timide lors de son premier jour de classe.

Marion senti immédiatement le trouble qui m'habitait et pris les choses en main. Elle me planta le bébé dans les bras et s’amusa devant mon air gauche et empoté. Je ne savais pas comment le tenir ni comment réagir.

La soirée fut agréable et Marion m'abreuva d'anecdotes sur les progrès de l'enfant. A deux ans, il ne parlait toujours pas, mais elle avait l'impression que les sons qu'il émettait avaient une signification.

Je laissai son imagination fertile se perdre en conjectures pour ne pas la froisser.

J'essayai de reprendre le fil de ma vie là où je l'avais interrompu mais j'étais trop coutumier de la boisson pour pouvoir m’en passer. Je n'arrivais pas à me sevrer de ce poison qui pourrissait ma vie et mon avenir.

Une fois de plus, ce fut Marion qui m'aida dans ma quête d'une nouvelle vie.

Je passai un mois complet en cure de désintoxication. La bataille fut longue et difficile, semée de doutes et d'interrogations.

Je rencontrai des hommes et des femmes que la vie avait brisés et avec lesquels je nouai des amitiés sincères. Nous échangeâmes sur nos progrès et nos maigres victoires, nous félicitant mutuellement pour chaque jour passé sans alcool. C'est ainsi que je rencontrai Phil, un personnage haut en couleur et au franc parlé. Il avait sombré dans la boisson après la perte de sa famille dans l'incendie de leur maison, dont il était l'unique rescapé.

À sa sortie de cure, je lui proposai de venir s'installer au manoir, le temps de reprendre pied dans une nouvelle vie.

C'est ainsi qu'à l'automne, je présentai Marion à Phil.

Le courant passa rapidement entre mes deux amis, qui partageaient les mêmes passions pour le sport et la lecture.

Je fus invité à leur mariage comme témoin de leur union. Je jalousai secrètement leur bonheur et finis par me sentir comme un intrus dans ma propre demeure.

Puis un matin, Marie m'apporta une lettre d'Isabelle, m'annonçant le décès de mon père.

Sophie, la femme de ménage, l'avait trouvé dans la bibliothèque, la tête posée sur le bureau, il tenait encore à la main le petit revolver avec lequel il s'était fait sauter la cervelle.

Ce ne fut pas la nouvelle qui m'attrista le plus, mais la façon dont Isabelle me l'annonça. Quelques mots rédigés à la hâte, maigre résumé de toute une vie de labeur et de souffrances dont il ne restait plus que des cendres.

Isabelle n’assista même pas à l'enterrement et je me retrouvai seul à suivre le corbillard jusqu'au cimetière où mon père rejoignit le caveau familial, dernier acte d'une pièce qu'il avait fini de jouer et dont j'étais l'unique spectateur

Cette parenthèse morbide dans ma routine quotidienne me fit prendre conscience de la fragilité de l'existence.

J’avais envie de vivre, de découvrir le monde et de profiter des plaisirs de la vie. Je laissai le manoir et l'enfant à Phil et Marion pour partir en Amérique.

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