Deux cousines
"Je te trouve un peu injuste.
-Injuste, moi? Pfff!
-Tu viens toujours au moment le moins opportun.
-Ouais, des fois. Mais c'est moi qu'on appelle lorsqu'on est désespérés.
-Ces gens-là ne savent pas à quoi tu ressembles. Ils ont une fausse idée de toi. Ils pensent que tu es meilleure que moi.
-Eh, bah, qu'est-ce qui te dérange ? C'est la vérité. Je suis meilleure que toi. Au moins, quand j'arrive, il n'y a plus de problémes!
-Bon, d'accord, peut-être que je suis dure, mais c'est mon métier.
-Et alors? Moi aussi, c'est mon métier.
-Tu fais pleurer les gens.
-Toi, tu fais chialer les bébés qui viennent de naître.
-Eh, bien, s'ils ne pleurent pas, c'est que tu les as emportés. C'est des pleurs qui montrent que ces bébés vont bien. Je trouve ça injuste que tu prennes aussi des bébés. Tu sais quoi, cela devrait être interdit.
-Interdit? Rien n'est interdit, là d'où je viens. Surtout pas la souffrance, l'obscurité et la peine. Je viens pour délivrer ces gens. Tu vois, après tout, c'est face à moi qu'ils sont tous égaux. Toi, tu les torture, tu leur fais du mal, tu les traumatise.
-C'est gonflé, tout de même ! Tu t'entends parler, chère Cousine? Non, c'est toi qui torture, fais mal, traumatise. Tu fais souffrir ceux qui restent. Ils te maudissent, au fond. Ils ne comprennent pas pourquoi ça leur arrive à eux. Pourquoi pas un autre, hein? Et pourquoi est-ce que tu existes? Ces gens-là, ceux qui vivent, mettent du temps pour se remettre de leurs émotions, après que tu sois passée chercher l'un des leurs.
-C'est le destin. C'est écrit. Je ne fais jamais rien au hasard.
-C'est ça, oui! Et les accidents, par exemples? Tu peux m'expliquer?
-Les "accidents" ne sont jamais des "accidents" à proprement parler. Qui te dit qu'ils n'étaient pas programmés depuis la naissance?
-Et tu es tellement ironique, parfois. Il n'y a qu'à regarder les archives des Darwin Awards pour s'en rendre compte. Tu es capable de faire pleurer de tristesse et pleurer de rire.
-Parles pour toi. Quand les gens rient de ce qui leur arrive, c'est souvent nerveux. Quand j'arrive, plus rien ne leur fait mal. On ne peut pas briser un coeur, quand ce dernier a arrêté de battre.
-Peut-être que parfois, certaines personnes se disent : "Putain de Vie", mais au fond, ils sont contents de m'avoir. Ils ont peur de toi.
-Et pourquoi ils m'appeleraient, si c'est de moi qu'ils avaient peur? Tu es bien plus cruelle que moi, Cousine.
-Vas dire ça à ceux qui sont à cette heure-même en train d'acheter un bouquet de chrysantèmes pour le déposer sur la tombe de ceux qu'ils ont aimés! On me voit comme un rayon de soleil; toi, on t'imagine comme un squelette avec une cape noire et une faulx, marchant sous le tonnerre, l'éclair et la pluie glaçée!
-Tu auras beau dire ce que tu veux, Cousine, alors que tu n'es jamais garantie, moi, je le suis toujours. Qui goûte à la Vie goûtera forcément à la Mort. Et je dure plus longtemps que toi. Tu ne dure que quelques années, tandis que mon nom est synonyme d'Eternité... Ainsi, ma chère Cousine, peut-être les gens me maudissent-ils, mais ils oublient parfois que je n'existerais pas, si toi non plus, tu n'étais pas là..."
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