Chapitre 1

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Les flashs des appareils photos des journalistes ne cessaient d’éblouir le champ de vision de Sonny Brown. Bien qu’il était habitué à les voir, il avait toujours du mal à se faire à leur lumière aveuglante. Autour de lui, s’était amassée une meute de paparazzis alors qu’il venait à peine de sortir de la limousine noire dans laquelle il se trouvait. Tels des rapaces, ils l’encerclaient de toute part en poussant toutes sortes de vociférations, tant de bruits imperceptibles noyés par le bruit de la foule.

Il fut escorté par Bryan jusque dans l’enceinte de l’hôtel, son fidèle garde du corps qu’il connaissait depuis des années, un grand black de près de deux mètres de haut, bâti tel un roc, dont les yeux se cachaient derrière de grandes lunettes noires aux montures dorées. Bryan avait toujours été à ses côtés. Il se rappelait que plusieurs années auparavant, Bryan et sa femme l’avaient embauché ensemble et n’avaient jamais regretté ce choix jusqu’ici. Car, en plus d’exceller dans sa profession, Bryan était devenu un ami proche de Sonny et ils se connaissaient mieux que quiconque.

Bryan était d’origine ivoirienne et était arrivé en France lorsqu’il n’avait encore que 12 ans. Alors que personne ne lui aurait donné une chance de s’en sortir, lui s’était battu pour vivre. Laissé orphelin après que sa famille ait été tuée dans son pays d’origine, il fut finalement recueilli par une famille riche qui souhaitait plus que tout avoir un fils que la vie ne leur avait pas donné. Avant de connaître cette nouvelle vie, Bryan avait galéré pendant des années en attendant la bonne famille et enchaînant des petits boulots qui lui permettaient à peine de survivre. Mais, et il en était conscient, il avait été très chanceux. Alors aujourd’hui, il s’était juré de rendre au centuple tout ce qu’on lui avait donné.

Bryan s’appelait en réalité Sékou, synonymes de respect et de loyauté. Jamais personne n’avait mieux porté ce prénom que lui. Sonny croisa son regard alors qu’il montait les marches ensemble, son vieil ami le couvrant de tout son corps pour le protéger. Malgré le port de ses lunettes, Sonny put deviner le clin d’œil que lui faisait Bryan et vit son sourire en coin qui le rassura.

Sonny avait beau être habitué aux caméras, il détestait être le centre de l’attention et être épié de toute part. Assez paradoxal pour celui qui était l’un des entrepreneurs les plus connus au monde. Il regarda autour de lui et lorsqu’ils arrivèrent enfin à l’entrée du bâtiment, il fut soulagé et put souffler un peu. Aujourd’hui était un jour particulier, qu’il redoutait et qu’il avait même tout fait pour repousser au maximum. Mais parfois, on ne peut se cacher éternellement et on doit se confronter aux épreuves de la vie. Alors Sonny avait rassemblé le courage qui lui restait et s’était préparé à l’entretien d’aujourd’hui.

Ce n’est pas tant les questions des journalistes que Sonny redoutait en général, aussi hors propos et déplacées puissent-elles être, mais le fait d’être plongé à nouveau face à ses démons. Le moment le plus dur était souvent celui qui survenait après, lorsqu’on se retrouvait confronté à soi-même, perdu dans le tourbillon de pensées morbides.

- Comment ça se fait qu’il y ait tous ces paparazzis dehors ? demanda Sonny avec une pointe d’agacement. Je croyais que l’entretien était secret.

- Il l’est, mais quelqu’un a dû vendre la mèche, répondit Bryan en haussant un sourcil. Tu te sens comment, mi amigo ?

- Bien, bien, j’imagine… Cette Sandra Wilson, tu es sûr qu’elle est à la hauteur de sa réputation ?

- Aucun doute, c’était la meilleure journaliste que nous pouvions trouver pour ton grand retour.

Grand retour… Sonny détestait cette expression. Il est vrai qu’il s’était absenté pendant 2-3 ans et qu’il avait même pensé ne jamais revenir. Mais il s’était laissé convaincre du contraire. Son entreprise avait tellement prospéré qu’aujourd’hui il pouvait laisser son bébé entre les mains d’associés de confiance. Mais bizarrement, quelque chose au fond de lui l’avait poussé à revenir. Une dernière fois.

Il se rendit aux ascenseurs, toujours escorté par Bryan et par d’autres membres de l’hôtel qui essayaient de ne pas se montrer trop insistants mais ne pouvaient s’empêcher de le regarder avec une certaine curiosité. Sonny était conscient qu’après toutes ces années d’absence, sa disparition avait suscité bien des interrogations, d’autant plus qu’il n’avait rien dit à personne, à part à ses proches. Les journalistes avaient parlé d’une retraite prématurée alors que Sonny n’avait même pas encore 40 ans quand d’autres avaient parlé d’une possible mort. Mais aucune source fiable ne venait bien sûr étayer ces propos qui n’étaient que le fruit de l’imagination des journalistes.

Lorsqu’ils arrivèrent au 47e étage de la tour, Sonny sentit la pression monter et lui tordre le ventre. Il n’avait plus ressenti ce genre d’émotions depuis bien longtemps, à vrai dire depuis qu’il était parti s’isoler aux confins du monde, dans ce chalet aux abords du lac de Bled, en Slovénie. Il avait bien hésiter à y rester, inconnu parmi les inconnus dans ce petit coin de paradis. Mais voilà, il avait une dernière chose à faire ici, à Paris, où tout avait commencé.

Lorsqu’il entra dans le grand salon, il fut surpris de trouver des meubles anciens, de la grande bibliothèque qui devait renfermer des livres anciens à la cheminée en marbre blanc de laquelle émanait un feu qui crépitait et dont l’odeur embaumait la pièce. À côté de cette cheminée étaient disposés deux fauteuils en bois et faits entièrement de velours. Sonny, surpris, ne s’attendait pas à trouver pareil décor dans un endroit si moderne. Comme quoi, le mélange de l’ancien et du nouveau avait parfois du bon.

- J’espère que vous aimez cette pièce, j’ai choisi avec attention selon vos goûts, dit une voix sortit de nulle part.

Au son de cette voix qui provenait de derrière lui, Sonny se retourna brusquement. Une jeune femme d’une trentaine d’année vêtue d’une chemise bleu clair et d’un pantalon noir, croisant les bras en tenant son sac à main en bandoulière, lui faisait face. Elle portait une ceinture marronne quasiment de la même couleur que son sac et que ses chaussures à talon. Mais plus que ses vêtements, c’est sa beauté qui retint l’attention de Sonny. Elle le regardait avec un sourire franc et des yeux vert pétillants, pleine d’assurance. Ses cheveux noirs de jais étaient attachés en une queue de cheval qui tombait le long de son dos.

S’il était impressionné par la beauté et la confiance en elle que dégageait cette femme, il ne pouvait rien laisser paraître. Mais sûrement la jeune femme avait-elle déjà perçu ce sentiment chez lui car elle eut un sourire en coin.

- Je dois avouer que vous êtes bien renseigné, se contenta de répondre Sonny. Mais pourquoi m’avoir donné rendez-vous ici ?

Sandra Wilson s’approcha de lui calmement, le son de ses talons résonnant sur le parquet. Sonny observa chacun de ses mouvements avec attention jusqu’à ce qu’elle arrive à sa hauteur, se tenant à deux mètres à peine de lui.

- Avez-vous pris le temps de regarder les détails de cette pièce, Monsieur Brown ?

- Appelez-moi, Sonny, je vous en prie. Et je dois avouer que non, je viens tout juste d’arriver.

- Je vois, Sonny. Alors avez-vous remarqué les détails de ce tableau par exemple ?

Au milieu de la pièce se trouvait une peinture qui dénotait du reste. Le tableau semblait comme coupé en deux, montrant d’une part un jeune homme enfermé et prisonnier dans une grotte qui regardait avec attention des dessins sur une grotte dans un interstice de lumière et de l’autre côté une jeune femme attirée par la lumière du dehors qui semblait s’échapper de cette même caverne. Le regardant de plus près, Sonny s’aperçut qu’un mur semblait séparer ces deux êtres, témoin de deux réalités bien différentes l’une de l’autre.

- Ne serait-ce pas une peinture représentant l’allégorie de la caverne de Platon ? demanda-t-il, la curiosité piquée au vif.

- Oui, c’est exactement ça, répondit Sandra. Une version plus moderne disons, mais l’idée est là. J’ai pensé que vous apprécieriez.

- En effet, j’aime beaucoup cette philosophie de Platon et ce qu’elle nous enseigne. Elle est encore très d’actualité aujourd’hui, même en 2075.

- Toujours d’actualité aujourd’hui vous voulez dire ?

- Eh bien d’une certaine manière, oui plus que jamais. Je suis convaincu que nombreux sont ceux et celles à s’enfermer dans leur vérité et refusant de voir au-delà. Evidemment que toute notre technologie, toute l’intelligence artificielle bouleversent nos croyances et nous enferment parfois dans ce que nous pensons être juste, être vrai. Mais je crois qu’il faut aller plus loin et sortir de la caverne.

- Cela reviendrait à sortir de notre utopie, c’est ça ?

Désarçonné par la question de Sandra, Sonny avait oublié un instant à qui il avait affaire. La jeune femme, de son sourire en coin témoignant sa confiance et de son regard de braise, fit un geste dans sa direction pour l’inviter à s’asseoir. Elle avait tout prévu et cette discussion devait les mener depuis le début à cet instant précis.

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