Chapitre 2

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Sonny finit par s’asseoir en croisant les jambes. Cette femme l’intriguait. Malgré le fait qu’il soit parti s’isoler loin de tout pendant des années, il n’avait pas perdu une miette de l’actualité et s’était renseigné sur Sandra Wilson. Le moins qu’on puisse dire est qu’elle s’était fait rapidement un nom dans le milieu et qu’elle n’avait pas peur puisqu’elle aimait s’attaquer aux dossiers les plus complexes et aux personnalités les plus haut placées. Elle avait ainsi fait éclater plusieurs scandales, d’histoires de pots de vins entre des hommes d’Etat et des chefs d’entreprises aux dénonciations plus sordides de trafics d’êtres humains et d’enfants. Elle n’avait clairement pas froid aux yeux et cela avait retenu l’attention de Sonny. Il s’en méfiait bien sûr mais Tom, son meilleur ami, lui avait assuré qu’elle ne chercherait pas à faire de polémique sur lui mais plus à présenter un portrait intime et chaleureux de sa personne.

La jeune femme, retroussant les manches de sa chemise, prit la parole :

- Bien Sonny, je pense que nous pouvons démarrer notre entrevue. Tout d’abord, je tiens à vous dire que rien ne sortira sans votre accord. Je me suis entretenue avec votre entourage et je leur ai assuré que je tiendrai ma parole.

À cette pensée, Sonny ne put s’empêcher de penser que Tom n’y était pas pour rien et qu’il avait dû convaincre Sandra d’une manière ou d’une autre, lui le séducteur.

- J’imagine que vous connaissez ma réputation mais croyez-moi, mon but n’est pas d’écrire un papier pour la presse à scandale, poursuivit la jeune femme en le dévisageant de ses yeux verts perçants. Je ne suis pas fan de polémiques, je m’appuie juste sur des faits et lorsqu’il le faut, je cherche à rétablir la vérité. Ce que je veux aujourd’hui, c’est montrer au monde l’homme que vous êtes derrière l’entrepreneur de génie, pas le Sonny Brown derrière les caméras, mais le Sonny Brown de la vie quotidienne, l’être humain avant tout.

Du plus loin qu’il se souvienne, Sonny n’avait jamais entendu un ou une journaliste parler de cette manière avec autant de convictions. En effet, certains étaient des beaux parleurs et se contentaient de promesses en l’air avant de sortir des articles où ne figurait pas la moindre trace de vérité. Mais elle semblait sincère, du moins en apparence.

- Je vous crois, je vous écoute, dit posément Sonny, bien confortablement installé dans son fauteuil.

- Comment allez-vous tout d’abord depuis tout ce temps loin des caméras et des objectifs ? demanda la jeune femme brune en posant son coude sur l’une de ses jambes croisées.

- Je vais bien, je vous remercie. J’en avais vraiment besoin et partir loin m’a permis de faire le bilan et de me confronter à moi-même.

Et c’était vrai. Après le drame, Sonny avait voulu disparaître des radars, laissant derrière lui sa vie d’entrepreneur et l’agitation de la ville.

- Je voulais être un inconnu parmi les inconnus, souffla-t-il, regardant dans le vague. C’était vital.

- Voulez-vous en parler ? hasarda la journaliste qui semblait quelque peu gênée à l’évocation de cette question.

Sonny savait que cette question arriverait sur le tapis et en soi, il n’avait aucun mal à en parler maintenant, surtout dans un cadre aussi propice à la discussion. Il s’était longtemps entretenu avec sa mère, sa grande confidente de toujours, mais aussi avec Tom, Bryan et d’autres amis proches qu’il avait gardés. Et aujourd’hui, il se sentait prêt.

- Oui, je me suis fait une raison. J’ai vécu avec mes démons pendant longtemps et je me suis enfermé dans ma propre solitude, dans ma propre cage. Mais aujourd’hui, je vais mieux, c’est certain.

- Comment avez-vous vécu cette période de votre vie ? J’imagine que ça a dû être extrêmement difficile…

Si les mots de Sonny se voulaient optimistes et laisser paraître qu’il allait mieux, il ne pouvait s’empêcher de repenser à ces moments, à cette nuit où sa vie avait basculé et où l’enfer s’était présenté à lui. À ces pensées qui lui crevaient le cœur et qui rappelaient des moments particulièrement douloureux loin d’être cicatrisés, Sonny se rappela qu’il ne pouvait faire durer le silence pesant qui avait envahi la pièce.

- Il n’y a pas de mot pour décrire ce que j’ai vécu même si je suis loin de prétendre être le plus malheureux des hommes. Mais ce drame a secoué ma vie à jamais, c’est certain. Plus de trois ans se sont écoulés depuis et j’y repense très souvent. Je ne pourrai jamais l’oublier et je sais qu’elle m’attend en paix dans notre utopie.

- J’en suis sûre, répondit Sandra avec douceur et en posant la main sur son bras en soutien. Puisque nous parlons d’utopies, votre projet va aujourd’hui voir officiellement le jour ! Après des résultats très concluants, je crois ?

- Oui, bien que je sois parti après ce drame, je n’ai jamais cessé de travailler sur le projet Utopia. Et puis, j’ai pu m’appuyer sur le soutien précieux de mes proches et de mes associés pour finaliser ce projet qui me tenait tant à cœur et qui importait à ma femme, Lucie. Je suis fier de vous annoncer que l’ouverture du projet au grand public se fera le 12 mars prochain.

Sonny eut un sourire amer. Bien sûr qu’il était heureux et très satisfait du chemin parcouru, mais ce projet n’était pas que le sien, il avait aussi été celui de sa femme autrefois quand tous deux avaient imaginé Utopia. À vrai dire, c’est elle qui avait réfléchi à cette idée folle mais ô combien géniale.

- Pourquoi « Utopia » ? demanda Sandra d’un air interrogateur.

- Tout simplement parce que nous voulions donner de l’espoir aux gens dans un monde qui ne leur permettait pas de voir leurs rêves se réaliser. Cette société que nous avons créée au fil des siècles est arrivée à son paroxysme. Les gens sont oppressés dans leurs vies, leur quotidien est bien souvent morose et les informations en boucle décrivant une violence sans fin n’aident pas. Alors Lucie, ma femme, est partie d’un constat simple, que nous devions offrir la possibilité aux citoyens comme vous et moi de vivre leurs utopies, même un court instant.

- Mais une utopie n’est-elle pas irréalisable ? Ou du moins, ne relève-t-elle pas de l’imaginaire ? Et n’était-elle pas finalement vouée à disparaître ?

- Par utopie, nous entendons ici le fait que nous donnons aux gens la possibilité de revivre par exemple une scène de leurs vies. Utopia n’a jamais eu pour objectif de se substituer à la réalité, mais plutôt d’être une échappatoire à celle-ci, une alternative le temps d’un moment de paix. Et chacun vit sa propre Utopia.

- Très bien, mais n’avez-vous pas peur qu’il y ait des abus et que les gens se perdent dans leurs utopies, justement ?

Cette question, Sonny s’en était fait maintes fois la réflexion. Se plonger dans un rêve heureux ou revivre un moment de vie paisible donnerait à n’importe qui envie d’y rester et de ne pas revenir à la vie réelle. Mais là était tout le concept d’Utopia.

- Je ne suis pas l’ingénieur surdoué derrière la machine incroyable qui redonne vie aux souvenirs de ses utilisateurs, s’exclama Sonny. Je suis juste l’homme qui a su trouver les bons investisseurs pour commercialiser son projet et convaincre de son idée à première vue totalement folle. Mais je sais une chose sur Utopia : les salles d’expérience d’Utopia ont été créées pour que les utilisateurs ne se perdent pas dans le flux de leur mémoire. Il y a un temps limite. Là est toute l’expérience : vivre une expérience inédite, satisfaire nos utilisateurs pour qu’ils en redemandent mais en aucun cas, ne les rendre dépendants à cette technologie.

- Mhh, je vois, la boucle est donc bouclée, dit Sandra en faisant la moue pour certainement imaginer un peu mieux l’idée. L’expérience utopique est totale. Et comment cela va-t-il se traduire concrètement ? Qui pourra y avoir accès exactement ?

- Nous avons lancé une dizaine de plateformes à travers le monde prêtes à recevoir du public. Il s’agira de lieux d’expérimentations où les utilisateurs pourront venir essayer Utopia par eux-mêmes à raison d’une heure. De ce que je sais, les listes d’inscriptions sont complètes pour plusieurs mois partout à travers le globe. Le reste, je ne peux pas vous le dévoiler avant le lancement officiel. Un bon magicien ne dévoile jamais ses astuces, n’est-ce-pas ? Et puis, je suis certain que vous l’essaierez-vous-aussi, non ?

- Eh bien, en vérité, je suis déjà inscrite.

- Bien, très bien, je vois que vous vous intéressez de près à Utopia alors.

- Oui, on peut dire ça, c’est une véritable révolution, rien qu’en terme de progrès. Je suis convaincu que nous entrons dans une nouvelle ère. Et vous, allez-vous faire l’expérience de votre propre création ?

Les yeux au loin, Sonny était plongé dans le flux de ses pensées. Des souvenirs bien précis lui revinrent à cet instant, des moments qu’il croyait avoir enterrés à jamais. Il eut un demi-sourire, témoin de sa mélancolie.

- Non, jamais.

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