Emilianna

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D'un œil sans éclat, le sergent Tom Maynard contemplait la ville.

Au milieu des décombres, il louvoyait au gré des patrouilles de son unité. Les fumées de la guerre s'éclaircissaient enfin. Pour en apprendre davantage sur lui, il aurait aimé que le conflit durât plus longtemps.

Depuis Monte Cassino, quelque chose avait changé en lui. Pas tout à fait une rupture, presque une révélation. Une noirceur qu'il ne se connaissait pas le hantait. Les nuits se peuplaient de visages tordus par les explosions et les rafales de mitraillette. La lumière du jour l'agaçait. Il aspirait à se reposer mais il était si fatigué qu'il n'arrivait pas à dormir. L'effervescence qui fleurissait sur les ruines de la ville le dérangeait, il aurait préféré que les rues se drapent dans un voile de deuil. Au lieu de ça, la Dolce Vita emportait tout, comme si les Napolitains voulaient oublier.

Deux jours plus tôt, le lieutenant Daniels lui avait collé sur le dos un nouveau rapport pour insubordination. S'il évitait la prison militaire ou la corvée de patates aux cuisines, il se trouvait assigné d'office aux tâches les plus ingrates. Les patrouilles dans les quartiers les plus famés, empêcher que la Camorra ne profite de la chute du Duce pour prendre possession de la ville. Plus d'une fois, il avait piétiné cette vaste fourmilière qu'était la famille de "Don" Cambiasso. Même s'il mettait de l'application dans le démantèlement des tripots, ce monde interlope le fascinait.

Il commença à jouer. Au poker, au craps. Très vite, il perdit sa solde. Il s'endetta.

Un soir, alors que des orages de fin d'été se formaient au large de la baie, la main de Damiano Tommasi s'abattit sur son épaule. On ne rigolait pas avec le lieutenant du Don. Sous sa poigne, la mort assurée. Ou les genoux en compote. Deux gorilles entraînèrent Maynard dans l'arrière-salle. Le parrain se tenait là. Son accent était à couper au couteau mais Tom s'efforça de ne pas en perdre une miette

 " Tu as du cran, l'américain, à te pointer dans mon établissement pour y jouer tes quelques dollars.

 - Laissez-moi quelques jours et je vous rembourse, Don. "

Il reçut un solide coup du plat de la main pour sa réponse. On ne s'adressait au Don seulement s'il vous avait autorisé à parler. Et encore moins sur un ton désinvolte. Mais Maynard n'était pas homme à se laisser intimider. Il se redressa et vint attraper Tommasi par le col de sa chemise. Dans son dos, le mafieux lança :

 " Tu as des corragio, soldat. Ça, c'est certain. Et ça peut m'être utile.

 - Qu'est-ce que vous voulez dire ?

 - Niente. Damiano te recontactera dans la semaine. Maintenant, profite de ta soirée. "

Aux lueurs incertaines des lampadaires au sodium se combinaient les éclairs de la tempête. Maynard trouva un bar sur le port. Il ressassait les paroles du Don en buvant de petites gorgées de grappa quand il remarqua la jeune serveuse.

Elle s'appelait Emilianna.

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