Prologue (suite)

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Sauf que vous n’y êtes, mais alors pas du tout. Ce n’est pas un livre de chick lit que vous tenez entre les mains. Je ne suis pas une héroïne de chick lit (je vais reprendre la parole, c’est plus simple comme ça, le bouquin qui se raconte tout seul, ça fait « la-fille-qui-a-lu-le-manifeste-du-Nouveau-Roman-et-Umberto-Eco, qui croit encore qu’un bouquin est le fruit de la collaboration d’un auteur et d’un lecteur qui actualise un texte. Balivernes.  Un bon bouquin est tout simplement un bouquin racheté puis mis en image par Hollywood. That’s all.)

 

Tenez, prenez-moi, moi l’héroïne. Si j’étais une héroïne de chick  lit, je serais une fille  normale plus. C’est-à-dire la fille officiellement  assez banale  pour que toutes les lectrices puissent s’identifier, mais officieusement assez jolie pour qu’on puisse comprendre qu’elle finisse avec le richissime héritier des industries Newman et cie,  le rôle que s’arracheront Kirsten, Katherine et même Jennifer ( les filles, on a pourtant dit que je suis le point d’avoir trente ans.) Je suis censée donc être cette beauté qui s’ignore sous ses grosses lunettes en plastique,son chignon informe et ses frusques d’un autre âge, cette sylphide qui fait semblant de n’avoir que trois kilos en trop,  alors qu’en fai,t elle aurait besoin de ses trois kilos pour quitter l’anorexie sévère. Faites-moi un brushing, mettez- moi une robe Vera Wang et des stilettos, et d’un seul coup, d’ un seul, je sais défiler sur un tapis rouge comme les plus grandes d’Hollywood

 

Sauf  que, moi, ce n’est pas vraiment cela.

 

Quand je dis que j’ai le cheveu filasse, il l’est vraiment, filasse, et aucune de mes amies ne viendra  me contredire, sortant prestement une laque Elnett de son sac pour me révéler une chevelure opulente de déesse. Et  il me faudrait perdre plus de trois kilos pour retrouver un IMC normal, c'est-à-dire de 24, 9, sachant que je fais 1, 63 m, sortez les calculatrices et la formule de Lorentz. Et quand je dis que mon physique est banal, il l’est de cette banalité qui fait que le facteur ne me reconnaît jamais (Ah ! c’est vous, Melle K. ? Crétin, ce n’est que le 28 e paquet que tu me livres cette semaine), qu’on me donne du madame (j’ai l’air si vieille ?) ou du mademoiselle ( j’ai l’air si désespérée) comme si j’étais une femme entre deux âges (20 ans pour le côté ingrat et boutonneux, 40 ans pour le côté mère de famille fatiguée-fripéee).

 

Par ailleurs, je ne travaille pas dans la pub, ni dans l’événementiel, ni dans la mode. Je  suis journaliste…à temps très partiel . Je réponds au courrier du cœur dans Femme actuelle. Et comme je l’ai déjà confessé, j’ai écrit des quatrièmes de couv pour Harlequin. J’en ai même traduit. Parce que, voyez-vous, parfois, entre la dignité  et un paquet de pâtes, il faut savoir choisir.

Non, ce que je fais dans la vraie c’est doctorante. Oui, Madame, une vraie de vraie. Je vais même vous donner le libellé exact de ma thèse : « Substantialité et consubstantialité : l’usage de la conjonction » kai » chez les Pères grecs » Vous venez de lire les deux lignes les plus intelligentes de mon texte, le reste passera comme une lettre à la Poste. Je suis même docteur depuis peu. Et au chômage. Oui, c’est comme ça avec la loi d’autonomie des universités, ce n’est pas pour mes beaux yeux qu’on va créer un poste en patristique grecque.

 

Mais s’il y a un point sur lequel je peux vous rassurer, c’est que oui, je suis célibataire.  Sur ce point, je suis clairement représentative de ma génération, un vrai cas d’école. Mais attention pas de celles qui font peur aux hommes parce qu’elles sont trop : trop belles, trop ambitieuses, trop exigeantes. Je leur fais peur tout court. Quand je discute avec un homme, j’ai tendance à être pragmatique : contrat de mariage ou pas, appartement séparés ou pas, modalités de garde des enfants. Je crois que les querelles sans fin de mes parents m’ont donné une certaine lucidité. Les sentiments, ce n’est pas trop mon rayon. Ca surprend. Mais en même temps je n’ai pas eu trop la tête à tout ça avec la thèse. Et je n’étais pas si pressée d’y réfléchir. Seulement, la solitude, la crise et ma belle-mère sont passées par là.

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