Nous y voilà : le soir de gala. Ils sont trois. Je sais déjà compter. Le gros au crâne comme une boule de neige, le jumeau du cactus du coin ouest du solarium, le barbu à poils jaunes. Je me perche sur une branche de mon arbre de métal. Je m'ébroue. Mon maître se dirige vers la console, les hommes débouchent des bières, l'aiguille se pose sur le disque, la musique m'invite à la fête.

« Ouais, Bébert, du Elvis ! »

- À toi, Alex ! »

D'abord une légère oscillation de la croupe, j'opine une fois du chef, puis deux, puis trois, j'ouvre les ailes, esquisse un pas de crabe, reviens, me laisse gagner par le rythme, me balance d'une patte à l'autre, ma tête s'élève et se rabat avec la fougue d'une tige de blé battue par le vent. J'entends rire. J'arrête.

« Bravo, Alex ! »

Je regarde les quatre hommes, leurs joues qui luisent comme les feuilles après la pluie. Je bêle, je jappe, je grogne, la totale. Je sens le regard réprobateur de mon maître sur moi. Et ça éclate en hurlements hilares. Chaque rire me transperce le cœur. Je rabats mes ailes, baisse la tête. J'ai compris.

Ma stupidité se révèle dans toute son horreur. Le maître me demande de réciter ma comptine. Je me referme. Il me cloître dans ma nouvelle cage, à peine assez grande pour contenir ma rage et mon humiliation.

Pendant des jours et des nuits, je ne rêve que de vengeance. Je refuse toute marque d'affection, boude les friandises. La musique m'arrache l'âme, je perds mes plumes. Le voile noir de la désillusion s'est posé sur mon paradis de verre. Je comprends la haine.