Chapitre 02 : Nouvelle Vie

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Certaines personnes portaient des prothèses robotiques plus ou moins usées. D’autres encore n’en gardaient plus qu’une partie. Quelques enfants courraient gaiement, heureux de la vie qu’ils menaient. Junker se promenait discrètement. Ici, son attitude passait plus inaperçue. Le quartier était régulièrement le théâtre de règlements de comptes entre bandes rivales.

-Eh, petit, t’as pas un peu d’argent ?

Un homme au corps amaigri se tenait là, le regard presque suppliant. Il était sal et maigrement vêtu que par des habits en lambeaux.

-Je suis navré. Je n’ai ni argent, ni nourriture.

L’homme le regarda, avisant ses yeux scintillant et ses striures bleutés. Il remarqua également les pointes sur sa tête. Il baissa les yeux sur ses pieds rouges et griffus qui semblaient constituées de nombreuses petites plaques de fer. Junker recula. Mais visiblement, l’individu ne semblait pas si étonné que ça.

-Veuillez m’excuser.

Il parti aussitôt en courant et s’arrêta plus loin. Il allait devoir prendre de la hauteur. Au sol, il ne se sentait pas à l’aise. Il entreprit de grimper sur un toit en utilisant deux immeubles depuis une ruelle. Ses griffes s’enfonçaient dans les murs sans difficulté. Il parvint au sommet en peu de temps et se réceptionna habilement. Les bâtiments avaient presque tous la même hauteur, à quelques mètres près. Junker s’élança et commença à parcourir les toits à la recherche d’un nouveau foyer. En tournant la tête, il aperçut deux hommes nus en train de se câliner amoureusement. L’enfant préféra détourner le regard, non pas par dégout, mais par gêne. Ce genre de petit spectacle était plutôt courant en ces lieux. Il s’était déjà retrouvé face à deux individus de sexe opposés en train de faire l’amour de façon plutôt sauvage, selon lui. Et malheureusement, son ouïe exceptionnelle ne l’en avait pas préservé. Il portait sur lui une petite besace contenant un livret dans lequel il rédigeait toutes les informations à propos des humains. Du moins, en dehors de leurs pratiques sexuelles, qu’il préférait ne pas approfondir.

Junker se posa sur le rebord d’un immeuble. Il regarda en bas. Quelques humains étaient assis contre les murs, le corps amaigri et le visage creusé par la faim et la fatigue. Cela lui faisait de la peine que de voir autant de malheureux. Il reprit sa route, arpentant le quartier. Il déploya ses ailes et entreprit de planer, mais sa manœuvre fut plus ardue qu’il ne l’aurait cru. Sans son gouvernail, impossible de se stabiliser. Il s’écrasa sur un toit et roula. Junker se redressa et tourna la tête, avisant son aile de queue.

-Faut que je me grouille de réparer ça, et vite.

Il bondit alors et se retrouva au sol. Il prit son carnet et y gribouilla quelques notes et schéma. De la toile et des tiges de fer devraient suffire. Seulement, il risquait d’avoir à se retrouver au marché noir. Il rangea son livret et parti en courant, drapé dans sa cape.

L’enfant arpentait les étalages aussi discrètement que possible. Il doutait de pouvoir trouver ce qu’il cherchait. Et puis, il n’avait pas d’argent, ni objets précieux pour un troc. Peut-être aurait-il dû s’abstenir de venir dans un lieu aussi mal fréquenté. Des pièces de biomécanique et de prothèses étaient en exposition.

-Oh, et puis.

Il quitta cet endroit mal famé et s’en alla sur les toits. Il commença à chercher ce dont il avait besoin. Il ne mit pas longtemps à se procurer de la toile mais eut plus de mal à trouver des tiges de fer. Une pauvre bâche en tissu troué. Cela permettrait au moins de stabiliser ses sauts.

Junker se trouva un endroit discret et se mit au travail. Ses griffes lui permettaient de travailler le tissu aussi bien qu’avec des ciseaux. Avec de vieilles ceintures, il attacha sa nouvelle prothèse. Il se mit à quatre pattes et regarda sa queue qu’il secoua. Il parvenait à ajuster l’ailette droite, mais pas celle de gauche. Ce noir pâle ne lui allait pas très bien.

-C’est toujours mieux que rien.

Il se redressa et rétracta sa queue. Il rabattit ses ailettes qui formaient comme des lames jaillissant de son bassin. Junker se drapa dans sa cape et s’élança à nouveau. Il n’avait jamais éprouvé la sensation de faim, ni de soif. Après tout, il n’était pas un être biologique au sens terrestre du terme. Son ouïe lui permit d’entendre au loin les ébats furieux de deux humains, chose à laquelle il ne prêta nulle attention et qu’il pensait plus sûre. Si le monde des humains l’attirait peut-être, il n’avait aucune envie de comprendre le pourquoi du comment de leur sexualité. En ces quartiers, celle-ci se faisait à peine moins légère que pour les chimpanzés. Autrement dit, ici, les humains faisaient l’amour assez facilement et à toute heure. Cela ne semblait guère déranger leurs congénères.

Junker s’enfonça dans un vieux souterrain. Une ancienne ligne de métro. Il tenta de cacher ses striures scintillantes, mais celles de son visage restaient visibles, telles de fines et longues larmes partant de ses yeux brillants. Junker lâcha un petit grondement aigu, tous les sens en alerte. Alors, il tomba à quatre pattes, laissant son côté Dragon ressortir. Il arqua le cou, attentif au moindre bruit. Il commença à renifler le sol. Peut-être serait-il plus en sécurité s’il venait habiter ici. Junker se redressa quelque peu, regardant sur le quai d’une station. Il n’avait pas besoin de voir pour comprendre qu’un humain se trouvait là. Il allait devoir continuer sa route. Avec une sorte de ronflement, il reprit son chemin.

Le petit être robotique se roula en boule, se cachant le plus possible sous sa cape. Tant de questions se bousculaient dans sa tête. A commencer par son genre. Il allait devoir étudier la chose. Et il craignait pour cela de devoir approfondir certaines recherches. Mais après réflexion, son genre importait peu. Qu’il soit homme ou femme n’avait guère d’importance. Dans un grondement, le jeune biomech tenta de s’endormir.

Junker continuait d’arpenter l’ancien réseau ferroviaire. Alors, des éclats de voix se firent entendre. Une lumière approchait. Aussitôt, Junker bondit sur le côté et se roula en boule.

-Eh, a ton avis, c’est quoi ce truc ?

- De quoi, la bête ?

- Ouais.

- J’en sais rien. Et je ne préfère pas le savoir. On dit que c’est un monstre.

Ils passèrent à côté de Junker sans le remarquer. Celui-ci attendit encore un peu avant de se redresser. Il regarda les hommes de dos. Il n’était pas un monstre. Il reprit sa route. Peut-être devrait-il songer à se créer un petit abris en ce lieu peu fréquenté.

La créature quitta le sous-terrain mais fut aveuglé par la lumière du solaire. Il n’avait aucune idée du temps qu’il avait passé là-dedans. Peut-être une semaine. Lorsqu’il fut suffisamment habitué, Junker gagna discrètement une ruelle. Drapé dans sa cape, il monta sur un toit et avisa l’horizon. La Grande Ville. Il préférait ne pas y remettre les pieds. Son gouvernail ne lui permettrait pas d’effectuer des planés. Certes, sa nouvelles prothèse réajustait sa stabilité, mais il était incapable de se maintenir en l’air.

-Déjà qu’avant, je ne pouvais pas voler, mais là…

Il s’élança sur les toits avec agilité. Il avait réussi à retailler sa chevelure, non sans peine. A présent, celle-ci était moins épaisse, mais tout aussi longue, lui donnant un style quelque peu féminin. Il s’arrêta et ôta sa capuche, inspirant l’air frais. Cela faisait du bien.

Junker observa un groupe d’humains. Ceux-ci étaient armés et tenaient des propos peu rassurants. Des tueurs. Le garçon ne pouvait malheureusement rien faire. Il s’était juré de ne pas intervenir dans le fonctionnement de la société humaine. Bien qu’ici, les lois qui s’appliquaient dans la grande ville ne semblaient pas l’être dans ces quartiers. Junker lâcha un grognement. A seulement douze ans, il n’était qu’une faible petite créature aux capacités bien limités, plus encore depuis qu’il avait perdu une part de son gouvernail.

Junker pris quelques notes. Il ne l’avait jamais remarqué, mais la vente illégale de produits rapportait gros, visiblement. Encore plus lorsqu’il s’agissait de drogues. Bien que cela ne l’intéressait guère, il s’agissait d’informations très intéressantes. Il se tenait au-dessus du marché noir, avisant les étalages à la nuit tombée.

-Alors… activité modérée le jour, mais très intense a partir de vingt heure… Il va falloir que je regarde combien de temps cela dure…

Il rangea son carnet et pris son apparence de dragon. Il se coucha et regarda les exposants. Il y avait de la nourriture, mais également d’autres produits. Junker lâcha un soupir. Alors, son ouïe le fit se lever. Une patte en l’air et la queue figée, il écoutait. Il s’élança soudainement et bondit au-dessus des ruelles, suivant les cris. Il s’arrêta. Un garçon était aux prises avec trois femmes. Celles-ci, en tenue légère et presques transparentes, semblaient avides de luxure. Elles avaient le corps sale, la chevelure graisseuse et portaient quelques petites blessures. Junker plissa les yeux et gronda.

Alors, quelque chose changea en lui. Il sentit un nouveau souffle s’insuffler en lui. Il ouvrit les mâchoires, lâchant un nuage de vapeur. Ses yeux scintillèrent. Soudain, au moment où les trois femmes allaient s’attaquer au garçon, Junker cracha un jet de feu blanc qui vint les figer. Comme l’être robotique, le garçon resta sans voix, sidéré. Du feu glacé. Il leva les yeux et croisa le regard de Junker. Un bleu si beau, si brillant, si claire. Celui-ci prit une impulsion et bondit. Le garçon fut subjugué. Son sauveur avait de grandes ailes d’un bleu fantomatique légèrement fluorescent. La bête disparu de l’autre côté. L’enfant avisa ensuite ses agresseuses, figées dans la glace.

-Waouh…

Il préféra ne pas s’attarder ici, craignant que d’autres personnes n’arrivent. Tout en courant, il repensait au regard que lui avait lancé ce dragon robotique.

Junker se redressa et tourna la tête. Cet humain n’avait pas eu peur de lui. Il avait même eu l’air de l’admirer. Chose qui l’étonnait. Peut-être les Hommes n’étaient-ils pas tous mauvais.

Le soleil se levait tandis que Junker regagnait les sous-terrain. Il s’était construit un abris de fortune avec quelques couvertures et des planches en tôle. Il ôta sa cape qu’il utilisa pour couvrir l’entrée. Dans le noir total, personne ne verrait une si petite habitation. Il vint se rouler en boule sur sa couverture, se couvrant le museau de son gouvernail. Pourtant, il ne trouvait pas le sommeil. Il était trop excité. Quelque chose s’était réveillé en lui, et il voulait en savoir plus. Il ouvrit les mâchoires, mais à sa grande surprise, ce ne fut pas une flammèche qui s’en échappa, mais un jet de flocons rouges. Etonné, Junker réitéra l’expérience, pensant cette fois-ci à de la glace. Il cracha cette fois-ci une petite flamme bleue

- Génial...

Junker crachait de la glace brûlante et du feu froids. Mais de par son extrême chaleur, la glace ne restait solide que quelques secondes à peines, ce qui était largement suffisant pour infliger des dégâts conséquents ou retenir un éventuel poursuivant. Junker sorti de son abri. Sans sa cape, il se sentait nu. Mais après tout, pour une petite chasse, il n’en aurait pas besoin.

Le petit être robotique cracha sa glace sur un rat, le tuant sur le coup. Etant donné la température élevée de son souffle et sa solidité extrêmement éphémère, peut-être devait-il envisager plusieurs façons d’attaquer. Tout en continuant de traquer les rats, Junker échafaudait la meilleure façon d’utiliser ses attributs. Le feu lui permettrait de bloquer un poursuivant, et cracher des petites boules de glaces brûlantes comme explosif provoquerait des brûlures importantes, car il ne souhaitait pas tuer d’humains. Il avait trop bon cœur. Il préférait leurs infliger des dégâts sévères et non mortels plutôt que de les taillader de ses griffes.

Junker sauta sur un rat, le bloquant sous sa pattes. La créature couina et chercha à se débattre. Le garçon au corps orange la regarda et la libéra. Le rat ne fut pas long à détaler.

-Assez joué. Il est temps de rentrer.

La créature fit tranquillement route vers son abris et s’y roula en boule. Le sommeil ne tarda pas à le gagner. Quelle journée. Depuis ces derniers temps, sa vie paisible était devenue plus agitée. Mais après tout, l’existence n’était jamais stable. Les changements sont perpétuels.

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