Chapitre 03 : Il se nomme Quentin
Junker bondit d’immeuble en immeuble. Il avait à présent quinze ans et avait bien grandi. Son corps s’était développé et il était plus costaud. Ses cornes, autrefois petites, étaient désormais plus grosses et sa chevelure était devenue une véritable crinière. Mais il la taillait régulièrement. Sous forme Dragon, ses crocs étaient plus aiguisés et son museau moins arrondi. Ses griffes étaient plus affutés. Il ne portait plus de prothèse. Cela n'avait guère d'utilité.
La créature s’arrêta et se redressa. Son museau s’aplatit en un visage sévère mais aux yeux doux. Il portait une cape plus grande ainsi qu’un plastron de tissu sur son corps, semblable à un débardeur. En fait, cela ressemblait plus à un tablier qui couvrait son dos, mais pas les omoplates. Il portait des sortes de fines protections sur les mains et les pieds et qui laissaient ressortir ses griffes. Le jeune être soupira. Alors, il retira sa capuche. Ses cornes étaient plus imposantes qu’autrefois. Il avait les lèvres bleutées et un doux visage. Il posa un genoux et observa. Le marché noir. Depuis l’an dernier, il se vouait à protéger les humains lorsque le ratio de force était inégal.
Ne constatant rien, junker s’élança à nouveau. Il se posa sur un toit et écouta. Outres quelques humains s’adonnant à leurs ébats, il ne détecta toujours rien de suspect. Il repartit donc en bondissant entre les bâtiments. Lors d’un saut, il changea d’aspect. Mais alors, le toit s’effrita et il chuta dans l’immeuble. Il heurta le sol en lâchant un petit gémissement. Lorsqu’il ouvrit les yeux, il vit un humain. Celui-ci le regarda, sidéré. Il portait un t-shirt violet foncé déchiré et un pantalon noir.
-Euh… salut, dit-il.
Alors, Junker se mit à paniquer. Il chercha aussitôt à s’échapper, tournicotant dans l’appartement.
-Eh ! Eh ! s'exclama l’humain. Tout doux… dragon-robot !
Pourtant, Junker ne l’écoutait pas. L’individu soupira.
-Stop ! hurla-t-il soudainement.
Junker s’arrêta net. Il regarda cet humain. Quel beau visage. Il semblait adorable et pas méchant pour un sou. Il se tourna complètement vers lui, balançant nerveusement sa queue. Il avait la peau sombre, la chevelure noire et lisse ainsi que des yeux rouge vif.
-Eh bien… t’es quoi toi ?
Il s’avança d’un pas, faisant reculer la bête robotique.
-Je… je m’appelle Quentin, et toi ?
Junker lâcha un grondement. Son souffle était roque et le jeune homme sentait qu’il était affolé. Alors, il tendit lentement la main et s’avança. La respiration de Junker devint plus forte et rapide, voyant cette mains s’approcher. Il lâcha un grondement.
-Eh, chuchota presque Quentin. Tout doux, ok ?
Junker le regarda. Le jeune homme tendit la mains à plat. L’être de métal tendit le cou et vint poser son menton au bout de ses doigts. Sans gestes brusques, Quentin lui caressa le bout du museau sans que leurs regards ne se lâchent. Junker s’apaisa. Cet humain ne lui voulait pas de mal. Il émit une sorte de ronronnement.
-Voilà, murmura Quentin. Tranquille...
Il posa lentement un genou au sol, se retrouvant au niveau de son museau. Junker vint lui renifler le visage. Alors, il recula et bondit, s’échappant par le trou qu’il avait creusé. Quentin leva les yeux, quelque peu étonné.
-Et mon plafond ?
Il poussa un petit soupir et regarda autour de lui. Un meuble tomba par terre, rompant un instant le silence.
Junker s’arrêta et tourna la tête. Quelle rencontre. Il se redressa sur ses membres inférieurs. L’espace d’un instant, il s’était senti comme hypnotisé par ce jeune homme aux yeux rouges. Une sensation bien étrange. Néanmoins, il devait rester sur ses gardes. Bien qu’admirant les humains, il avait compris avec le temps que les côtoyer de près pouvait être dangereux.
-Je ferais mieux de rentrer.
L’être robotique s’élança en bondissant entre les immeubles. Alors, il sauta dans un trou et disparu dedans. Il se réceptionna dans les sous-terrain avec fracas. Prenant sa forme dragon, Junker commença à parcourir les dédales de voies de chemin de fer. Il finit par trouver son abris, plus grand qu’il y a trois ans. Ici, il n’y avait personne de toute façon. Junker ôta donc son déguisement et vint se rouler en boule sur sa couette. Les striures de son corps scintillaient plus qu’auparavant, et d’autres étaient apparues, notamment au niveau de l’abdomen.
Junker fut réveillé par du bruit. Il redressa la tête, tous les sens aux aguets. Ce fut alors une moue de dégout qui déforma son museau. Même dans ces souterrains, les humains trouvaient le moyen de laisser libre court à leurs ardeurs passionnées. Junker poussa un soupir, quelque peu agacé. Il sorti et se dressa sur ses membres arrière.
-Au moins, ils ne sont pas à côté.
Plutôt que de se recoucher, il décida d’arpenter les tunnels. Pouvoir se déplacer sans son déguisement lui donnait une sensation de liberté. Peut-être les humains ressentaient-ils la même chose lorsqu’ils étaient nus. Mais fidèle à lui-même, l’être robotique ne souhaita pas approfondir cette réflexion. La sexualité des hommes ne l’intéressait pas plus qu’il y a trois ans. Mais son esprit revenait sans cesse à une chose : le jeune humain. Celui-ci ne l’avait pas craint, pas même une seconde. Sous forme dragon, il était vrai que Junker subissait un léger changement comportemental. Il avait alors une attitude plus animale. Mais cet humain était parvenu a le calmer tout en étant lui-même apaisé. Lorsque leurs yeux s’étaient croisés, l’appréhension dans le regard de ce Quentin avait aussitôt disparue.
Junker s’arrêta à nouveau, écoutant. Des enfants. Intrigué, il s’avança vers le bruit. Il y avait de la lumière. L’être robotique se cacha du mieux qu’il put. Une classe d’élève. Ceux-ci étaient assis par terre sur le quai d’une station, tandis qu’un jeune homme leur apprenait la langue. Une lampe encore intact les éclairait. Cette voix ne lui était pas inconnue. Junker jeta un coup d’œil. C’était Quentin. Celui-ci arborait un beau sourire adouci et il avait un ton doux, presque mielleux. Sa voix n’était pas vraiment grave. Junker le regarda, fasciné. Il l’observa plus attentivement. Le pauvre garçon, dans l’humidité, ne portait guère plus que son t-shirt déchiré et un jean noir serré plutôt moulant. L’être robotique se souvint qu’il avait vu des femmes en porter. Il remarqua que ce garçon avait la chevelure attachée en arrière et il portait une petite boucle d’oreille noire. Son t-shirt violet lui collait à la peau. Il avait de belles lèvres marron et ses cils inférieurs étaient un peu longs. Il avait un visage fin et un menton légèrement pointu. En fait, son style et son physique étaient un peu efféminé. Il ne semblait pas bien costaud. Junker remarqua que Quentin tremblait quelque peu, sûrement à cause du froid qui régnait ici. Avec toute l’humidité, cela n’avait rien d’étonnent.
Mais alors que Quentin faisait cours, son regard croisa celui de Junker. Il cessa de parler et de bouger. Ses élèves le regardèrent, étonnés. L’un d’eux se tourna et Junker disparu, libérant Quentin de son hypnose.
-Tout va bien, maitre ? Demanda une fille. Vous êtes rouges.
- Oh… euh… c’est… ce doit être la chaleur. Il fait chaud, hein ?...
Mais ses élèves ne semblaient pas convaincus. Le jeune instituteur en herbe eut un petit sourire gêné et repris sa leçon, non sans y penser. Il avait revu l’être qui était entré dans sa maison la veille. Leurs regards s’étaient croisés et il avait senti quelque chose en lui. Quelque chose d’indescriptible. C’est alors qu’il se senti à l’étroit dans son pantalon. Plus qu’à l’ordinaire. En vitesse, il se tourna vers le tableau.
-Euh… nous allons faire une pause, d’accord ? Vous avez quinze minutes.
Les élèves ne cherchèrent pas à comprendre et se levèrent joyeusement. Quentin, lui, resta face au tableau. Il se sentait tout chose en repensant à ce regard bleu si doux, si beau. Il se mordit une lèvre et serra les jambes. Il tenta de se reprendre mais c’était chose impossible.
Junker était en surface, habillé de sa cape et de ses protections en tissue. Il regarda l’horizon, laissant voler sa chevelure au vent. Il avait ajouté un masque sur la partie inférieure de son visage. Ou plutôt un ensemble de bandes qui descendait jusqu’à sa jugulaire, ne laissant voir que les striures sur ses yeux. Alors, il bondit jusqu’au sol et se redressa. Un vieil homme passant par là le regarda sans grand étonnement. Junker se dépêcha de filer. Il allait devoir être rapide. Ce qu’il allait faire ne lui plaisait guère mais il se sentait obligé. Dès qu’il le pouvait, il distribuait un peu de nourriture volée dans les réserves pour la distribuer a quelques personnes. Or, cette fois, il allait la prendre directement au marché noir.
Sans s’arrêter, Junker attrapa les aliments sur les étalages, provoquant la réaction des marchands. Mais l’être robotique était trop rapide. Il disparu aussi vite qu’il était arrivé. Junker sauta sur un vieil échafaudage qui s’écroula au moment où il atteignit le sommet. Il regarda autour de lui et s’élança. Aujourd’hui, cette nourriture était réservée à quelqu’un.
L’humanoïde, après s’être assuré qu’il n’y ait personne, monta sur le quai. Peut-être était-il l’heure du repas. Les enfants n’étaient pas là. Il s’approcha du tableau et vint déposer les aliments qu’il avait préalablement enveloppé dans du tissu. Il y joignit un petit mot. Mais au moment de partir, une voix l’interpella.
-C’est toi ?
Junker s’arrêta net. Il tourna la tête. Quentin se tenait là, à le regarder avec un grand sourire. Sans un mot, il bondit sur le chemin de fer et s’en alla. Quentin eut un soupire. Il avisa ensuite la nourriture déposée et s’approcha. Il s’accroupi et attrapa le petit bout de papier. Aussitôt, il se senti rougir.
-Je veille sur toi, lu-t-il.
Il mis une main sur sa joue et eu un petit sourire rêveur. Il porta le papier à son nez et inspira longuement. Quelle odeur merveilleuse. Il arrivait à déceler la senteur du jeune être robotique. Chose plutôt étrange, d’ailleurs. Il vit alors un message plus petit.
-Nous nous reverrons.
Il se mordit la lèvre et ferma les yeux. Quentin passa une main dans sa chevelure. Voilà qu’il avait le béguin pour un robot. Mais cela, il s’en fichait bien. Il attrapa ensuite une pomme et croqua dedans. Elle était juteuse et fraiche. Il se senti rougir de plaisir. Un plaisir qui parcourut tout son corps. Soudainement, il n’avait plus aussi froid. Comme si cet être lui avait offert sa chaleur. Quelle sensation exquise. Il regarda ensuite les provisions, probablement apportées pour le reste des élèves.
-Et en plus il pense aux enfants.
Il eut un soupir rêveur. Il devait néanmoins se dépêcher de mettre en place les cours de l’après-midi. Mais ses pensées allaient toujours à l’humanoïde aux yeux bleus. Des yeux si tendres, si doux, qu’on croirait qu’ils appartiennent à un ange.
Junker regarda la ville, à l’horizon. Il faisait nuit, et il entendait sans peine les tumultes et l’agitation qui y régnait. Il était assis, sous sa forme dragon. Sa queue se balançait tandis qu’il songeait à tout ce qu’il avait à découvrir. Parfois, il rêvait d’être un humain, juste pour ne plus avoir à se cacher, pour avoir une existence paisible. Il s’allongea et lâcha une sorte de grondement. Et dire qu’il ne pouvait même pas jouir du rêve de l’Humanité : Voler. Malgré ses quatre ailes, il n’avait jamais pu s’envoler. Et depuis qu’il avait perdu une aile de queue, il ne pouvait même plus planer. Mais au moins, il avait acquis de nouveaux pouvoirs et une vitesse sans pareille combinée à une agilité inégalée. Il observa les humains sous ses yeux. Il se sentait quelque peu attristé à la vue de ces individus assis misérablement contre un bâtiment. Junker eut un soupir mélangé à un grondement. A seulement quinze ans, il n’était qu’une faible créature, qui ne pouvait hélas pas faire grand-chose. Or, il aimerait rendre service à tous ces Hommes vivant au plus profond de l’enfer. Il savait ce qu’ils ressentaient. Sa vie n’était pas rose, et il le savait très bien. Cependant, un rayon de lumière était apparu. Il s’appelait Quentin.
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