Chapitre 05 : les âmes
Junker ne put que complimenter le travail de Quentin. C’était la première fois qu’il goûtait un plat préparé spécialement pour lui, et seulement pour lui. Lorsqu’il félicita le jeune homme, celui-ci rougit aussitôt et détourna le regard avec un petit sourire en coin.
-Et… du coup… tu es quoi ?
- Aucune idée, et pour l’instant, je ne souhaite pas le découvrir.
Quentin le regarda, étonné.
-Mais… c’est important de savoir d’où on vient. Moi… j’aimerai bien savoir qui sont mes parents. Ce sont mes grands-parents qui m’ont , mais ils sont morts à mes six ans. Depuis je suis tout seul. Mais attend. Ça veut dire que t’as jamais eu de famille ? Que depuis ta naissance tu es tout seul ?
- Oui, pourquoi ?
Quentin le regarda, comme ahuri. Il posa ses couverts.
-Tu… tu n’as donc pas de famille ?
- C’est quoi, ça ?
Le jeune homme soupira.
-Une famille, c’est… un groupe de personnes qui… qui sont liés. Qui… qui s’aiment.
Junker acquiesça. Alors, l’horloge sonna bruyamment. Quentin se redressa en sursaut.
-Eh merde ! J’suis à la bourre !
- Tu vas quelque part ?
Il se prépara en vitesse, courant de partout.
-Je suis prof, en quelque sortes. Mes élèves ne doivent surtout pas m’attendre !
- Je peux te déposer.
- Et comment ? C’est à l’autre bout du quartier ! Oh là là ! La merde !
Junker enfila sa cape.
-Dans ce cas, je serai ta monture. Je connais ce quartier comme ma poche. Allez !
Junker se mit à quatre pattes et changea de forme. Il se cabra légèrement et secoua la queue. Quentin le regarda, étonné. Le dragon était relativement petit. A peine quatre vingt centimètres au garrot. La bête de métal arqua le cou et griffa le sol, comme pour dire : « on y va oui ou non ? » Le jeune homme eut un soupir et s’installa sur son dos, derrière les ailes. Junker semblait supporter son poids.
-Et maintenant ?
Le biomech se ramassa et bondit alors jusqu’au toit. Quentin se raccrocha à ses cornes, surpris par la puissance du saut. Son nouvel ami s’élança sans peine au-dessus des immeubles, tel un félin aux foulées amples. Quentin ne pu s’empêcher de pousser un petit cri d’amusement. Junker sauta souplement sur quelques balcons pour descendre au sol. Il bondit dans un trou qui déboucha sur les voies ferrées souterraines. Il ne perdit pas de temps, galopant à grande vitesse. Quentin eut un sourire.
-Ya-hoo ! s'exclama-t-il. Eh, t’es vachement rapide !
Junker se contenta d’un grondement. Alors, il bondit sur un quai. Il vint s’arrêter devant le groupe d’enfant, se cabrant légèrement avec grâce, faisant rire Quentin qui mit pied à terre. Les élèves restèrent sans voix devant cette créature. Junker tourna la tête et avisa le jeune homme avant de filer.
-Maitre, c’était quoi ? Demanda une petite.
- Un ami. Je suis désolé de vous avoir fait attendre. Nous allons commencer.
De son côté, l’être robotique était retourné à son repaire. Il abandonna son déguisement et reparti pour s’exercer. Il marchait à pas de loup tandis que ses griffes produisaient une multitude de petits clapotis métalliques. Récemment, il s’était découvert une nouvelle aptitude. Et il cherchait une cible. Il tomba alors sur un pan de mur écroulé, encore en équilibre. Junker esquissa un petit sourire et se mit en position. Les lames ailées sur ses bras se mirent à scintiller d’une pâle lueur blanchâtre. Il s’élança et bondi, tournant sur lui-même pour venir briser sa cible qui résista quelque peu. Junker se réceptionna. Non, il avait encore du travail. Il regarda ses mains et chercha à modifier sa position pour un maximum de dégâts. Bien entendu, il n’avait pas l’attention de l’utiliser contre des humains, mais bien pour les aider si nécessaire. Alors, il commença à effectuer des mouvements de combats appris dans un livre qu’il avait récupéré. Il fit cela pendant quelques minutes.
Il s’arrêta alors. En considérant son agilité accrue et ses sens suraiguisés, de tels mouvements n’étaient pas nécessaires, puisqu’ils seraient alors bien plus puissants qu’il ne le souhaiterait. De plus, il n’avait pas pour objectif de se battre.
-La force de mes jambes a déjà de quoi sectionner un poteau de fer, pensa-t-il à voix haute. En ce qui concerne mes bras, ils peuvent bouger suffisamment vite pour manier une arme et mes poings peuvent broyer une tête. Quant à mes ailes et ma queue…
Il commença à réfléchir. Une gestuelle aussi importante n’était peut-être pas nécessaire. Il sentait bien plus de choses que les humains comme Quentin, qu’il pourrait retrouver les yeux fermés, d’ailleurs.
-Allez, au travail !
Plusieurs heures plus tard, Quentin arpentait les nombreux tunnels à la recherche de son nouvel ami. Il frissonna quelque peu.
-La vache… déjà que je me gêle à la maison, mais là…
- Eh bien, frileux le gamin.
Le jeune homme fit volteface. Dans la pénombre, difficile d’identifier la personne. Mais la voix était masculine.
-C’est pas bien de se promener, comme ça, tout seul.
-Il n’est pas tout seul.
L’homme leva les yeux. Là-bas, dans l’obscurité, brillait deux yeux bleus desquels descendaient des larmes scintillantes. Quentin se tourna. Lentement, Junker s’avança.
-Eh mais…
Il braqua sur lui une vieille lampe torche et recula, surpris.
-C’est le… le monstre !
Il ne fut pas long à fuir. Quentin tourna la tête au moment où Junker l’enveloppa d’une couverture. Tous deux se regardèrent. Le jeune homme n’en revenait pas. Malgré ses cornes qui lui donnaient un aspect quelque peu agressif, l’être de métal avait un regard d’une douceur sans pareille.
-Que viens-tu faire ici ?
-Oh, je…
Quentin eut du mal à trouver les mots, tant la proximité avec Junker le déstabilisait. Le fait qu’il soit dans le noir permettait de ne pas lui montrer son excitation.
-Il fait trop froids ici, dit Junker. Pourquoi n’es-tu pas remonté quand tu le pouvais ?
- Eh bien… je…
Junker attrapa alors la main de Quentin qui cessa de respirer et se tendit.
-Tu es froids. Il faut te réchauffer.
- Non, ça va, t’inquiète. Je voulais te voir pour… en apprendre plus.
L’être robotique le regarda.
-Tu veux en apprendre… sur moi ?
- Bah oui. C’est logique.
Junker pencha légèrement la tête sur le côté. Un humain qui voulait le connaitre. Il n’y avait jamais réfléchis, mais le fait d’être curieux des Hommes impliquait sûrement l’inverse. Mais avant, il préférait faire sortir Quentin de ces sous-terrain. Pendant de longues minutes, le jeune homme et son sauveur parcoururent les grands tunnels de réseau ferroviaire. Lorsqu’ils arrivèrent dehors, Junker le fit monter sur les toits. Là, il s’assirent en tailleurs, l’un en face de l’autre.
-Alors ? Du coup… tu fais quoi de tes journées ? Demanda finalement l’adolescent après quelques minutes de silence.
- J’observe les humains. Ils sont fascinant, avec leurs coutumes, leurs mœurs, leurs cultures si diverses…
Quentin vit les yeux de Junker pétiller.
-Parfois, j’aimerai en être un, juste pour pouvoir les côtoyer. Mais plus le temps passe, moins j’arrive à me camoufler.
- En effet.
Le garçon posa sa tête sur ses genoux et avisa le robot orange, un air rêveur au visage. Ses cornes imposantes étaient effectivement difficiles à cacher, de même que ses griffes et son gouvernail.
-Et depuis ton accident… tu n'as jamais souhaité avoir une nouvelle aile de queue ?
- La seule que je me suis fabriquée n’améliorait pas vraiment mes planés. Il me faudrait presque un cavalier pour la gérer, alors… j’ai abandonné l’idée. Mais tu sais, j’ai appris à faire avec.
- J’ai vu ça, ce matin. La vache ! Tu es d’une rapidité incroyable.
- Et encore, tu étais sur mon dos. D’habitude, je peux faire mieux. Et toi ? Tu fais quoi de tes journées ? Hein, Quentin ?
- Je… eh bien en dehors de mes séances d’apprentissage… je dois avouer que je me contente de survivre. Beaucoup sont dans la précarité, ici. Tu as dû le remarquer. Seul le marché noir me permet de trouver ce dont j’ai besoin. Ce n’est pas très légal mais… entre ça et mourir, le choix est vite fais, crois-moi.
- Je vois.
Junker le regarda. Il était vrai que Quentin était un peu maigre et pas bien costaud. Sa force physique ne devait pas être très élevée.
-Je sais ! S’exclama soudainement le garçon. Et si on te fabriquait un nouveau gouvernail ?!
Le robot se redressa, surpris.
-Pourquoi faire ? Je n’en ai pas besoin puisque je ne peux pas voler.
- Certes, mais tu pourra planer. C’est mieux que rien, non ?
Junker ne sut quoi répondre. En effet, c’était une proposition intéressante. Mais se procurer des matériaux adéquats n’allait pas être facile. Surtout qu’il n’avait pas d’argent. Il lui en fit part.
-Mince. Et avec ce que j’ai, c’est à peine si j’peux payer mon loyer. Il va falloir trouver un moyen de te trouver un nouveau gouvernail et de partir à la découverte du monde. Ici, il n’y a plus rien à voir. Toi, tu veux découvrir l’humanité, et moi, je veux enseigner tout ce que je sais. Je veux devenir le meilleur professeur qui soit. Après tout, être prof, c’est enseigner ce que l’on sait du mieux que l’on peut, n’est-ce pas ?
L’être de métal acquiesça en voyant le visage de Quentin s’illuminer. Voilà de beaux projets pour l’avenir. Mais à l’heure actuelle, difficile de les réaliser.
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