Chapitre 11 : l'opération
La nature de Junker fut une véritable surprise lors de la petite fête. Mais les hommes de Goei semblaient plus fascinés qu’anxieux face au fait qu’il ne soit pas terrien. Apparemment, Quentin s’était réveillé peu après le départ de son compagnon, ne sentant probablement plus sa présence. Et le fait qu’il ait mystérieusement disparu l’avait inquiété davantage. Heureusement, rien d’alarmant ne s’était produit par la suite et la fête s’était déroulée sans accrocs.
Ce matin, Quentin et Junker enfilaient les nouveaux vêtements fournis par l’organisation. Junker dû se contenter d’un débardeur et d’un short noir. On lui donna un cache-cou pour cacher son visage ainsi que des gants et des sortes de collants qui laissaient ses griffes libres. On lui donna également une nouvelle cape plus adaptée.
-Joli, dit Quentin. Tu ferais presque peur.
- T’es pas mal non plus comme ça.
La tenue de Quentin était noire, ce qui lui allait très bien. Ils quittèrent le QG de Goei avec une équipe d’hommes après un petit débriefing de la part de Gin. Apparemment, ils devaient escorter une demoiselle importante. Celle-ci avait pour but de lutter contre la pauvreté des quartiers pauvres. A présent, ils étaient dans un camion blindé accompagné d’un motard.
-Junker, dit un homme. Une fois sorti de la ville, tu suivras le convois à moto. Avec ta dextérité, tu prendras rapidement ta monture en main. Tu échangeras donc ta place avec Kai.
-Bien, monsieur.
- Appelles-moi Alex, gamin.
- Oui.
Quentin réfléchissait. Apparemment, la demoiselle répondait au nom de Mikaëla Von Aïna. Elle devait participer à une conférence dans une ville à quelques heures d’ici.
Le groupe d’escorte arriva en ville. Les deux amis restèrent sans voix. Les véhicules de Goei semblaient préhistoriques à côté. Toutes ces couleurs rappelaient les striures de l’être robotique.
-Ça alors, dit Quentin. Tu serais mieux ici, hein ?
- C’est sûr que ton apparence va mieux avec toute cette modernité, ajouta Alexander. Tu passerai plus inaperçu.
Tout était si différent des quartiers qu’ils quittaient. Les immeubles étaient gigantesques et brillants, les véhicules en lévitation au-dessus du sol et certains individus ne faisaient qu’un avec la technologie. L’écart social était impressionnant. Junker s’empressa de prendre des notes sur ce qu’il voyait. Jamais il n’avait parcouru la ville en étant au sol. Ou du moins, cela avait été extrêmement rare et il n'avait jamais pris le temps d'observer ainsi.
Ils arrivèrent au niveau d’un immeuble. Une jeune femme accompagnée de deux hommes armés se tenait là, vêtue d’une robe rouge qui descendait jusqu’à ses mollets. Ses mains étaient couvertes de gants blancs. Elle avait la chevelure rousse et longue coiffée en sortes d’immenses boucles dans le dos. Le conducteur sorti.
-Demoiselle Von Aïna, nous sommes de l’organisation Goei.
- Je n’en doute pas, dit-elle avec un sourire. Merci d’avoir accepté la mission.
- C’est tout naturel.
Il vint lui ouvrir la portière et elle rentra. L’arrière du camion était en fait plutôt spacieux, avec de belles surfaces en velours rouge et des broderies semblables à de l’or, le tout sur le chassis gris. La jeune femme s’installa aux côtés d’Alexander, face à Quentin et Junker. Son regard exprima son étonnement face à l’être déguisé.
-Toi, qui es-tu ?
- Mon identité importe peu.
- Oh… et toi ?
- Je m’appelle Quentin. Avec mon ami, nous avons rejoint Goei récemment.
- Vous venez de ces quartiers ?
La question perturba quelque peu les deux amis. Le véhicule ne fut pas long à partir. Mikaëla porta son regard sur Junker. Quel individu étrange. Se vêtir de la sorte était pour le moins étonnant.
-Goei recrute des enfants ?
- Nous en avons fait le demande, répondit Quentin. Pour accomplir nos objectifs, il fallait trouver un moyen d’acquérir l’argent nécessaire.
Leurs objectifs. Cela surprennait Mikaëla qui se demandait comment des gamins ayant grandis dans de telles conditions parvenaient à se fixer des objectifs de vie. Elle remarqua les griffes rouges aux pieds de Junker qui tenta aussitôt de les cacher sous sa cape. Cela l’intrigua d’avantage.
Lorsque le camion quitta la ville, il s’arrêta pour que Junker prenne la place du motard. Malgré sa taille encore un peu petite, il parvint à enfourcher le deux-roues et empoigna le guidon. Lorsqu’il partis, il donna trop de puissance, la faisant cabrer. Heureusement, il comprit rapidement comment cela marchait. En une dizaine de minute, il semblait en avoir fait toute sa vie, accompagnant le camion en passant devant, sur les côtés, en accélérant ou en se laissant légèrement distancer par moment.
Quentin regarda son ami passer. Junker était impressionnant, à cheval sur ce puissant véhicule qu’il maniait assez facilement. Après tout, son champ de perception était supérieur à celui d’un individu humain.
-Il est doué, dit Mikaëla. Ton ami pilote bien. Il doit en faire depuis un moment pour être aussi à l’aise.
- En vérité, c’est la première fois, rétorqua Quentin. Mais vous savez, Junker est assez hors normes.
- Quel drôle de nom. J’espère pouvoir faire quelque chose…
- Comment-ça ?
- Je pense à tous ces gens, dans les quartiers pauvres. La société ne les prends pas en compte. Ils sont malheureux, affamés, frigorifiés. Il est de mon devoir de…
- Vous croyez vraiment que j’ai l’air malheureux ?
- Pardon ?
Elle regarda le jeune homme qui réitéra sa question. Mikaëla le dévisagea. Malgré son corps quelque peu amaigri, ses yeux rouges scintillaient d’un éclat de vie. Un éclat qu’elle n’aurait jamais cru voir dans le regard d’un enfant de la misère.
-Vous avez déjà visité ces quartiers ? Si vous défendez une cause sans avoir vu de quoi il en retourne, vous risquez plus de vous mettre ces populations à dos. Enfin, j’dis ça… Junker vous l’expliquera mieux que moi. En ce qui concerne une vie difficile, il en a bavé plus que moi. Mais il n’est pas à plaindre, loin de là.
Celui-ci vint rouler à quelques mètres, Soudain, sa capuche partie en arrière.
-Oh.
La jeune femme resta sans voix. La chevelure de Junker était bleue et d’imposantes cornes beiges ornaient l’avant de sa tête, formant une excroissance sur son front. Ce fut ensuite sa queue qui s’échappa de sa cape. Mikaëla regarda Quentin, en quête de réponses. Celui-ci se contenta d’un petit sourire. Junker cabra et accéléra, partant au-devant du camion.
-Eh bien, dit le conducteur. Il est doué le gamin.
- Pas faux. En même temps…
Alors, la moto ralentie et le pilote leva le bras, signe d’un problème. Le camion réduisit sa vitesse et Junker vint se placer aux côtés du conducteur qui ouvrit la fenêtre.
-Un problème ?
- Nous ne sommes pas seuls.
A peine eut-il prononcé ces mots que trois motards déboulèrent de derrière. Aussitôt, Junker remit sa capuche et rétracta sa queue.
-Essai de t’en débarasser, tu veux ?
L’être de métal acquiesça et freina brutalement, se laissant doubler. Les motards tournèrent la tête mais un jet de feu glacé figea les roues arrières de leurs véhicules, les faisant tomber.
-Ouais ! Cria le conducteur. Il assure ce gamin !
L’intéressé revint et regarda Quentin du coin de l’œil. Celui-ci eut un sourire. Malgré son air grave, Junker dégageait toute la douceur dont il était doté. Et le voir sur cette moto le rendait plus incroyable encore. Il eut un sourire rêveur, le regard plongé dans le vide.
-Il y a quelque chose entre vous ? Demanda Mikaëla.
Quentin tourna la tête, surpris. Il se mit à rougir.
-Oh… Euh… Disons que notre lien est fort, oui. Pour être honnête… Junker est un peu… Non. Il est celui qui m’a volé mon cœur, dès notre premier regard.
Il eut un sourire.
-C’est marrant, quand on y pense. Mais son regard… il n’est comme aucun autre. Il est à la fois doux, sincère et profond… Mais on sens aussi autre chose, que je ne saurais décrire. Un peu comme…
Quentin se mit à réfléchir, pour savoir comment il pouvait décrire l’air imperturbable de son ami.
-Et sinon, il est comment avec toi ?
- Un vrai cœur tendre. C’est vrai qu’il a l’air froid et distant au début, mais très vite… on découvre un être à la bonté inconditionnelle.
Quentin soupira, regardant par la fenêtre. Mikaëla eut un petit sourire. Le camion s’arrêta une ou deux plus tard, histoire de faire prendre l’air à tout le monde. La demoiselle ne fut pas longue à sortir et s’avancer vers le motard.
-Junker ?
Celui-ci tourna légèrement la tête, l’avisant de ses yeux bleus scintillants. Elle ne savait pas trop comment aborder ce mystérieux individu. Elle remarqua que ses cornes formaient une proéminence entre ses yeux et lui donnaient un air sévère. Pourtant, rien de cela ne se dégageait de son regard. Au contraire, elle y voyait une forme de douceur, de bienveillance. Ses yeux étaient d’un bleu si intense qu’on croirait voir l’immensité du ciel. Un ciel calme, sans le moindre nuage. Un ciel infiniment tranquille dans lequel on pourrait voler sans crainte. Quentin avait raison quand il disait que le regard de l’être robotique n’avait rien d’ordinaire. Mikaëla n’avait jamais rien vu de semblable.
-Junker… j’aimerai te remercier. Pour ce que tu fais.
- Ne me remerciez-pas. Si je fais tout cela, c’est avant tout pour Quentin. Pour que son rêve se réalise. Je protégerai ceux qui doivent être protéger, mais je n’attends rien en retour.
Elle le regarda, déroutée. Alors, le jeune métis arriva, profitant d’un instant d’inattention du reste de l’équipe pour embrasser Junker avec légèreté. Celui-ci esquissa un sourire. Quentin lui chuchota quelque chose à l’oreille, le faisant reculer légèrement. Le jeune homme eut un gloussement. Mikaëla les regarda. Pour des enfants issus d’un monde sans grandes richesses, ils ne semblaient effectivement pas se plaindre de leur vie, bien au contraire. Et malgré qu’il soit différent, Junker n’en souffrait pas. Du moins, il n’en avait pas l’air. Mais la demoiselle gardait en tête les paroles de Quentin. L’être de métal avait un passé bien plus sombre qu’il n’y paraissait.
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