Ce qui se cache dans le marais ("Mindless")
Il courait. Il courait sans s’arrêter, à en perdre haleine. Ses pas foulant la boue et ses mains frôlant les hautes herbes. Par moment il devait éviter les petits arbres qui occupaient le marais. S’il n’était pas poursuivi, il se serait attardé à les observer pour se faire sa propre idée sur ce qu’on disait. Les rumeurs racontaient que tous les arbres et toutes les plantes du marais de Troschoyld ne dépassaient pas les dix ou vingt ans. Lorsqu’il avait entendu cela, il s’était moqué de son interlocuteur en lui demandant s’il n’allait pas aussi imaginer quelque chose dans cet endroit qui enlèverait les petits enfants. Maintenant qu’il y était, il comprenait qu’il avait eu raison. Non pas son interlocuteur, mais lui-même. Si on conseillait aux voyageurs qui se rendaient dans le territoire des Ondals de faire un grand détour pour éviter le marais, ce n’était pas pour rien. Il comprenait maintenant pourquoi et se maudissait d’avoir voulu prendre ce raccourci. Car il y avait bel et bien quelque chose d’angoissant ici et ce quelque chose était à ses trousses.
Jetant un rapide coup d’œil derrière lui, il n’entendait et ne voyait plus la chose qui le poursuivait quelques minutes plus tôt. Il se cacha derrière un arbre et repris son souffle en posant sa main sur le tronc couvert d‘épais lierres. Il attendit une minute, puis une deuxième, puis une troisième. Le marais semblait mort, rien n’y bougeait hormis les feuilles des arbres soufflées par le vent. Il décida alors d’utiliser ses aptitudes de Perception pour tenter de repérer la chose. Il ferma les yeux et étendit son champ de perception, d’abord sur son corps, puis vers le sol, il continua vers l’arbre … mais à ce moment précis, il ressentit une vive douleur à son œil droit. Quelque chose empêchait sa perception d’aller plus loin que sa main droite. Celle posée sur le tronc. Inquiet, il rouvrit lentement les yeux alors qu’une goutte de sueur coulait sur son front. Tout semblait normal. Il voulut éloigner sa main, mais il y ressenti une myriade de picotements qui freinèrent son mouvement. Il se mordit les lèvres pour s'empêcher de crier de douleur et regarda sa paume. Un frisson de terreur parcourut tout son corps en y voyant toutes les gouttes de sang qui commençaient à perler sur sa peau. Paniqué, il observa le tronc et y vit autant de toutes petites épines tachetées de rouge et qui n’étaient pas là lorsqu’il était arrivé. Dans un mouvement fébrile, il farfouilla dans une de ses sacoches et en sortit un bandage qu’il allait utiliser lorsqu’il vit, médusé, qu’autour de chaque plaie, sa peau perdait de sa couleur à vue d’œil. Sa respiration s’emballa alors que toute sa main était presque devenue totalement blanche. Il jeta des coups d’œil tout autour de lui, sûrement en quête d’une solution, alors que de petites taches verdâtres apparaissaient lentement sur tout son avant-bras. Étrangement, hormis les picotements qui s’étaient calmés, il ne ressentait aucune autre douleur dans le bras, cependant, ses tempes commençaient à battre de plus en plus fort et de légers points noirs se mirent à flotter devant ses yeux. Plus il paniquait et plus il se sentait perdre pied, presque à deux doigts de tomber dans les pommes. Déstabilisé, il fit un pas en arrière, puis un deuxième et heurta quelque chose derrière lui. D’un coup, tout redevint clair autour de lui. Son esprit retrouva son calme. Sa peur s’envola.
Il se retourna doucement, s'attendant à trouver quelqu’un qui pourrait l’aider. Mais il en fut tout autre. Il était face à une sorte d’ombre qui se tenait debout. On aurait dit un humain vêtu d’un grand voile de noirceur cachant ainsi toute forme. À peine eut-il le temps de se tourner, qu’une main en sortit et se plaqua sur son visage. Tel de longues aiguilles mentales, un nombre incalculable de douleurs pénétrèrent son Être, traversèrent son Corps et se dirigèrent tout droit vers sa Conscience. Celle-ci tenta d’esquiver mentalement les traits de souffrance qui essayaient de l’atteindre, mais en vain. Un premier l’atteignit, puis un second, puis des centaines vinrent la traverser de part en part.
Il voulut hurler de douleur, mais aucun son ne sortit de sa gorge. La douleur devint insoutenable, non pas une douleur physique, mais une douleur mentale qui attaquait directement les premières parcelles de son Être. Il tenta de lever la main pour arrêter l’ombre, mais sa connexion avec son bras semblait s’abîmer. Il la sentait se détériorer de secondes en secondes. Il allait se mettre à paniquer lorsqu'il se demanda alors pourquoi. Pourquoi devrait-il paniquer ? Il ne se souvenait déjà plus. Il chercha un souvenir dans sa mémoire qui pourrait lui donner la réponse, cependant, plus il cherchait et plus ses souvenirs devenaient flous, perdaient de leurs couleurs et se désagrégeaient. Son fil de réflexion devint de plus en plus houleux, ses forces l'abandonnèrent et il sentait de moins en moins son Corps au point que ses bras inanimés se balançaient sans volonté le long de son torse. Ses yeux devenus vitreux, ne lui renvoyaient plus que des images floues et sans couleurs. Dans un ultime élan de volonté, il réussit à lever les yeux vers l'ombre. Celle-ci écarta sa main pour retirer le voile qui la recouvrait. Il distingua alors une cascade de cheveux noirs et sales. Tandis que sa Conscience était sur le point de s'éteindre, un son parvint difficilement jusqu'à ses oreilles.
- Puisse la putréfaction de Nergeylle persister à jamais.
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