Rachel.
- Tiens, Major je t'ai fait un café à ta façon comme tu l'aimes. Ton kawa aux épices.
- Tu l'as préparé avec mes épices ?
- Évidemment je te l'ai préparé avec un bon arabica et du robusta, entre parenthèses c'est gâcher du bon café pour faire ce truc qui ressemble à une purge. Oui, oui, oui... j'ai mélangé la mouture à un peu de cannelle, à du gingembre, du poivre noir, du clou de girofle de la cardamone et du bois bandé. Mais comment tu peux boire ça ?
- Bah, comme je peux croquer un piment ou descendre une bouteille de tabasco.
- C'est ce que je dis, t'es pas normal comme mec.
- Mais tu aimes ça, ma salope, je me trompe ?
- C'est vrai je suis comme maman, je suis toujours attirée par des mecs tordus. Mais d'où tu sors cette recette ?
- C'est une longue histoire. Tu devrais t'occuper de notre pensionnaire.
- Bof, pour l'instant elle n'a pas cassé son œuf. Elle peut attendre, alors raconte on a tout notre temps.
- C'est comme tu veux, c'est une recette de Rachel.
- La Rachel ?
- Tu en connais d'autres ?
- Nan, alors raconte, tu m'as fait la version courte. Je veux la version longue. J'aime comme tu racontes.
- Oui, il n'est pas mauvais, mais je n'irai pas jusqu'à dire qu'il est bon.
- T'es vraiment qu'un salopard, moi qui voulais te faire une petite gâterie pendant que tu boirais ton truc...
- En voilà une bonne idée.
- Ok ça me va, ta queue est épaisse et douce, alors si tu me fais plaisir en me racontant ton histoire, je te fais plaisir après.
- Et oui, je n'ai connu qu'une Rachel.
Une de ces belles Juives aux yeux de braise, aux cheveux longs et bouclés, au nez busqué, aux lèvres rouges, avec une peau bien plus cuivrée que toi.
Qu'avait elle de commun avec moi ? L'urgence de vivre, de profiter de l'instant et puis ce n'était pas une femme, mais un soldat.
Elle s'est imposée à moi tout comme toi, une évidence, un clin d’œil du destin. Je m'en souviens comme si c'était hier.
Moi j'étais parti dans les collines bien au-dessus de Naquoura en direction Jouaya pas très loin du camp israélien et de celui d'une milice chrétienne. En face de nous on devinait la maison en forme d'avion d'un haut gradé de l'armée libanaise...
Un peu plus loin Deir Kifa et son petit camp de la FINUL... la poursuite du projecteur du mirador qui nous éblouit de sa lumière crue... un coucou aux copains du camp qui montent la garde, deux caisses de cognac, deux lots de PQ de qualité pris sur la part des Norvégiens et un carton de Lucky qu'on a échangé avec les amerlocs... direction la salle des gardes.
Le sergent chef Dumont m'y attend.
La clim anémique avec son bruit de crécelle énervante, nous tient compagnie, on partage un mauvais café ensemble, on cause de tout et de rien et je lui dis :
- Tu sais que je gère les stocks de la quincaillerie du 420, mon sergent fait ce que je veux, je lui fais réviser son CM2... le lieutenant, on ne le voit jamais. Je sais même plus à quoi il ressemble. Alors votre clim... comme dirait notre copain Ress : Hey men, et donc la solution la plus évidente était de casser ce truc ? Dans ce cas, je vous dégotte une clim neuve et vous vous me faites venir tous les quinze jours, j'ai un copain chez les maronites, il a des supers plans pour la bouffe.
- C'est vrai que jusqu'à présent tu es plus efficace que la voie hiérarchique.
- Ouai, je déteste la paperasse, et comme au 420 c'est un bordel sans nom, je pense que je suis devenu le roi de la débrouille. Mais va falloir que la prochaine fois j'apporte du café, le vôtre est infect.
Les trois drapeaux ne sont pas encore hissés, il fait encore nuit. Les bérets sont bleus, les véhicules, blancs. Il n’y a que les treillis qui soient kaki.
Casques, gilets pare-éclats, rations de combat, alcool et hamac occupaient l'arrière de la jeep soigneusement dissimulés sous la même bâche verte qui avait camouflée notre marchandise.
Une cinquantaine de kilomètres, seulement, nous séparaient de notre point de départ, du 420éme DSL*. Mais tu sais, là-bas, le trajet est aléatoire... Surtout avec la lumière anémique de nos phares, sa durée peut doubler selon l'état de la route ou du véhicule. Mais j'en avais une bonne révisée de la veille. C'est vrai qu'à l'atelier j'avais aussi mes entrées... Sous ces climats, c'est fou ce qu'une bonne moustiquaire peut aider et justement, j'en avais une palette.
Mais tu vois le parcours s’était effectué sans encombres, il était encore très tôt et je savais que personne ne viendrait nous faire chier avant 18 h.
Ce n'est pas pour rien que je m'étais accaparé diverses corvées dont personne ne voulait. Avec Ress on avait ainsi pris la corvée des poubelles du camp ; et là où d'autres mettaient la journée, et je ne mens pas, nous on pliait le truc en une heure et demi après, quartier libre ! D'autant qu'on servait aussi en quelque sorte de boîte aux lettres... Mais ça, c'est une autre histoire. Tu vois, j'étais aussi le responsable du PQ pour toute la FINUL et ça aussi, personne n'en voulait, comme des chaises et des tentes... Grâce à ça, j'ai pu visiter le Liban... Qui ferait chier un gars avec un camion de chaises ou de tentes ?
Bon je reprends...On était encore entre chien et loup, quoique je ne sache pas si on peut employer cette expression pour l'aube.
Pour nous pas besoin de s’équiper de casques et de gilets pare-éclats. Pas ou peu de ralentissements aux abords des check-points surtout depuis que j'avais retrouvé "J*." juste quelques palabres avec les Forces armées libanaises (FAL).
Les paysages on ne les connaissait que trop bien.
Des routes toujours défoncées, au bitume rapiécé, toujours bordées de champs d’orangers, de citronniers et même de bananiers d'un vert brillant. Mais souvent, moins bucolique, à cause des panneaux sur lesquels étaient affichés des portraits de martyrs ou d’hommes politiques. Mais ces putains de routes étaient toujours bordées d'un épais ruban de détritus. On était vraiment chez des arabes. Les mêmes qui viennent ici nous pourrir la vie.
J'étais parti dans l'arrière pays pour m'entraîner au tir avec mon FRF1* et pour faire le con avec la jeep.
On était deux, j'étais avec Ress un copain, un petit noir, aussi noir qu'un expresso, large d'épaule, malgré son air rigolard, il était respecté des tahitiens, sans doute à cause de son gauche dévastateur. En tous cas, je l'ai toujours vu rire et écouter du reggae. Dans sa musette F1 toujours de quoi rouler et plusieurs barrettes de rouge très juteuses. Je voulais voir combien de joints je pouvais fumer avant que je rate ma cible. Ress était un rouleur de première, bien qu'à la fin on fumait le shit dans une pipe Saint Claude avec un petit charbon qu'on posait dessus et le résultat était plus que satisfaisant. Donc on tirait, on vidait des chargeurs et on tirait sur le joint depuis bien un quart d'heure. Quand le bruit caractéristique de chenilles s’amplifia en même temps qu'un nuage de poussière s'approchait de nous. À coup sûr, c'était un half-track, à coup sûr c'était des Israéliens car c'était les seul à en posséder. Tu peux pas savoir le boucan que ça fait ces trucs là. On les entend à des kilomètres. Et donc la solution la plus évidente était de casser ce truc pour ne plus l'entendre... mais bon je n'avais pas de RPG et je n'allais pas déclencher une guerre pour un bruit plus assourdissant que mes rafales ? Le half-track pile à notre hauteur. Et qu'est ce que je vois à bord ? Que des nanas. Celle qui conduisait m'interpelle.
- Guys, what are you doing here ? (les mecs, qu'est ce que vous foutez ici ?)
- And you girls ? This is not your sector. (et vous les filles ? ce n'est pas votre secteur.)
- And are you a UNIFIL unit ? (Et vous étes une unité de la FINUL ?)
- Girls ! Yes, so what ? You should go home. (les filles ! Oui, et alors ? vous devriez retourner chez vous.)
- Like all Frenchies, you talk too much ! (Comme tous les Frenchies, tu parles trop !)
- Funny, I can do a lot of things with my tongue. And you don't give a fuck here. (rigolotte, je sais faire un tas de choses avec ma langue. Et vous avez rien à foutre ici.)
- Time will tell. You can be a boor Frenchie. ( Qui vivra verra. Ce que tu peux être rustre Frenchie.)
- The name of the boor is Serge, and the little nigro with a big dick is Rees. ( le nom du rustre c'est Serge, et le petit noir avec une grosse bite c'est Ress.)
- Anna wipes the floor with your friend Ress. She gives head like a queen. ( Anna ne fait qu'une bouchée de ton ami Ress. Elle taille les pipes comme une reine.)
La fille en question une blonde cheveux courts forte poitrine se leva dans le half-track pour faire un geste obscène avec la bouche et sa langue.
- Cool, petit français ! On va pas se mettre dessus ou dessous, on a entendu tirer, alors on est venu voir. On se doutait bien que c'était l'ONU qui jouait aux petits soldats.
- Française ?
- Oui, d'origine, et ça fait du bien de parler pays. Mes copines voulaient voir des goys. Un zizi avec son capuchon... pour nous, c'est exotique. Aujourd'hui c'est Yom Haʿatzmaout, on vous invite.
- Hey man. C'est quoi ? me demanda Ress.
- Pour eux, c'est comme pour nous le 14 juillet. Et il y a un pique-nique et du barbecue dans l'air.
- Hey man... Et elle sont belles et pas farouches, renchérit Ress.
- Oui mais t'as pas vu leurs mecs... des tahitiens avec des neurones, on n'a aucune chance.
- Hey man, sur un malentendu, on sait jamais ?
On les a suivies en jeep, direction le haut d'une colline, direction leur camp, une demi-lune entourée d'un fossé anti char, avec au centre plusieurs tentes israéliennes, elles ont ceci de particulier qu'elles ressemblent à de grands tipis. Il y avait aussi deux petites tours ressemblant à des derricks avec à leur sommet une citerne noire et une citerne blanche, eaux chaude, eaux froide. Deux douches en plein air. Une cabane en plastique bleu pour les WC. Un barbecue dans un demi baril de 5oo litres. Et derrière tout ça, trois chars, un centurion et deux merkavas. La bière coulait déjà à flot, sans compter ce putain de café, le même que tu m'as préparé, qu'elles nous faisaient boire. Les filles étaient presque seules, un seul hommes, un athlète grand, poilu comme un singe et qui n'en pouvait plus de toutes ces nanas. D’après ce que m'avait dit la « française » qui s'appelait Rachel, elles n'avaient pas le droit de se battre, alors elles convoyaient les chars jusqu'à ce qu'un équipage masculin vienne en prendre possession. Alors tu m'as compris, entre l'alcool, le méchoui et le shit, cela a vite dégénéré à l'orgie. Deux mecs, six filles et des litres de ce café... le mec nous avait piqué un hamac et s'était barré... pour Ress et pour moi, je peux te dire qu'on était remonté comme des coucous suisses. On est rentré à Naquoura vers 21 heures sans que personne ne nous pose de questions. On a vite compris que notre escapade ferait des petites, surtout que mon deal pour la clim avait marché. Ce qui est étrange c'est que Ress, qui était du genre loquasse, garda le secret sur nos escapades qui devinrent quasi bihebdomadaires. Et quand on rentrait tard, voir très tard, tout le monde croyait que les poubelles étaient la pire des corvées. Je peux te dire aussi que beaucoup se foutaient de notre gueule, la volonté qu'il nous a fallue pour ne pas nous vanter, pour ne pas cracher le morceau. Oui, moi je te le dis les poubelles, c'était un super truc.
Et pour ce qui est du café... je te dis pas qu'il est du meilleur gout... mais qu'est-ce qu'il fait bander, d'ailleurs, regarde !
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420 Dsl* : 420 eme Détachement de Soutien Logistique, DSL, CCOS, FINUL,
"J*.": ce" J" là c'est celui de "1983," : un chef de milice, Puis un homme politique plus ou moins mafieux, (pure fiction aussi.)
FRF1*: Le FR-F1 a été la première carabine française conçue pour les tireurs d'élite. En 1964. (Fusil à Répétition modèle F1) est un fusil de précision français, en service de 1966 à 1989.
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