XI
À l’intention du sire prévôt du département de l’est.
Messire, je me permets de vous écrire relativement à une récente affaire de disparition dans notre village de Kleindof à la frontière est du département. Tout d’abord, voici l’énoncé des faits :
Dans la nuit du 7 au 8, nous avons reçu la visite d’un groupe de huit villageois qui s’étaient retrouvés dans la rue devant le commissariat. En les recevant, ils nous ont expliqués être tous venus pour la même raison : leurs enfants n’étaient pas rentrés de toute la journée, et à la tombée de la nuit ils ont décidé de signaler la disparition. Aussitôt après avoir pris leurs dépositions, j’ai mobilisé tous mes hommes. Un total de six agents (deux de mes hommes étaient blessés après avoir aidé à réparer les dégâts du blizzard) et de moi même sommes aussitôt parti dans les montagnes à la recherche des enfants, accompagnés d’une partie des parents.
Au bout de quelques heures, nous sommes parvenus au niveau des pâturages où la plupart des enfants disparus étaient supposés mener les brebis. Nous n’avons aperçu aucune trace des enfants ni des animaux. L’herbe avait manifestement été broutée, mais il n’y avait aucune empreinte, pas même de sabots.
Nous avons tenté d’appeler dans le blizzard, et l’un des parents a dit entendre une réponse. En le suivant, nous avons fini par retrouver une piste, des traces de bottes dans le sol gelé, se dirigeant vers l’est. Monsieur Hagendorf, celui qui disait avoir entendu une voix d’enfant lui répondre, a pris les devant malgré mes mises en garde et lors d’un virage dans les montagnes, il a fait une chute et s’est rattrapé au bord d’un précipice. Nous avons réussi péniblement à le tirer d’affaire, mais nous l’avons retrouvé en état de choc. Il a affirmé qu’il avait aperçu une silhouette de la taille d’un enfant, mais qu’en s’approchant, celle-ci s’était changée en un démon lui ayant sauté dessus, le faisant reculer dans le vide sous la frayeur.
Suite à cet incident, nous sommes rentrés au village. Vers le milieu de la matinée, nous avons ressenti des secousses, comme un faible tremblement de terre, et le blizzard qui durait depuis plusieurs jours s’est arrêté.
J’ai donc derechef réuni ma troupe que j’ai envoyée enquêter dans les montagnes. Pendant que mes hommes cherchaient des empreintes à la lumière du jour, nous avons soudainement vu les troupeaux de brebis rentrer au village par l’ouest, la direction opposée de là où elles auraient dû être. Après vérification des villageois, toutes les bêtes répondaient à l’appel, mais il n’y avait plus aucune trace ni des enfants ni des chiens. On m’a rapporté que les brebis étaient terrifiées, et que le lait produit par la suite avait pris un goût atroce, ce qui voudrait dire que les bêtes ont croisé la route d’un démon ou d’un sorcier.
Mes hommes, à leur retour, m’ont confirmé qu’il n’y avait pas la moindre empreinte dans les pâturages. Ils ont également ratissé les cols de la montagne et se sont enfoncés dans certaines grottes. Dans l’une d’entre elle, ils ont retrouvé cinq bougies rouges éteintes, disposées en cercle autour d’une tâche de sang. Ils n’ont pas touché à ces objets par peur de déclencher quelque maléfice. Mes hommes ont fait tout leur possible, mais à seulement six, même en toute une journée, ils n’ont pas pu ratisser tout le terrain possible, et aucune trace des enfants n’a pu être retrouvée.
La liste des disparus est donc la suivante :
Alicia Hagendorf, 7 ans, cheveux châtains, yeux noirs, tâches de rousseur,
Peter Hagendorf, 12 ans, cheveux châtains, yeux noirs,
Hans Tötmann, 10 ans, cheveux bruns, yeux bleus,
Nadja Hirsch, 8 ans, cheveux roux, yeux bleus, tâches de rousseur,
Johann Hirsch, 8 ans, cheveux roux, yeux bleus, tâches de rousseur,
Heinrich Heimat, 9 ans, cheveux blonds, yeux bleus,
Ludwig Heißenbach, 7 ans, cheveux bruns, yeux noirs.
La disparition de ces sept enfants a été signalée en règle à la direction du département, mais je tenais à vous écrire personnellement, messire. Cet incident porte le nombre d’enfants disparus cet année, dans notre village et dans les villages environnants, au nombre cinquante six. Tout porte à croire que des démons ou quelque esprit maléfique se cache derrière ces méfaits, mais là n’est pas la question de toute manière. Depuis des années maintenant que nous signalons des disparitions, aucun enfant n’a été retrouvé, et nous avons beau tirer la sonnette d’alarme, il nous semble que la direction du département de l’est n’a que faire de nous. Nos commissariats manquent cruellement de matériel et d’effectifs. Mes hommes n’étaient que six lors de ces évènements, soit moins nombreux que les enfants disparus. Il est certes rare qu’autant d’enfants disparaissent en même temps, mais avec la régularité de ce genre d’événements, nous devrions pouvoir compter sur tous les moyens nécessaires. Il nous faut des effectifs suffisants pour quadriller une large zone, et surtout du matériel de secourisme. Un exemple au hasard, mais mes hommes n’ayant pas de matériel d’escalade n’ont pas pu atteindre certains endroits de la montagne et ont été obligés de les contourner. Je sais bien que les sommets sont de toute manière impraticables, mais nous devrions au moins avoir de quoi venir en aide à nos concitoyens aux environs de nos villages. De même, nous avons été réduits à emprunter une lampe tempête à un civil, car nous n’en avions pas dans le matériel de la police.
Aussi, je vous écris, messire, pour rappeler votre attention sur nos problèmes et exiger le minimum des moyens nécessaires à la protection de nos concitoyens. Je ne devrais pas en être réduits à vous écrire de cette manière, mais votre inaction a déjà sans doute coûté la vie à trop d’enfants et si nous n’avons pas les moyens d’organiser des recherches en bonne et due forme dans les prochains jours, il y a fort à croire que ces sept enfants aussi ne seront jamais retrouvés.
Avec tous mes respects,
Peter Feldmann, commissaire de police de Kleindorf.
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