Masques
Giorgia déteste les masques : ils lui donnent chaud, l’étouffent. Elle soupire en pensant au vrai problème qui découle de leur port obligatoire. De la buée se forme sur ses lunettes. Elle arrache le bout de tissu bleu, claquant l’élastique contre son oreille. Du coin de l’œil, elle aperçoit les chaussures de sa professeure, Madame Rizzo. Cette dernière tapote son épaule, lui demandant ainsi son attention.
Madame Rizzo lui parle. Enfin, Giorgia le devine à sa gestuelle. Elle déglutit et lui dit d’une voix qu’elle espère suffisamment forte :
« Désolée Madame, je ne comprends pas. »
Son institutrice s’arrête net, ses yeux s’écarquillent un peu. Elle baisse son masque, dévoile sa bouche pour la laisser lire sur ses lèvres. Elle a des traits fermés, personne ne l’a jamais vu avec une autre expression que celle détachée qu’elle aborde en ce moment-même. Malgré sa sévérité, c’est la seule enseignante à essayer de prendre en compte le handicap de Giorgia. Madame Rizzo a demandé à ses parents où elle pourrait prendre des cours en LIS*. Et rien que pour ça, Giorgia l’apprécie.
« Pardon, Giorgia. Je te demandais de remettre ton masque… »
Giorgia s’exécute, prenant soin de bien pincer cet instrument de torture et d’éviter ainsi de ne plus rien voir. Madame Rizzo l’observe faire, puis ajoute :
« Arrives-tu à suivre la classe ? »
Giorgia agite sa tête de gauche à droite. Non, comment le pourrait-elle ? À cause de ses maudits masques, elle ne peut pas faire de lecture labiale. Depuis le début de la journée, elle se contente de recopier les cours de ses copines et ce qu’il y a marqué au tableau.
« D’accord… Ce que l’on va faire, c’est qu’on va demander à une de tes copines de bien tout noter pour aujourd’hui. Laisse-moi trouver une solution pour demain. »
Emma, sa meilleure amie, se porte immédiatement volontaire. Madame Rizzo retourne derrière son grand bureau, satisfaite de cet arrangement.
Le lendemain matin, Giorgia rejoint le cours de mathématique de Madame Rizzo. Cette dernière tourne le dos aux élèves qui prennent place. Quand elle leur fait face, des copies en main, les yeux de Giorgia s’écarquillent. Madame Rizzo porte un masque en plastique transparent. Et, pour la première fois depuis le début du trimestre, elle leur sourit.
*LIS : lingua dei segni italiana, langue des signes italienne.
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