Cirque des chimères ; chapitre 68.3

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La lune, grosse comme un poing. Le halo de la lune et le halo de sa tête. Ses cheveux d'argent. Plus loin encore des doigts désarticulés. La terre meuble et vague. Le chaos et la trace du chaos qui frémissait sur la terre.
Le Baron s'approcha du corps recroquevillé — Chétive pensait-il, une chose chétive et tremblante et crevassée par le froid — Une chose qu'on aurait pu écraser du pied — et demanda avec ironie ce qu'elle pensait de cette soirée. « Belle, n’est-ce pas ? » La petite leva des yeux blancs et brumeux et de nouveau elle trembla et la terre trembla et le Baron n'eut pas sitôt reculé que la terre eut jaillie et enveloppée cette petite chose en une sphère noire et lisse et où se reflétait le blanc profond de la lune.
Il retira son fusil et ses gants et caressa cette surface noire et profonde de ses paumes entières. La pierre et la chose et le tremblement de la chose et de la pierre. Une respiration ténu. Un fil mince où il agrippa son souffle et la douleur de son souffle — le mince fil qui désormais les reliait tous deux et toute chose entre eux deux. Un battement joint. Quelque chose de lourd et qui pulsait dans l'air et dans la pierre et dans l'air qui perçait la pierre pour joindre leurs corps comme deux pôles d’un aimant. Le frémissement qui redoublait et la terre qui se craquelait et soudain la roche et les gravats et la poussière opaque et la main de Sanaeni sur la face du Baron. Les doigts sur ses paupières. La pulsation aveugle du sang et du chaos, de leurs veines si proches dans cette poussière opaque. « Après la défense l’attaque ? » Il rit ou elle eut l'impression qu'il riait et le sang coulait chaud sur ses doigts et son rire continuait de monter invisible dans l’épaisse poussière. Puis une main sur sa main et une force sourde et ses doigts écartés et désarticulés. Elle bondit en arrière, la silhouette de sa main qui pendait las sur la silhouette de sa hanche. Le Baron reprit son fusil et enclencha la clef de bascule et tira et on entendit à travers la poussière l'écho sourd de la balle sur la pierre. Il enclencha de nouveau la clef et releva le canon un peu plus haut. Cette fois, il ne la raterait pas. Mais le fusil s’abaissa. Un poids, un poids immense et qui rabaissait le fusil. Une main longue et pâle et qui tordait désormais le canon. Une Archiviste.
Il dit qu'elle arrivait trop tard, qu'il avait été attaqué et qu'il exerçait son droit de défense, rien de plus. On l'avait blessé et il pouvait blesser en retour. Il pouvait tuer aussi. C'était son droit et l'Archiviste ne pouvait dérober le droit.
« Vous connaissez la loi, aussi bien que moi ou mieux encore, madame l'Archiviste.
—Je connais la loi, oui. Et je n'ai vu ici aucune attaque de cette jeune fille. Je ne vois qu'un lourd nuage de poussière » et l'Archiviste tendit sa manche sur le visage du Baron et l'essuya, le sang qui s'épanouissait sur le tissu blanc en de petites fleurs écarlates.
« Vous comprendrez donc que si vous relevez votre fusil, je me verrais à mon tour dans mon droit. Mais nous voici entre gens de la loi, n'est-ce pas, monsieur le Baron de Haut-Castel ? »
L'Archiviste tendit sa longue main vers la poussière et les doigts ensanglantés de Sanaeni s'enroulèrent à ses longs doigts d'os.
« Où l'emmenez-vous ?
— Je crains que ces informations ne soient confidentielles. Vous pouvez remplir le formulaire 137-4-A et l’envoyer à nos bureaux, mais je crains que vous ne soyez en mesure d'obtenir de telles réponses. J'ai ouï-dire que votre femme attend un autre enfant. Combien de lunes ? six, sept ? Peut-être devriez-vous rentrer à son chevet. Vous savez comme ces enfants-là peuvent être pressés, et vous savez qu’un enfant ne devrait pas naître sans un père à ses côtés. Pensez à votre enfant, à votre femme, on pourrait croire qu’il vous est arrivé quelque chose de malheureux. Il ne faudrait pas que cela se produise vraiment. »
L'Archiviste tira Sanaeni et elles marchèrent d'un pas lent et serein et disparurent derrière un épais voile blanc. Le Baron épousseta ses joues et regarda le sang épais et noir sur ses doigts. Oui, il était temps de rentrer.

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