Si eux : Catafalques que nous saluons trop bas ;
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[Midipolia, 2244 ]
Jabez n'était pas de service quand Aboubakar, son coéquipier, son pote s'était fait descendre à la Mèche. Ce jour-là, il n'était pas à ses côtés pour assurer ses arrières. Il n'arrivait pas encore trop à y croire et pourtant il en avait vu des morts. A chaque fois avec Aboubakar ça passait de justesse, d'un rien, d'un cheveu : l'épaisseur entre la vie et la mort. A croire qu'ils avaient la baraka ! Le duo s'en sortait jour après jour. Mais la chance avait tourné, Abou était mort.
- Tu serais tombé à sa place ! lui avait envoyé Elia. Je croyais que tu avais compris ? Reste à ta place !
C'est sûr qu'elle lui en voulait depuis l'épisode de l'artificielle maltraitée par ses éleveurs. Artificielle ou pas, il leur avait fichu une sacrée raclée. Ça coûtait cher de jouer les justiciers à Midipolia. Il n'avait sauvé sa peau qu'eu égard à ses états de services. Quant à passer chef d'équipe, il n'en rêvait plus depuis longtemps.
J'aurais dû être là, j'aurais dû être là, se répétait-il…
Il avait pris un congé pour aller voir son futur enfant.
Quelle idée cet enfant ?! Vouloir un gosse dans un monde sans loi, juste avide de fric et de sang… Pendant qu'il l'admirait flottant dans sa petite cuve de maturation, qu'il lisait et relisait ses rapports de pousse foetale, Aboubakar se faisait buter !
La morgue, il y était, il avait bien fallu que cette heure arrive. Il aurait préféré se trouver ailleurs, à se saouler probablement. Le frigo ouvert et la table avancée, drôle de repas. Ça lui fit drôle de le voir immobile, lui qui ne tenait pas en place. Il était jeune, pas même trente ans, toujours très pro, impeccable dans ses placements, on aurait dit son double avec quinze ans de moins.
C'est sage un cadavre, même quand la moitié du visage a été arrachée, ça ne bronche pas. Ce sont les vivants qui trinquent. Ne pas vomir devant ce qui fut autrefois un homme et qui n'est plus qu'un morceau de barbaque torturée, un éventaire de boucher négligeant. Tenir encore quelques minutes, le temps de signer le formulaire d'identification pour épargner ce spectacle à la famille…
Et dire que cette horreur va continuer, après toi Aboubakar. Toi et moi ne sommes rien, à peine un obstacle très temporaire à abattre. Les gangs ne s'arrêteront pas avant que l'un ne détruise l'autre. Les balles perdues, ils s'en tapent, les grenades égarées qui explosent dans le tas, ce n'est pas leur problème !
J'aurais dû être là, j'aurais dû être là. Malgré tous ces silences et les chefs qui verrouillent l'information. Il avait demandé la vidéo de l'intervention et ça avait été niet ! Pas avec son niveau d'accréditation. Il était bien le chef du binôme, non ? Des types comme lui ou Aboubakar sont juste bons à servir et à crever sans protester, bien gentiment. Un héros, ça meurt pour la cause, ça ne cause pas et surtout pas d'embrouilles !
Jabez, allait sortir, nauséeux quand le type de la morgue, Marty, un nom comme ça lui parla de ses doutes, genre "tu le gardes pour toi". "C'est probablement de l'elma.. Ça a zouké l’e-ssaim autour, aussi". Ses doutes, il aurait dû se les garder, au lieu de les lui refiler !
De retour au bureau avec dans la main un café sans goût, il gambergeait. Impossible de tourner la page. De l'elma ? Qui se fait descendre avec cette arme d'assassin ? La balle ne touche pas le canon, pas de rayures, intraçable. Pourquoi l'utiliser pour tuer du flic ? La Stidda ou la Bratva seraient plutôt du genre à faire porter le chapeau à l'autre clan, alors pourquoi effacer toute trace ?
Le Commissaire Sylvestre s'approcha de lui, l'air encore plus sombre qu'à l'accoutumée. Pas du genre jovial, mais réglo, un chef à l'ancienne, à toujours soutenir ses hommes, enfin quand c'était encore possible. Jabez n'avait pas envie de parler, ni d'écouter des paroles de circonstances, le genre de platitudes dont il avait horreur. L'image de la gueule d'Abou, lui trottait encore et encore dans la tête…
- Ne dites rien commissaire, ça va aller, dit-il au bord de la nausée. - J'ai besoin de toi Jabez. Aboubakar te faisait confiance…
Toujours cette voix dure, tranchante comme un poignard contre une jugulaire.
Incrédule, Jabez se retourne et aboie presque.
- Je ne pouvais pas lui couvrir le cul H24, à cet imbécile ! Malgré sa hargne, il avait les larmes aux yeux.
- C'est pas le problème, il vous a chaudement recommandé. - Recommandé ? Le jeunot m'a recommandé ?
Jabez repensa à son coéquipier, à son calme, à sa prudence, à son courage, le tout incarné dans un gosse sacrément mature.
- Jabez, je sais que vous en avez marre de tout ce merdier et vous n'êtes pas le seul. Nous avons choppé un repenti qui a très envie de sauver sa peau en nous racontant ses sales petits secrets. Il vous attend à la mèche. Si vous voulez que ça change, il va falloir vous bouger le cul !
Les deux hommes se jaugèrent un longue minute.
- A quoi il ressemble votre client, capitaine ? demanda Jabez.
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