Alcine

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Le jour filtrait à travers les ramures des conifères que le vent, faiblement, faisait frissonner. Rien, alentour, ne laissait présager de la présence d’une quelconque forme de civilisation, n’eut égard au sentier qui sinuait discrètement entre les arbres, à travers mousse, fougères et herbes grasses. C’était ce même sentier que suivaient deux jeunes voyageurs montés à cheval, l’un dissimulé sous une ample cape, l’autre exposant ses traits au clair-obscur ambiant, le nez hautain et la mine lasse. Voilà bientôt huit jours qu’ils progressaient tant bien que mal à l’ombre de ces frondaisons, sans savoir si ce qu’ils étaient venus chercher dans ces contrées se trouvait bien au bout de leur hasardeux itinéraire. Le grand fier, un homme du monde répondant au nom de Fritz, en avait perdu sa politesse et ne cessait de geindre tout en se plaignant de cet environnement inhospitalier quoique tranquille où ne se trouvait ni auberge, ni taverne à vingt lieues à la ronde. Sa camarade de route – car c’était une femme – accueillait cette indignation en le rabrouant, concentrée sur sa quête malgré sa propre lassitude et tâchant de rester sur le qui-vive. Il leur semblait en effet que depuis que leur pérégrination les avait porté au milieu de cette végétation luxuriante, des yeux inquisiteurs restaient attachés sur eux. Bien sûr, il y avait partout toutes sortes d’animaux sauvages, de parfaits candidats au titre d’épieurs méfiants, mais la voyageuse, prénommée Carmen, était presque certaine que ces derniers étaient étrangers à son impression. Elle en eut la certitude lorsqu’à la faveur d’une brise plus forte, des pupilles coupables se laissèrent entrevoir derrière un buisson, plus loin sur leur route.

« Qu’est-ce que c’est que cette merde ? » siffla son comparse avec dédain.

Surgissant du maquis, leurs espions, un jeune homme et un vieillard, s’enfuirent à travers la brousse, sans plus se soucier d’attirer l’attention des deux cavaliers. Cette surprenante apparition était d’autant plus incongrue que les deux observateurs se trouvaient nus comme des vers.

« Ce ne sont pas les premiers, prévint Carmen. J’en ai aperçu deux autres, ce matin. Nous sommes bientôt arrivés. »

Fritz déglutit ; si hommes il y avait, leur manque de pudeur ne lui inspirait guère confiance. Il s’avança malgré tout à la suite de sa partenaire, se préparant à toutes les éventualités. Il n’avait que peu de foi en la parole du vieux sénile à l’odeur corporelle prononcée qui leur avait indiqué l’endroit. Ce rustre les avait à coup sûr jeté dans la gueule de quelques naturistes anthropophages. S’agissant néanmoins de leur unique piste, ils n’avaient eu d’autre choix que de s’y fier.

C’est à plusieurs heures de cette étrange rencontre, sans plus croiser aucun autochtone douteux, qu’ils atteignirent enfin des habitations. Ces modestes demeures de bois et de chaume avaient été disposées en cercle concentrique et de sorte à ne pas déranger les sapins et séquoias centenaires qui s’alternaient entre elles. Désert de prime abord, le village comptait toutefois quelques poules et autres gallinacées picorant et caquetant sans se soucier des nouveaux venus. Ces derniers, notamment Fritz, manquèrent s’inquiéter de cette absence d’accueil avant qu’une bonne femme ne sortît à leur rencontre. Vêtue d’un fichu de guingois et d’une robe verte curieusement froissée, elle laissait penser qu’il avait fallu s’apprêter en vitesse à la vue des arrivants. Ces derniers échangèrent une œillade soupçonneuse mais ne relevèrent pas.

« Bienvenue à Alcine, voyageurs ! lança-t-elle avec bonhommie. Nous étions sur le point de passer à table. Souhaitez-vous vous joindre à nous ? »

Carmen refusa derechef, mais c’était compter sans son camarade qui n’avait pas ripaillé depuis longtemps. Leur hôtesse les convia ainsi à la suivre jusqu’à la grande halle qui trônait au centre du village. Après avoir laissé leurs montures près de mangeoires adjacentes, les voyageurs pénétrèrent dans l’enceinte. Là, une poignée de paysans attablés attendaient leur pitance sans mot dire. Ce silence assourdissant obligea les deux invités à prendre place dans la plus grande discrétion sur l’un des bancs qui longeaient le mur. Une vieille dame vint aussitôt à eux en claudiquant avec deux écuelles de soupe, avant de retourner à ses tâches. La voyageuse contempla son bol sans y toucher. Son partenaire, lui, ne se fit pas prier mais sans troubler davantage la tranquillité des autres mangeurs qui, à son grand regret, n’étaient pas très loquaces. Seule la dame qui les avait conduit là était décidée à leur tenir la jambe :

« Vous ne mangez pas ? s’enquit-elle avec étonnement auprès de Carmen.

— Non, merci. Je suis un régime stricte, se justifia l’intéressée.

— Oh, je vois. Vous êtes malade ?

— On peut dire ça. Mais je ne suis pas lépreuse, rassurez-vous.

— En fait, c’est précisément pour cette raison que nous sommes ici, osa glisser Fritz. Nous sommes à la recherche d’un traité de médecine qui permettrait de soigner mon amie. »

La femme s’enthousiasma pour leur quête et leur proposa même son aide, avant d’essuyer un nouveau refus de Carmen. Elle concéda toutefois qu’il lui paraissait peu probable de trouver l’objet de leur souhait en ces lieux. Si un médecin résidait parmi les bûcherons et les cueilleurs d’Alcine, elle n’en avait pas connaissance. Cet aveu ne fit qu’accroître les doutes nourris par les deux comparses depuis que cette direction leur avait été indiquée. Le vieux puant s’était peut-être bien moqué d’eux, en fin de compte.

Le soir tombant, ils furent naturellement invités à rester passer la nuit. Carmen refusa encore, prétextant que son camarade aimait dormir à la belle étoile sans prêter attention à ces jérémiades. Les deux acolytes établirent leur campement de fortune à l’orée du village, dans une petite prairie herbeuse où personne ne viendrait les déranger. Toujours emmitouflée dans sa cape, la jeune femme dut encore supporter les reproches de Fritz qui déplorait de ne pouvoir profiter de l’hospitalité des gens d’Alcine autant que d’avoir été jeté dans une piste aussi foireuse. Cependant, elle devait bien concéder que quelque chose ne tournait pas rond dans cette petite communauté.

« Les gens d’ici font semblant d’être débarbarisés, supputa-t-elle dans un murmure. À en juger l’état de leurs vêtements, je ne serais pas surprise qu’ils soient tous nudistes et se rhabillent dès qu’ils détectent une présence humaine dans la forêt.

— Sans compter qu’hormis cette femme, aucun d’eux ne semble doué de parole, accusa à son tour Fritz. Mais ça ne tient pas debout : pourquoi ces sauvages feraient-ils cela ? »

La nécessité de cacher quelque chose aux yeux des hommes civilisés leur apparut comme la seule réponse plausible à leurs questionnements. S’agissait-il de l’objet de leurs recherches ? Rien de moins sûr. Les sauvages ne leur paraissaient pas être les meilleurs indiqués pour retrouver un antique traité de médecine, mais les apparences pouvaient être trompeuses – ces gens s’évertuaient en tout cas à le leur faire croire, avec leurs mises froissées.

« Et si ce n’était pas un traité ? supposa soudain Fritz. Ces gens sont peut-être en possession d’un grimoire ou d’une sorcellerie quelconque qu’ailleurs nous appellerions médecine.

— Tu me fatigues avec tes bêtises, Fritz, soupira son interlocutrice. Tais-toi et dors. »

Il se retourna dans son couchage en grommelant tandis qu’elle restait éveillée pour le premier tour de garde.

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